Zimbabwe
Quand l’aide alimentaire devient une arme politique
Confronté à la sécheresse qui frappe l’Afrique australe, le régime de Robert Mugabe utilise l’arme de l’aide alimentaire à l’encontre des populations supposées hostiles au régime.
De notre envoyée spéciale au Zimbabwe
Des enfants amaigris marchent au bord de la route nationale qui mène aux chutes Victoria. A Lukosi, un hameau planté au milieu d’un champ de baobabs, chèvres et poules continuent de gambader. Mais la sécheresse a tari les rivières et décimé les quelques vaches élevées par ses habitants.
Selon Pius Ncube, l’evêque de Bulawayo, la disette dans le Matebeleland a déjà fait 160 morts. Le chiffre a été démenti par le gouvernement, mais il n’étonne personne dans cette région semi-aride du sud-ouest du Zimbabwe. L’une des zones rurales les plus reculées et les durement frappées du Matebeleland Nord s’étend le long du parc national de Hwange, à 300 km à l’est de Bulawayo.
A l’heure de la récréation, dans la cour de l’école primaire de Lukosi, les enfants ne jouent plus. Ils restent par petits groupes à l’ombre des murs, pour éviter la chaleur. Sibusiso, un instituteur, ne cache pas son inquiétude. «Les enfants fondent à vue d’oeil. Certains de nos élèves font des kilomètres à pied pour venir à l’école, le ventre vide. D’autres ne viennent plus du tout». La rumeur veut que des parents, contraints de manger des termites, des écorces et racines, aient intoxiqué leur famille avec des fruits cueillis dans la brousse.
A Lukosi comme ailleurs, les sacs de mili-mili, la farine de maïs qui sert de base à l’alimentation des Zimbabwéens, n’ont pas complètement disparu. Les uns sont distribués gratuitement par le Programme alimentaire mondial (PAM), une agence des Nations unies qui a commencé à apporter son aide en avril dernier. Les autres sont vendus par l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF), le parti au pouvoir.
Pour obtenir cette «aide» de la Zanu-PF, qui sert de rallonge aux rations données par le PAM, il ne suffit pas de payer. Il faut aussi présenter le profil du parfait partisan du «camarade» Robert Mugabe, le chef de l’Etat. «Tous ceux qui sont perçus comme des opposants, à tort ou à raison, ne peuvent pas accéder à ce maïs», explique l’instituteur, lui-même en butte au refus du chef de district de la Zanu-PF de lui vendre la moindre graine de maïs.*
Pas de nourriture pour la partie du pays qui a «trahi» Mugabe
Un rapport confidentiel du parti au pouvoir, qui circule depuis six mois dans les rédactions de la presse indépendante au Zimbabwe, ferait état d’une volonté délibérée de punir la partie du pays a «trahi» Robert Mugabe. Autrement dit, la base électorale du principal parti d’opposition, le Mouvement démocratique pour le changement (MDC), concentrée dans les grandes villes et dans le Matebeleland, une région peuplée par les Ndebele, une ethnie minoritaire qui s’estime négligée par la majorité Shona, au pouvoir.
La politisation de l’aide alimentaire ne s’arrête pas là. Plusieurs grandes ONG ont été de facto interdites dans le pays, alors que leur aide pourrait compléter celle du PAM. Oxfam et Save the Children Fund (SCF) ont vu leurs activités entravées, l’administration ayant refusé de les enregistrer et les «anciens combattants» de la Zanu-PF leur ayant interdit de distribuer du maïs, sur le terrain. Robert Mugabe les accuse de faire partie du «complot britannique» contre son régime.
Des partisans de la Zanu-PF ont par ailleurs arrêté et bastonné, le mois dernier, deux citoyens zimbabwéens qui accompagnaient un diplomate américain et un représentant des Nations unies en mission d’évaluation, à 25 km au Sud de la capitale, sur les besoins alimentaires du pays. Plus que jamais, le Zimbabwe se trouve dans le collimateur de George Bush. Le chef de l’Etat américain a reproché à Robert Mugabe d’avoir lui-même provoqué la famine, avec sa politique d’invasions des fermes détenues par les Blancs. Washington a été jusqu’à menacer de distribuer l’aide alimentaire «par la force», à l’aide d’avions militaires, si Robert Mugabe continuait d’en sélectionner les bénéficiaires.
«La situation est très sérieuse et elle va empirer», affirme Kevin Farrell, le représentant du PAM au Zimbabwe. Face à la réticence des bailleurs de fonds, cette agence ne cesse de tirer l’alarme. Depuis avril, le PAM n’a pas reçu plus de 59% des financements demandés pour acheter du maïs à destination du Zimbabwe. Les pays occidentaux rechignent à apporter une aide qu’ils redoutent de voir détournée par les autorités. Selon le ministère des Finances zimbabwéen, ce ne sont plus 6,7 millions, mais 8 millions de Zimbabwéens, sur un total de 13 millions, qui sont menacés par la famine d’ici mars 2003. Dans quatre mois, avertit le PAM, il manquera 200 000 tonnes de maïs à un pays qui ne saura pas où les trouver.
