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Côte d''Ivoire

Le chef de la diplomatie française au front

Après les derniers et graves événements qui ont marqué la détérioration de la situation, Dominique de Villepin est arrivé vendredi à Abidjan. Il doit effectuer en Côte d’Ivoire une visite de plusieurs jours au cours de laquelle il s’entretiendra tant avec les autorités qu’avec les rebelles.
La tension justifie donc l'intervention directe, toute affaire cessante, du chef de la diplomatie française. Et, pour sa deuxième visite en Côte d’Ivoire depuis le début de la crise, Dominique de Villepin va prendre le temps qu'il faut pour rencontrer tous ceux qui comptent dans la résolution du conflit: les autorités, vendredi à Abidjan, et les rebelles, samedi à Bouaké. Il est vrai que la situation est grave, aux plans politique et militaire, et qu’elle donne des signes de pourrissement. Les négociations entamées à Lomé ont échoué, les incidents armés se multiplient et la relève ouest-africaine arrive lentement. Bref, avec ses quelques 2 500 hommes sur place Paris est bien seule dans cette crise. Et même s’il est prématuré et inexact d’évoquer un quelconque «bourbier ivoirien» pour la France, la préoccupation est grande car elle présente un «double risque: l’aggravation de la situation intérieure et l’instabilité de l’ensemble de la région», a déclaré le ministre français au Parisien avant de s’envoler pour Abidjan.

Son programme est ambitieux. La France veut «un calendrier rapide qui prenne en compte l’ensemble des aspects du conflit: pacification sur le terrain avec un cessez-le-feu respecté par tous; négociation politique entre tous les Ivoiriens pour retrouver les bases d’un pacte national; soutien et garantie de la communauté internationale à un plan de sortie de la crise ivoirienne». Dés son arrivée Dominique de Villepin a notamment proposé de réunir les formations politiques ivoiriennes à Paris cette fois.

Car les derniers événements préfigurent davantage une dérive militaire du conflit qu'une volonté d'aboutir par la négociation. Outre la multiplication des incidents entre les forces françaises et les deux mouvements rebelles actifs dans la région ouest, l'attaque par des hélicoptères gouvernementaux d'objectifs présumés contrôlés par les rebelles du Nord, le 31 décembre, a considérablement détérioré le climat. Pour mener à bien cette offensive, les hélicoptères de l'armée ivoirienne, servis et pilotés par des mercenaires, ont du violer la «ligne de non franchissement» (LNF), garantie par les soldats français. L'attaque du village de Menakro, sur les rives du lac de Kossou, s'est soldée par la mort de douze civils. «Un acte (…) irresponsable et inadmissible», a déclaré à Libération le général français Emmanuel Beth, qui dirige l’opération Licorne et qui réclame des explications aux autorités ivoiriennes sur cette opération qu’il qualifie de «scandaleuse». Lourde de conséquences en tout cas puisque, parmi ses réactions, les rebelles nordistes du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire indiquent qu’ils ne sont plus liés par l’accord de cessez-le-feu du 17 octobre.

Les rebelles de l’Ouest ont contourné Duékoué

L’autre front, à l’Ouest, manifeste également de sérieux signes d’embrasement. Selon des informations publiées par l’agence de presse Reuters, il règnait vendredi encore une importante activité militaire le long de la frontière où des rebelles, infiltrés en plusieurs points du Libéria voisin, ont conquis jeudi la localité de Néka. De source militaire, les rebelles ont élargi le front au nord et au sud du village et «la situation y est très confuse». Ce nouvel épisode ramène les hommes du Mpigo et du Mjp, et peut-être leurs propres mercenaires libériens, à moins de deux cents kilomètres du grand port cacaoyer de San Pedro, loin derrière l’indépassable check-point français de Duékoué, sur lequel ils s’étaient cassés les dents à plusieurs reprises au cours de ces derniers jours.

C’est dans ce contexte que les premiers éléments de la force ouest-africaine sont, eux aussi, arrivés vendredi en Côte d’ivoire, plus de trois mois après la décision de déploiement prise par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Aujourd’hui ils ne sont guère plus d’une cinquantaine. A terme, l’effectif total des «casques blancs» atteindra 1 264 hommes. Mais les dernières évolutions militaires de la situation posent désormais la question du mandat sous lequel ils travailleront. Jusqu’à présent il devait relever les soldats français de la LNF, c’est à dire assurer une mission d’observation et de surveillance. Or les événements de ces jours passés montrent que la nervosité à pris le pas et que certains enchaînements peuvent facilement conduire à l’usage du feu. Le ministre français des Affaires étrangères rappelait dans son entretien au Parisien juste avant son départ, vendredi, que «la France, qui a une responsabilité particulière vis-à-vis de l’Afrique, est en initiative sur cette crise». Paris prendra donc probablement, avec ses amis africains, les responsabilités militaires qui accompagnent sa «responsabilité particulière». Ce qui se traduira par une présence prolongée. D’ailleurs, il n’y a pas de date-butoir, déclare encore le général Beth qui précise que la présence de ses soldats est conditionnée «surtout à la conclusion du processus de négociations politiques en cours entre les acteurs de la crise». Dont il est peu vraisemblable qu’il aboutisse dans les jours, voire les semaines, à venir.

Enfin, spontanéité populaire ou dérapage orchestré ? A l’issue d’un premier entretien avec le président Laurent Gbagbo, la voiture du ministre français a été bloquée dans la résidence présidentielle par une centaine de manifestants hostiles à l’attitude de la France dans le conflit. Le chef de l’Etat ivoirien est personnellement intervenu pour s’adresser aux mécontents et permettre à Dominique de Villepin de regagner la résidence de l’ambassadeur de France. A pied.



par Georges  Abou

Article publié le 03/01/2003