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Société

Euthanasie : Vincent, 21 ans, tétraplégique, demande à mourir

Le suicide est un choix mais l’euthanasie n’est pas un droit. En tout cas, en France où cette pratique est assimilée à un homicide. Dans ce contexte, la lettre envoyée au président de la République par Vincent Humbert, un jeune homme de 21 ans, lourdement handicapé à la suite d’un accident de voiture, pour lui demander le droit de mourir, est restée sans suite. Si Jacques Chirac a entendu sa souffrance, il n’a pas été plus loin et a laissé au ministre de la Santé le soin de rappeler les fondements éthiques de la législation sur ce sujet. Malgré tout, cette affaire a relancé, en France, le débat sur la difficile question de l’euthanasie.
«Tous mes sens vitaux ont été touchés à part l’ouïe et l’intelligence, ce qui me permet d’avoir un peu de confort… Je bouge très légèrement la main droite en faisant une pression avec le pouce à chaque bonne lettre de l’alphabet. Ces lettres constituent des mots et ces mots forment des phrases. C’est ma seule méthode de communication». C’est en ces termes que Vincent Humbert a décrit sa situation dans une lettre envoyée au chef de l’Etat français, Jacques Chirac, pour lui demander le droit de mourir. «Je veux que vous sachiez que vous êtes ma dernière chance», a-t-il ajouté.

Il y a deux ans, ce jeune homme, alors pompier volontaire, est victime d’un très grave accident de la route à la suite duquel il reste dans le coma pendant neuf mois. Lorsqu’il en sort, les séquelles sont terribles. Il est paralysé des quatre membres, muet et presque aveugle. Son état nécessite une hospitalisation dans un centre spécialisé à Berck-sur-mer (Nord). Depuis, sa vie est un calvaire. Il est obligé de rester au lit, à l’exception de quelques heures chaque jour pendant lesquelles on le place dans un fauteuil. Il est alimenté par un tube dans l’estomac, et ne voit que des ombres. Ses paupières ont même dû être cousues pour éviter le dessèchement des ses yeux. Vincent Humbert a, par contre, conservé toutes ses facultés intellectuelles. Il est pleinement conscient de son état. Et sa souffrance est intolérable. C’est pour cette raison qu’il a décidé d’en appeler au président de la République dans l’espoir qu’il l’autorise à bénéficier d’une aide extérieure pour mettre un terme à une vie qui n’en est plus une.

Cette démarche est totalement personnelle, comme l’a expliqué sa mère, Marie, qui n’était pas au courant de son intention d’écrire au chef de l’Etat avant qu’il ne rédige sa missive. «Notre but n’est pas de faire scandale. Le message de Vincent est personnel et nous allons attendre que ce soit le moment, qu’il puisse être réellement entendu.» En tant que mère, elle est meurtrie d’être confrontée une telle aspiration: «Ne me demandez pas d’approuver». Mais elle comprend le choix de son fils: «Je fais ce qu’il veut parce que je l’aime… Il en a marre. Il est très déterminé».

«Qu’un être humain puisse donner la mort à un autre ne peut pas figurer dans un texte de loi»

L’envoi de cette lettre n’a, en effet, pas manqué de relancer le débat sur l’euthanasie. Jacques Chirac n’a été directement mis au courant de l’existence de ce courrier qu’après l’envoi d’une réponse un peu sèche par son cabinet. Il a rapidement rectifié le tir en faisant part de son «émotion» mais ne s’est pas engagé plus avant sur cette question extrêmement sensible.

Le ministre de la Santé, Jean-François Mattéi, lui-même médecin, s’est chargé de préciser qu’un changement législatif n’était pas à l’ordre du jour en France. «Qu’un être humain puisse donner la mort à un autre ne peut pas figurer dans un texte de loi». Il a aussi rappelé qu’il était personnellement opposé à l’euthanasie qui, selon lui, «constitue la mauvaise réponse à des questions de souffrance, de solitude et d’abandon». De son point de vue, comme de celui de la plupart des opposants à l’euthanasie, il faut aider les personnes en fin de vie, atteintes de maladies incurables ou victimes de séquelles irréversibles, en soulageant leurs souffrances et en les prenant en charge sur le plan psychologique. Il préconise donc le développement des soins palliatifs. «Les gens qui sont dans des états de dépression, qui ont des désirs de mort, doivent être accompagnés davantage… Si l’on autorisait l’euthanasie, on lèverait un des interdits fondateurs de nos sociétés».

De l’autre côté du miroir, les personnes comme Vincent Humbert ou Diane Pretty, une mère de famille anglaise atteinte d’une maladie neurodégénérative qui l’avait totalement paralysée et la condamnait à une mort lente par asphyxie, réclament le droit d’être aidées à mourir «dignement» et d’arrêter de souffrir physiquement et psychologiquement. En France, des associations relaient ces demandes. L’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) vient d’ailleurs de proposer, une nouvelle fois, dans une lettre ouverte au Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, une dépénalisation «sous certaines conditions» de l’euthanasie pour accorder «cette ultime liberté» aux malades condamnés qui le désirent et garantir à ceux qui les aident qu’ils ne seront pas poursuivis.

Mireille Jospin, la mère de l’ancien Premier ministre français, faisait partie de cette association et militait pour la reconnaissance du droit de choisir le moment de sa mort. Elle a elle-même mis fin à ses jours, il y a deux semaines, à l’âge de 92 ans. Mais son cas est bien évidemment différent de celui de Vincent Humbert. Elle s’est suicidée sans l’aide de personne, quand elle l’a choisi. Ce que le jeune homme, comme tous les autres malades dans son cas, ne peuvent pas faire sans aide.

Le moment n’est pas venu en France pour légaliser l’euthanasie, même si on sait très bien que de nombreux médecins sont confrontés à cette question et que certains d’entre eux aident les malades qui le demandent à mourir. Dans d’autres Etats européens, par contre, le cap législatif a déjà été franchi. Les Pays-Bas ont été les premiers à voter, en avril 2002, une loi qui permet de pratiquer, dans certaines conditions, l’euthanasie sans risque de poursuites judiciaires. La Belgique a adopté la même position. C’est pour cela que la mère de Vincent Humbert envisage, si aucune solution n’est trouvée en France, de se rendre dans l’un de ces deux pays.



par Valérie  Gas

Article publié le 19/12/2002