Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Immigration

Naufrages répétés au large de Mayotte

8 morts, 12 disparus et 5 rescapés sont les derniers chiffres officiels en date. Des habitants de la partie indépendante des Comores fuyant la crise vers Mayotte, l’île restée française lors de l’accession à l’indépendance en 1975.
L’accident a eu lieu fin octobre dans la banalité la plus totale. La traversée clandestine des frontières françaises de l’Archipel par des migrants de nationalité comorienne est devenue monnaie courante. Des passeurs peu scrupuleux s’occupent d’organiser le voyage d’une rive à l’autre (depuis Anjouan surtout) sur des kwassa-kwassa, embarcations de fortune, moyennant argent. En guise de réponse, les autorités mahoraises multiplient les contrôles côtiers, sous la pression d’une partie de la population, aujourd’hui persuadée que «les cousins des autres îles viennent leur piquer le pain de la France». Du côté de l’Union des Comores, aucune réaction officielle n’a fusé à ce jour. Pourtant, les naufrages continuent...

Parti de l’île d’Anjouan le 28 octobre dernier, un kwassa-kwassa, prévu pour 8 passagers, en a embarqué 25 pour atteindre «une bonne marge de rentabilité». 3 pilotes, 5 enfants, 7 femmes et 10 hommes selon la gendarmerie. A mi-parcours, le petit bateau de fortune a pris l’eau à cause de la surcharge d’abord, de la mauvaise météo ensuite. Bilan: 8 morts, 12 disparus et 5 rescapés. Un naufrage qui porte à 200 le nombre de victimes de ce trafic entre Anjouan et Mayotte pour les deux dernières années, selon l’Observatoire de l’Émigration Clandestine Anjouanaise (OECA). Une situation à mettre sur le compte des positions séparatistes, opposant les îles sœurs depuis bientôt 30 ans. Selon l’officier M., gendarme à Mutsamudu, chef lieu d’Anjouan, Mayotte française, est devenu au fil des années une «sorte d’eldorado pour certains des habitants des autres îles de l’archipel», dans la mesure où l’assistance financière de la métropole permet une vie meilleure à ses habitants, comparée à la situation de crise économique et politique qui prévaut dans la partie indépendante. Ceci expliquerait le silence de des autorités de l’Union.

A Mayotte, on considère officiellement les nationaux comoriens débarquant comme des «étrangers». Ils sont «synonyme d’insécurité et de travail illégal», d’après le correspondant de l’AFP dans l’Archipel. En 2000, 8000 personnes auraient été reconduites à la frontière selon l’OECA. «Tous ces gens étaient persuadés de trouver du boulot à Mayotte. Il faut savoir que les entreprises de l’île raffolent de ces clandestins. Dans leur situation, ces derniers se sentent toujours obligés de travailler plus et mieux que le natif de l’île. Et comme ils n’ont aucun droit, étant clandestins, ils sont mal payés et exploités comme des esclaves, bien que le peu qu’il gagne soit important, en comparaison de ce qu’ils auraient gagné sur Anjouan, Mohéli ou la Grande Comore. Le salaire moyen dans la partie indépendante tourne autour de 50 à 100 euros. A Mayotte, le SMIC avoisine les 400 euros.» explique Stéphane, un expatrié français. Au-delà, Mayotte est aussi devenu la petite porte qui ouvre sur la France pour l’ensemble des Comoriens. «Beaucoup passent par là, avant d’aller à la Réunion ou en France».

Liens de famille

Certains liens de famille confortent cette situation. Des liens entre Mayotte et les autres îles qui ont résisté face aux divisions politiques. «Les complicités dans la traversée existent aussi de notre côté, raconte un journaliste de RFO Mayotte. Mais nous n’avons pas le droit de nous y attarder. Ce qui est sûr, c’est que les gens ne le font pas uniquement pour une question d’argent. Les passeurs agissent, parce qu’il y a des liens très fort qui ramènent certains Mahorais à l’autre partie de l’Archipel. Prendre part à l’organisation d’un tel voyage, avec tous les risques encourus, c’est contribuer à garder la vigueur de ces liens. Il ne faut pas croire… les Mahorais sont Français. Mais dans leurs veines coulent un sang comorien, qui bout encore». Ce qui complique relativement la situation.

Il y a quelques années, il semblait aisé pour un Comorien d’aller de Moroni à Mamoudzou. Depuis que la France a instauré le visa Balladur en 1994 pour des «raisons électorales», la voie clandestine est devenue la manière la plus simple de fouler le sol mahorais. Lors de son dernier passage sur l’île, Jacques Chirac avait promis d’apporter «une réponse sérieuse» à cette immigration, eu égard «aux drames humains dont elle s’accompagne», tout en encourageant à des «relations durables» entre la collectivité départementale (statut inédit de Mayotte dans l’ensemble français) et les îles voisines. Cela constituait, déclarait-il, «une nécessité pour Mayotte ainsi que pour l’aide au développement des Comores». Mais aucune «mesure d’apaisement» n’a été avancée depuis pour mettre fin à ces traversées qui finissent trop souvent dans le tragique.



par Soeuf  Elbadawi

Article publié le 05/12/2002