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Kenya

Un «dinosaure» quitte le pouvoir

Le président Daniel arap Moi ne se représente pas à l’occasion des élections générales du vendredi 26 décembre au Kenya. Après 24 ans de règne, il laisse ses «héritiers» se disputer la succession.
De notre correspondant à Nairobi

La chose n'est pas si fréquente : un «dinosaure» africain d'en va sur la pointe des pieds. Au soir de vingt-quatre ans de règne, Daniel arap Moi, le président kenyan, a décidé de respecter la constitution de son pays, qui lui interdit un troisième mandat, et de passer la main. Ainsi se clôt un quart de siècle de règne d'un des présidents les plus mystérieux du continent, réputé féroce tacticien et manœuvrier politique au point, soupçonné de ne jamais vouloir abandonner volontairement le pouvoir, et dont nul ne savait, un an avant ce scrutin, s'il ne tenterait pas un coup de force constitutionnel en imposant sa candidature, une nouvelle fois. Mais Daniel arap Moi a choisi de quitter le pouvoir avec une élégance à laquelle il n'avait habitué le Kenya.

Daniel arap Moi est devenu président en 1978, à la mort du premier président Jomo Kenyatta dont il était le vice-président. Dans les années 80, suite à une tentative de coup d'Etat d'officiers de l'armée de l'air, il avait versé dans un autoritarisme de plus en plus sévère, qui avait déclenché de vastes manifestations de protestation, et le retour au multipartisme en 1991. Depuis, lors des deux élections présidentielles au suffrage universel de 1992 et 1997, il était parvenu, face à une opposition minée par ses divisions, et en usant de violence et de tricherie, à l'emporter.

Cinq candidats en lice

Des cinq candidats qui s'affronteront vendredi 27 décembre pour lui succéder et devenir le premier président de l'histoire kenyane arrivé au pouvoir au terme d'une transition démocratique, deux seulement sont en mesure de l'emporter.

Mwai Kibaki, 71 ans, est un vieux routier de la politique kenyane, formé dans un moule similaire à celui de Daniel arap Moi, 78 ans, et dont la carrière a commencé avant l'indépendance. Economiste de formation, à la tête du Parti démocratique (DP) après avoir été l'un des piliers de la Kanu, pendant de longues années, il s'est déjà présenté deux fois, sans succès, contre Daniel arap Moi. Il est cette fois à la tête de la Coalition nationale Arc-en-ciel (NARC), vaste coalition d'une douzaine de groupes, mouvements et partis dont le point commun est de s'opposer à la Kanu (l'Union nationale africaine du Kenya), le parti au pouvoir depuis l'indépendance.

Le candidat de la Kanu, Uhuru Kenyatta, est le fils du «père de la nation», Jomo Kenyatta. Lorsque Daniel arap Moi a fait connaître, en août, sa décision de choisir ce «jeune homme» de 42 ans, novice en politique, comme dauphin et de l'imposer comme candidat du parti au pouvoir, la Kanu, il a entraîné l'explosion de son parti. La vieille garde, au sein de laquelle plusieurs héritiers potentiels attendaient leur heure, n'a pas tardé à créer une branche dissidente, puis à faire sécession et à rejoindre les rangs de l'opposition pour constituer une vaste coalition qui s'est donné Mwai Kibaki comme candidat pour la présidentielle. Ce dernier se voit ainsi doté d'une arme à double tranchant. Il a désormais autour de lui un vaste rassemblement de poids-lourds de la politique kenyane, dont les ambitions ont été déçues par la Kanu. Parmi eux, certains font partie des principaux responsables du pillage organisé de l'Etat, au cours des deux décennies écoulées.

Mwai Kibaki, qui a été, dix ans durant, le vice-président de Daniel arap Moi avant d'être écarté du pouvoir en 1988 et de devenir le chef de file de l'opposition, saura-t-il répondre aux espoirs des Kenyans en imposant une nouvelle façon de gouverner? L'enjeu est de taille, alors que le pays, miné par la corruption, ne doit qu'au dynamisme de ses entrepreneurs de n'avoir pas été frappé par un désastre économique. Le bilan des années Moi est lourd: la moitié environ de la population vit avec moins d'un dollar par jour dans un pays qui figurait parmi les plus prospères du continent pendant les années 70. En raison de sa gestion douteuse des fonds publics, le Kenya est également privé de soutien par les bailleurs de fonds, Fond monétaire international (FMI) et Banque mondiale en tête.

Dans ce contexte, les élections générales se présentent comme un tournant de l'histoire kenyane. Uhuru Kenyatta, comme Mwai Kibaki, s'est engagé à changer la politique kenyane. Soutenu par de puissants barons du régime, qui l'ont littéralement projeté à ce poste, aurait-il les moyens, en cas d'élection, de s'affranchir de leur tutelle? Rien n'interdit de le penser, d'autant que son parrain, Daniel arap Moi, s'était lui-même trouvé dans une situation similaire lors de son arrivée au pouvoir en 1978. Nul ne lui prédisait alors une longue carrière à la tête de l'Etat. Il s'y est cependant maintenu un quart de siècle. Mais Uhuru Kenyatta souhaitera-t-il pour autant, en cas de victoire, solder les comptes de l'ère Moi et bénéficier d'un droit d'inventaire sur les malversations de l'entourage présidentiel pendant deux décennies? Ni lui, ni Mwai Kibaki, ne se sont prononcés clairement sur ce point, laissant planer la menace d'une amnistie informelle dans les deux camps.

Ecouter également : L'invité Afrique, François Grignon, politologue français basé à Nairobi.



par Jean-Philippe  REMY

Article publié le 26/12/2002