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Mexique

Le sous-commandant Marcos relève le défi du juge espagnol Garzón

Les déclarations impétueuses et véhémentes du sous-commandant Marcos déconcertent les sympathisants du mouvement zapatiste. Pour certains, Marcos, déprimé, aurait tout simplement «pété les plombs», pour d’autres, le “Sub” cherche à faire une rentrée médiatique internationale. Au centre de cette polémique des attaques gratuites à l’encontre du juge espagnol Baltazar Garzón que Marcos a traité de «clown grotesque», et des prises de positions lamentables et intolérables de soutien des zapatistes aux terroristes de l’ETA basque.
De notre correspondant à Mexico

Qu’est-ce qui a bien pu se passer dans la tête du sous-commandant Marcos, lui qui manie habituellement l’ironie et le sarcasme avec humour sur les grands problèmes de la planète? S’il s’agit d’une provocation, elle est de très mauvais goût et personne ne voit l’issue que pourrait y trouver le mouvement zapatiste. On a plutôt l’impression qu’il s’agit d’une sorte de suicide médiatique. C’est en tout cas, une curieuse manière d’attirer l’attention nationale et internationale.

Le 12 octobre, «jour de la race américaine» que certains appellent «la rencontre des deux mondes» ou qui est célèbre dans les livres d’école comme la date de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, Marcos dans une lettre adressée aux sympathisants espagnols du mouvement zapatiste s’en est pris violemment à la classe dirigeante de ce pays. Avec son habituelle verve épistolaire, il a apostrophé le chef du gouvernement Jose Maria Aznar en le traitant d’imbécile, puis le monarque espagnol Juan Carlos qu’il a renvoyé à la revue Holá pour les mondanités. Quant au juge Garzón, il en a fait sa cible. Il l’a piétiné pour avoir «déclaré illégale la lutte politique du pays basque». «Après avoir fait le ridicule avec cette histoire douteuse de vouloir faire arrêter Pinochet (la seule chose qu’il a faite aura été de se prendre des vacances payées) il démontre sa véritable vocation fasciste en niant au peuple basque le droit de lutter politiquement pour une cause qui est légitime».

Marcos: un bateau à la dérive

Pourquoi Marcos intervient-il de la sorte? A juste raison, Baltazar Garzón a qualifié de misérables et lâches ses paroles haineuses, surtout pour les 853 victimes du terrorisme assassinées par l’explosion de voitures piégées, de grenades et d’aveugles rafales de mitraillettes, déclarant: «je préfère voir mon nom ouvertement associé à la démocratie comme un clown que de le cacher derrière une fausse révolte, la violence, le mensonge, la méconnaissance, le manque d’éthique et de scrupules que vous représentez chaque jour avec davantage de clarté». Après cette déclaration lapidaire, Garzón enfonce le clou, disant à Marcos que s’il avait représenté pour lui quelque chose de différent: «une espèce de rayon de cohérence, il n’était plus aujourd’hui qu’un bateau à la dérive».

Intellectuels, hommes politiques, universitaires, défenseurs des droits de l’homme, journalistes du Mexique et du monde entier ont soutenu le juge contre Marcos. Mais le temps de la colère passé, Baltazar Garzón, qui aime lui aussi les médias et qui ne manque pas de superbe, a lancé au chef zapatiste un défi: «abandonnez votre passe-montagne et votre cachette, démontrez que vous êtes un leader, affrontez la société mexicaine, défendez vos idées dans des conditions d’équité avec les autres défenseurs des Droits de l’Homme. Le défi que je vous lance est un, face à face, sans masque, pour que nous puissions parler du terrorisme, de la révolte, de la dignité, de la lutte, de l’insurrection, de politique, de justice et de toutes ces valeurs qui servent à construire un pays et une démocratie et à défendre les droits de ceux qui en ont le moins. J’espère que vous retrouverez la raison que vous paraissez avoir égarée et ce fond démocratique que vous eûtes peut-être un jour».

Dans un avis publié dans tous les journaux d’Espagne, le sous--commandant Marcos a répondu qu’il acceptait le défi. Il propose que le débat se tienne entre le 3 et le 10 avril prochain, sur l’île de Lanzarote, aux Canaries. Au juge Garzón de faire le nécessaire pour obtenir les garanties et sauf-conduits tant de la part du gouvernement mexicain qu’espagnol et de s’assurer que le jury sera formé de 7 personnes, 4 nommées par le juge, 3 par les zapatistes, toutes originaires d’Espagne et que soit organisée de manière parallèle mais non simultanée, une rencontre entre tous les acteurs politiques, sociaux et culturels de la problématique basque. Marcos a également demandé à l’organisation terroriste ETA une trêve de 177 jours à partir du 24 décembre, afin de pouvoir réaliser cette rencontre. L’emblématique chef des zapatistes assure que s’il est battu de bonne guerre, il acceptera d’enlever son passe-montagne et de présenter au juge Garzón ses plus plates excuses. Mais s’il l’emporte, le juge espagnol devra se compromettre à conseiller juridiquement les zapatistes pour faire reconnaître les droits et cultures indigènes devant les instances internationales.



par Patrice  Gouy

Article publié le 11/12/2002