Des enfants amaigris marchent au bord de la route nationale qui mène aux chutes Victoria. A Lukosi, un hameau planté au milieu d’un champ de baobabs, chèvres et poules continuent de gambader. Mais la sécheresse a tari les rivières et décimé les quelques vaches élevées par ses habitants.
Selon Pius Ncube, l’evêque de Bulawayo, la disette dans le Matebeleland a déjà fait 160 morts. Le chiffre a été démenti par le gouvernement, mais il n’étonne personne dans cette région semi-aride du sud-ouest du Zimbabwe. L’une des zones rurales les plus reculées et les durement frappées du Matebeleland Nord s’étend le long du parc national de Hwange, à 300 km à l’est de Bulawayo.
A l’heure de la récréation, dans la cour de l’école primaire de Lukosi, les enfants ne jouent plus. Ils restent par petits groupes à l’ombre des murs, pour éviter la chaleur. Sibusiso, un instituteur, ne cache pas son inquiétude. «Les enfants fondent à vue d’oeil. Certains de nos élèves font des kilomètres à pied pour venir à l’école, le ventre vide. D’autres ne viennent plus du tout». La rumeur veut que des parents, contraints de manger des termites, des écorces et racines, aient intoxiqué leur famille avec des fruits cueillis dans la brousse.
A Lukosi comme ailleurs, les sacs de mili-mili, la farine de maïs qui sert de base à l’alimentation des Zimbabwéens, n’ont pas complètement disparu. Les uns sont distribués gratuitement par le Programme alimentaire mondial (PAM), une agence des Nations unies qui a commencé à apporter son aide en avril dernier. Les autres sont vendus par l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF), le parti au pouvoir.
Pour obtenir cette «aide» de la Zanu-PF, qui sert de rallonge aux rations données par le PAM, il ne suffit pas de payer. Il faut aussi présenter le profil du parfait partisan du «camarade» Robert Mugabe, le chef de l’Etat. «Tous ceux qui sont perçus comme des opposants, à tort ou à raison, ne peuvent pas accéder à ce maïs», explique l’instituteur, lui-même en butte au refus du chef de district de la Zanu-PF de lui vendre la moindre graine de maïs.*
Pas de nourriture pour la partie du pays qui a «trahi» Mugabe
Un rapport confidentiel du parti au pouvoir, qui circule depuis six mois dans les rédactions de la presse indépendante au Zimbabwe, ferait état d’une volonté délibérée de punir la partie du pays a «trahi» Robert Mugabe. Autrement dit, la base électorale du principal parti d’opposition, le Mouvement démocratique pour le changement (MDC), concentrée dans les grandes villes et dans le Matebeleland, une région peuplée par les Ndebele, une ethnie minoritaire qui s’estime négligée par la majorité Shona, au pouvoir.
La politisation de l’aide alimentaire ne s’arrête pas là. Plusieurs grandes ONG ont été de facto interdites dans le pays, alors que leur aide pourrait compléter celle du PAM. Oxfam et Save the Children Fund (SCF) ont vu leurs activités entravées, l’administration ayant refusé de les enregistrer et les «anciens combattants» de la Zanu-PF leur ayant interdit de distribuer du maïs, sur le terrain. Robert Mugabe les accuse de faire partie du «complot britannique» contre son régime.
Des partisans de la Zanu-PF ont par ailleurs arrêté et bastonné, le mois dernier, deux citoyens zimbabwéens qui accompagnaient un diplomate américain et un représentant des Nations unies en mission d’évaluation, à 25 km au Sud de la capitale, sur les besoins alimentaires du pays. Plus que jamais, le Zimbabwe se trouve dans le collimateur de George Bush. Le chef de l’Etat américain a reproché à Robert Mugabe d’avoir lui-même provoqué la famine, avec sa politique d’invasions des fermes détenues par les Blancs. Washington a été jusqu’à menacer de distribuer l’aide alimentaire «par la force», à l’aide d’avions militaires, si Robert Mugabe continuait d’en sélectionner les bénéficiaires.
«La situation est très sérieuse et elle va empirer», affirme Kevin Farrell, le représentant du PAM au Zimbabwe. Face à la réticence des bailleurs de fonds, cette agence ne cesse de tirer l’alarme. Depuis avril, le PAM n’a pas reçu plus de 59% des financements demandés pour acheter du maïs à destination du Zimbabwe. Les pays occidentaux rechignent à apporter une aide qu’ils redoutent de voir détournée par les autorités. Selon le ministère des Finances zimbabwéen, ce ne sont plus 6,7 millions, mais 8 millions de Zimbabwéens, sur un total de 13 millions, qui sont menacés par la famine d’ici mars 2003. Dans quatre mois, avertit le PAM, il manquera 200 000 tonnes de maïs à un pays qui ne saura pas où les trouver.
par Sabine Cessou
Article publié le 15/12/2002