Sénégal
Portrait d'un maquisard : «Kédingkané», soldat de l'ombre
Appelons-le François Diatta. Ce n'est évidement pas son nom. Du reste, très peu de gens le connaissent. Lui se fait appeler «Armstrong», «Fu man chu» ou encore «Kedingkané» devant ses hommes qu'il appelle «mes enfants». Parce qu'il roule sur son demi-siècle, et qu'il fait partie de ceux qui ont créé le maquis du MFDC, parce que les prisons sénégalaises, il connaît et parce que, aussi et surtout, c'est le soldat de l'ombre du maquis, le chef du service des renseignements militaires du maquis.
De notre envoyé spécial en Casamance
Quand j'ai rencontré «Ken» il y a trois ans, rien, absolument rien ne le désignait comme un maquisard comme on se les représente : balèze, taciturne, rustre, un tueur quoi. «Fu man chu» promène allègrement son mètre quatre vingt son physique de sahélien, ses cheveux crépus poivre et sel, ses dents jaunies parce qu’il allume chaque cigarette avec la précédente. Trois ans plus tard, au début du mois de décembre quand je l'ai revu, il n'avait pas changé. Ou si peu. Peut-être a-t-il maigri, peut être abuse-t-il encore davantage du vin de palme local et de tous les alcools qu'il ingurgite. Mais son sourire franc, dont il n'est pas avare, éclaire toujours son visage maigre et étiré.
Parce que «ken» est dans les renseignements du maquis, il n'est pas aisé de le rencontrer. Aussi, ce jour là, il nous a fallu, à mon guide et moi, une heure de pirogue à travers les bolongs, zigzaguant à travers les innombrables cours d'eau qui enserrent le département de Oussopuye (sud de la Casamance, vers le cap Skirring), avant d'accoster au lieu de rendez-vous. Son village de repos, comme il dit, quand il quitte le maquis. Un petit hameau plutôt qu'on atteint après s'être enlisé jusqu'aux cuisses dans la glaise argileuse, noire, visqueuse, les pieds déchirés au contact des coquillages et des épines enfouis dans le limon puant. Les trois grandes cases qu'on aperçoit de loin semblent inhabitées, si ce n'est quelques cochons domestiques et autres volailles. Le village est entouré partout d'eau et le seul moyen d'y accéder, c'est la pirogue.
«Pour la paix, d'abord, et l'indépendance ensuite»
De son histoire dans le maquis qu'il raconte comme un conteur professionnel, en alternant éclats de voix et murmures, ponctués par les hochements de tête de ses hommes qui nous entourent, on retiendra qu'il a rejoint le maquis après les «évènements» de décembre 1982. Ancien militaire de l'armée sénégalaise, dans la marine, puis dans les blindés sous les ordres, ironie de l'histoire, du général Mamadou Niang, actuel ministre de l'Intérieur qui gère le dossier casamançais. En 1980, avec une centaine de maquisards et de civils militants du MFDC, il se retrouve à la prison centrale de Dakar (Rebeus, sur la corniche ouest de Dakar) avec l'abbé Diamacoune Senghor, secrétaire général du MFDC. «Nous y avons trouvé le président Wade qui avait été arrêté après les élections présidentielles et législatives de 1988. Nous étions dans la même cellule, aussi, nous passions tout notre temps à discuter, eux les politiques, et nous les maquisards. Il me connaît très bien, le président Wade, même si aujourd'hui il est président».
Après plusieurs mois de détention sans procès les prisonniers bénéficient d'une amnistie du président de l'époque, Abdou Diouf, qui voulait calmer le jeu. Mais voilà, «ken» refuse de sortir de prison : «je leur ai dit que j'étais bien ici, je mange bien, je me lave chaque matin, il n'y a pas de moustiques et je ne risque pas de rencontrer ici des militaires ou des gendarmes qui rêvent d'avoir ma peau». Ahuris, les gardiens en réfèrent à leurs chefs qui en réfèrent à la présidence: «que faire de ce sauvage qui refuse de sortir de prison»? La réponse est catégorique: sortez-le de force. «Ils s'y sont pris à six pour me sortir de la cellule, me faire monter dans un véhicule pour le port où le Joola devait nous ramener à Ziguinchor. Ils m'ont surveillé jusqu'à ce que le bateau lève les voiles pour que je ne m'échappe pas».
