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Corse

Le silence contre la justice

Le verdict rendu dans le procès des meurtriers présumés de Christophe Garelli, un militant nationaliste corse assassiné lors d’une fête dans le village de Lucciana, en 1998, n’a pas fini de provoquer des réactions. Les deux accusés ont été acquittés dans des circonstances qui laissent perplexes. La quasi-totalité des témoins ont affirmé avoir «oublié» les faits. Entre pressions et loi du silence, la justice a du mal à passer en Corse.
«Vous n’avez pas d’aveu, vous n’en aurez jamais. Vous avez un tissu de mensonges concertés et beaucoup de silence». Pour Patrick Beau, l’avocat général qui a requis 15 ans de réclusion contre l’auteur présumé des coups de feu, Stéphane Sbraggia, et 10 ans contre son complice, Christophe Pieri, ce procès n’a jamais été équitable. Il s’est déroulé dans ce que les avocats de la famille de la victime ont appelé un «contexte de terreur» mis en place par un «nationalisme dévoyé».

Les faits remontent au 21 août 1998. Christophe Garelli (27 ans) se rend dans le village de Lucciana où a lieu une fête organisée par des militants d’A Cuncolta, un mouvement nationaliste rival de celui dont il est lui-même membre. Très rapidement, il est pris à partie et jeté hors de la fête, avant d’être abattu de dix balles dans le dos à quelques mètres de là. Il aurait pu s’agir d’une banale affaire criminelle si elle ne s’était déroulée sur un fond de rivalités entre groupes nationalistes. C’est vraisemblablement parce qu’il a défié Christophe Pieri, le fils du dirigeant d’A Cuncolta, Charles Piéri, et celui qui est presque son frère, Stéphane Sbraggia, que Christophe Garelli a été assassiné.

Sur le moment, quelques témoignages ont été recueillis et ont notamment permis d’établir un portrait-robot ressemblant étrangement à Stéphane Sbraggia, qui a très vite été soupçonné d’avoir tiré. Pieri jouant le rôle de complice et d’instigateur. Les deux hommes ont été écroués en septembre 1998. Mais entre les faits et le procès, quatre années se sont écoulées. Un temps mis à profit pour exercer des pressions sur l’ensemble des témoins.

La peur des représailles

Le système semble avoir fonctionné puisque le tiers des personnes citées ont présenté des «excuses» pour ne pas se rendre à l’audience et que ceux qui ont témoigné ont fait preuve «d’amnésie». Même les amis de la victime n’ont pas osé parler par peur des «représailles» dont eux ou leurs familles auraient pu être l’objet. Son père, François, a d’ailleurs exprimé son désarroi et sa révolte face à cette situation, dès le deuxième jour du procès : «Il n’y a que des menteurs ou des gens qui ne se souviennent plus de rien».

Dans ce contexte et en l’absence de preuves matérielles irréfutables, les deux accusés ont clamé leur innocence et ont finalement été acquittés par la Cour d’assises de Haute-Corse, après une délibération de deux heures trente. Leurs avocats n’ont eu de cesse de dénoncer une tentative «politiser» cette affaire dans le seul but d’atteindre Charles Pieri par l’intermédiaire de son fils.

Au contraire, l’avocat général, a estimé que ce procès devait servir à dénoncer «le système de contre-valeur absolue… qui a besoin d’attentats, d’armes, de violence» dans lequel évoluait les accusés. Ce que Maître Jean-Jérome Mondoloni, l’avocat de la famille de la victime, a décrit comme «un système familial-mafieux pseudo politique». Patrick Beau a insisté sur le fait que ce procès, jugé en Corse, ce qui est rarement le cas dans les affaires liées au nationalisme, ne manquerait pas d’être «analysé» et «interprété» dans l’Ile.

Le verdict rendu à Bastia montre donc bien le chemin qu’il reste à parcourir pour lutter, en Corse, contre la «gangrène de la violence» et les «comportements mafieux», encore dénoncés cette semaine par le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui se rendait samedi pour la troisième fois sur l’Ile de Beauté.



par Valérie  Gas

Article publié le 14/12/2002