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Sénégal

Casamance: la paix introuvable

Pour l'abbé Diamacoune Senghor, la Casamance n'aurait jamais fait partie de l'entité Sénégal, mais y avait un «statut particulier» octroyé par la France durant la période coloniale. De ce point de vue, la Casamance serait donc «un pays colonisé», et à ce titre, comme l'Algérie hier, a droit à l'indépendance.
De notre correspondant à Dakar

Au début de la décennie 90, le conflit casamançais atteint un degré d'intensité et de violence jamais encore vu. Le gouvernement, pensant mieux maîtriser des événements qui semblent lui échapper, impose à la Casamance un statut spécial: une région militaire avec un gouverneur militaire. Etat de siège, couvre feu, check-point sur toutes les routes, contrôles abusifs d'identité, arrestations en séries. Des villages entiers sont rasés, des puits empoisonnés, des pistes minées... Rien n'y fait. La solution ne sera pas militaire mais négociée.

Avec le MFDC reconnu désormais pour ce qu'il est: une guérilla hautement armée et structurée, avec des soutiens avoués ou tacites de certains pays voisins comme la Gambie et la Guinée Bissau. Du reste, les armes viennent en partie de ce dernier pays, le maquis est installé dans la forêt classée à la frontière avec Bissau, qui sert aussi à l'occasion de bases arrière, de repli. Les négociations s'imposent donc. Et c'est le 31 mai 1991 que le premier cessez-le-feu est signé entre le gouvernement et le MFDC à Cacheu, en Guinée Bissau. Ces accords dits de Cacheu, ont été signés sous l'égide de ce pays alors dirigé par Nino Vieira, qui en est le garant. Particularité de cet accord: il a été signé par le chef d'état-major du MFDC de l'époque Sidy Badji, en l'absence de l'abbé Diamacoune alors en prison à Dakar de ce fait même, ce cessez-le-feu contenait les germes de sa contestation ultérieure. Sidy Badji quitte le maquis, Diamacoune et ses co-détenus sont libérés par mesure d'apaisement. Le 30 décembre 1992, Sidy Badji, lance un appel aux combattants à déposer les armes.

L'abbé Diamacoune sorti de prison, qualifie l'accord de Cacheu de nul et de non avenu. Le maquis se scinde en deux: le Sud d’où est originaire l'abbé et l'essentiel des cadres et des troupes du maquis lui reste fidèle, le Nord suit Sidy Badji et accepte de déposer les armes. Le Front sud accuse de «trahison» le Front nord, qui à son tour, traite le Front sud, de «fossoyeur de la paix» .La Casamance connaîtra deux autres années de violences sans précédent jusqu'au 8 juillet 1993 où un deuxième cessez-le-feu est signé à Ziguinchor en présence cette fois-ci de Diamacoune. Dans un appel pathétique du vieux prélat qui entre temps a subi les foudres du clergé local et du Vatican, qui voient d'un mauvais œil l’un des leurs jouer au «théologien de la libération», l'espoir renaît.

Le conflit perdure

S'adressant au maquis et à tous les Casamançais, Diamacoune s'interroge : «Avons-nous le droit de demander à nos fils et des plus valeureux de continuer à verser leur sang pour une indépendance qu'ils ne verront jamais ?». Et de conclure: «En mon âme et conscience, je dis non». Le rêve sera pourtant de courte durée, et comme toujours, les deux parties s'accusent mutuellement d'avoir violé le cessez-le-feu. Diamacoune réitère à nouveau le «témoignage de la France» pour dire que la Casamance n'a jamais fait partie du Sénégal. Paris finit par accepter, mais pas en tant que pays impliqué. Il dépêche un expert. Quand à Ziguinchor, lors d'une cérémonie solennelle suivie avec intérêt par tout un pays, l'expert français confirme «l'appartenance de la Casamance dans le Sénégal et n'a jamais eu un statut spécial», Diamacoune crie à la trahison et accuse la France de s'être défaussée et de soutenir le gouvernement de Dakar. La rencontre se termine en queue de poisson.

Mais à la disparition en 1996 de quatre touristes français sur la route Ziguinchor-Cap Skirring. L'abbé Diamacoune est mis en résidence surveillée à Ziguinchor gardé «pour sa sécurité» par des gendarmes. Plusieurs de ses lieutenants sont tués et disparaissent mystérieusement. On parle d'«escadrons de la mort» qui appartiendraient à l'armée, d'autres affirment qu'il s'agit de règlements de comptes entre les différentes factions du maquis. En 1998, on reparle à nouveau de paix. Les négociations seront suspendues à la veille de l'élection présidentielle de 2000. Si Diouf gagne, elles vont reprendre, si c'est Wade, il dit pouvoir régler le conflit «en trois mois».

Diouf a perdu. Wade a gagné et le conflit perdure, malgré les deux rencontres entre les deux parties le 16 mars 2001 et le 23 du même mois. Depuis, c'est le statu quo. Avec un étrange jeu d'ombre: le gouvernement se dit prêt à négocier alors que le MFDC conditionne toute reprise des discussions à sa réunification. Depuis quelques semaines, Diamacpoune a pris l'initiative de réunifier le maquis divisé en deux depuis décembre 2000. Le vieux prélat souhaite que cette rencontre avec les différentes factions du maquis ait lieu à San Domingo, une ville de Bissau, proche de la frontière. Bissau aurait donné son accord, si on en croit les émissaires de l'abbé, mais à la condition que Dakar donne son feu vert. Les choses en sont là. Et le naufrage du Joola n'est pas pour les arranger.



par Demba  Ndiaye

Article publié le 31/12/2002