Sa fonction dans le maquis? Il hésite, fait comme s’il n'avait pas entendu la question, jette un regard à ses hommes et se décide: «Je supervise les services de renseignements du maquis, je supervise aussi la formation des «gosses». A ce titre, «Ken» est au fait des moindres mouvements de «l'ennemi», l'armée. «On connaît tous leurs points de cantonnement; on est au courant quand ils doivent attaquer une de nos bases; si nous voulons les attaquer, nous savons à quel moment ils font relâche», dit-il. Rompu au monde secret du renseignement, méfiant envers quiconque n’en fait pas partie, il élude plusieurs questions, reste évasif sur d'autres. De la guerre de Guinée-Bissau entre feu général Ansoumana Mané contre l'ancien président Nino Vieira, jusqu'au retournement de Mané contre le président élu Kumba Yala, «Fu man chu» est de tous les coups, avec ses hommes, selon les alliances du moment. Une occasion pour revenir sur les circonstances de la mort de Ansoumana Mané». Comment les loyalistes de Kumba Yala ont-ils pu atteindre Mané dans cette église alors que le curé avait eu l'accord du président qu'on ne le tuerait pas?. Etonné, il dit : «Tu ne savais pas qu'on peut déplacer un corps?». Il n'en dira pas plus
C'est «Ken» aussi, qui a coordonné les troupes loyalistes à Diamacoune contre Salif Sadio, l'ex chef d'état major du maquis en décembre 2000. Des affrontements meurtriers entre frères ennemis dans le maquis pour le contrôle de celui-ici. «Ses hommes font des dégâts sur les routes et on accuse tout le maquis. Ce n'est pas pour ça que nous nous battons». Pourquoi? «Pour la paix, d'abord, et l'indépendance ensuite». «Les solutions, c'est aux politiques de les trouver, nous, nous sommes des militaires». Et si les politiques renoncent à l'indépendance? «Il faudra alors nous expliquer pourquoi on s'est battu toutes ces années pour ça et nous dire aujourd'hui d'abandonner». Le soleil commençait à doucement décliner, dardant ses rayons jaunes sur le bleu indigo des eaux du fleuve casamance. «Il faut qu'on parte, nous avons du chemin à faire et, comme je ne souhaite pas rencontrer tes hommes...» Il me coupe: «Tu ne verras personne mais eux te verront, et vous protégeront jusqu'à votre véhicule».
Quand j'ai rencontré «Ken» il y a trois ans, rien, absolument rien ne le désignait comme un maquisard comme on se les représente : balèze, taciturne, rustre, un tueur quoi. «Fu man chu» promène allègrement son mètre quatre vingt son physique de sahélien, ses cheveux crépus poivre et sel, ses dents jaunies parce qu’il allume chaque cigarette avec la précédente. Trois ans plus tard, au début du mois de décembre quand je l'ai revu, il n'avait pas changé. Ou si peu. Peut-être a-t-il maigri, peut être abuse-t-il encore davantage du vin de palme local et de tous les alcools qu'il ingurgite. Mais son sourire franc, dont il n'est pas avare, éclaire toujours son visage maigre et étiré.
Parce que «ken» est dans les renseignements du maquis, il n'est pas aisé de le rencontrer. Aussi, ce jour là, il nous a fallu, à mon guide et moi, une heure de pirogue à travers les bolongs, zigzaguant à travers les innombrables cours d'eau qui enserrent le département de Oussopuye (sud de la Casamance, vers le cap Skirring), avant d'accoster au lieu de rendez-vous. Son village de repos, comme il dit, quand il quitte le maquis. Un petit hameau plutôt qu'on atteint après s'être enlisé jusqu'aux cuisses dans la glaise argileuse, noire, visqueuse, les pieds déchirés au contact des coquillages et des épines enfouis dans le limon puant. Les trois grandes cases qu'on aperçoit de loin semblent inhabitées, si ce n'est quelques cochons domestiques et autres volailles. Le village est entouré partout d'eau et le seul moyen d'y accéder, c'est la pirogue.
«Pour la paix, d'abord, et l'indépendance ensuite»
De son histoire dans le maquis qu'il raconte comme un conteur professionnel, en alternant éclats de voix et murmures, ponctués par les hochements de tête de ses hommes qui nous entourent, on retiendra qu'il a rejoint le maquis après les «évènements» de décembre 1982. Ancien militaire de l'armée sénégalaise, dans la marine, puis dans les blindés sous les ordres, ironie de l'histoire, du général Mamadou Niang, actuel ministre de l'Intérieur qui gère le dossier casamançais. En 1980, avec une centaine de maquisards et de civils militants du MFDC, il se retrouve à la prison centrale de Dakar (Rebeus, sur la corniche ouest de Dakar) avec l'abbé Diamacoune Senghor, secrétaire général du MFDC. «Nous y avons trouvé le président Wade qui avait été arrêté après les élections présidentielles et législatives de 1988. Nous étions dans la même cellule, aussi, nous passions tout notre temps à discuter, eux les politiques, et nous les maquisards. Il me connaît très bien, le président Wade, même si aujourd'hui il est président».
Après plusieurs mois de détention sans procès les prisonniers bénéficient d'une amnistie du président de l'époque, Abdou Diouf, qui voulait calmer le jeu. Mais voilà, «ken» refuse de sortir de prison : «je leur ai dit que j'étais bien ici, je mange bien, je me lave chaque matin, il n'y a pas de moustiques et je ne risque pas de rencontrer ici des militaires ou des gendarmes qui rêvent d'avoir ma peau». Ahuris, les gardiens en réfèrent à leurs chefs qui en réfèrent à la présidence: «que faire de ce sauvage qui refuse de sortir de prison»? La réponse est catégorique: sortez-le de force. «Ils s'y sont pris à six pour me sortir de la cellule, me faire monter dans un véhicule pour le port où le Joola devait nous ramener à Ziguinchor. Ils m'ont surveillé jusqu'à ce que le bateau lève les voiles pour que je ne m'échappe pas».
Sa fonction dans le maquis? Il hésite, fait comme s’il n'avait pas entendu la question, jette un regard à ses hommes et se décide: «Je supervise les services de renseignements du maquis, je supervise aussi la formation des «gosses». A ce titre, «Ken» est au fait des moindres mouvements de «l'ennemi», l'armée. «On connaît tous leurs points de cantonnement; on est au courant quand ils doivent attaquer une de nos bases; si nous voulons les attaquer, nous savons à quel moment ils font relâche», dit-il. Rompu au monde secret du renseignement, méfiant envers quiconque n’en fait pas partie, il élude plusieurs questions, reste évasif sur d'autres. De la guerre de Guinée-Bissau entre feu général Ansoumana Mané contre l'ancien président Nino Vieira, jusqu'au retournement de Mané contre le président élu Kumba Yala, «Fu man chu» est de tous les coups, avec ses hommes, selon les alliances du moment. Une occasion pour revenir sur les circonstances de la mort de Ansoumana Mané». Comment les loyalistes de Kumba Yala ont-ils pu atteindre Mané dans cette église alors que le curé avait eu l'accord du président qu'on ne le tuerait pas?. Etonné, il dit : «Tu ne savais pas qu'on peut déplacer un corps?». Il n'en dira pas plus
C'est «Ken» aussi, qui a coordonné les troupes loyalistes à Diamacoune contre Salif Sadio, l'ex chef d'état major du maquis en décembre 2000. Des affrontements meurtriers entre frères ennemis dans le maquis pour le contrôle de celui-ici. «Ses hommes font des dégâts sur les routes et on accuse tout le maquis. Ce n'est pas pour ça que nous nous battons». Pourquoi? «Pour la paix, d'abord, et l'indépendance ensuite». «Les solutions, c'est aux politiques de les trouver, nous, nous sommes des militaires». Et si les politiques renoncent à l'indépendance? «Il faudra alors nous expliquer pourquoi on s'est battu toutes ces années pour ça et nous dire aujourd'hui d'abandonner». Le soleil commençait à doucement décliner, dardant ses rayons jaunes sur le bleu indigo des eaux du fleuve casamance. «Il faut qu'on parte, nous avons du chemin à faire et, comme je ne souhaite pas rencontrer tes hommes...» Il me coupe: «Tu ne verras personne mais eux te verront, et vous protégeront jusqu'à votre véhicule».
par Demba Ndiaye
Article publié le 28/12/2002