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Côte d''Ivoire

Un «Camp David» à la française

C’est bien le 15 janvier que s’ouvre, près de Paris, une réunion à la fois spéciale et cruciale sur l’avenir de la Côte d’Ivoire. «Elle réunira l’ensemble des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, le RDR et les représentants politiques de la rébellion (MPCI, MPIGO et MJP)», a précisé lundi le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères. Cette réunion devrait s’achever le 24 janvier.
La réunion sera ouverte le 15 janvier à midi par Dominique de Villepin au centre de conférences internationales de l’avenue Kléber, à Paris, mais elle se poursuivra dans un endroit quelque peu inattendu : le domaine de Bellejame, siège du Centre national du rugby, à Linas-Marcoussis, situé au sud de Paris.

Cette réunion se tiendra donc dans un lieu on ne peut plus discret et ne sera pas ouverte à la presse. Celle-ci pourra néanmoins suivre l’ouverture des travaux et bénéficier d’un point de presse quotidien du porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Son objectif affiché: «la sortie de la crise et le retour à la paix et à l’unité de la Côte d’Ivoire», toujours selon le porte-parole François Rivasseau qui a ajouté: «Nous allons bâtir sur les acquis de la médiation africaine, qu’il s’agit de prolonger et de conduire à son terme». Une médiation qui a certes abouti à plusieurs cessez-le-feu, mais qui se heurte toujours à plusieurs obstacles et a quelque peu figé le partage de facto du pays en deux «zones militaires».

Autre détail inattendu : cette réunion sera présidée par un ancien ministre, Pierre Mazeaud, actuellement membre du Conseil constitutionnel, dont le franc-parler est légendaire. Il en aura probablement besoin, au vu des déclarations préliminaires des différents participants, à propos notamment de l’éternelle question du statut d’Alassane Ouattara, le président du RDR en exil au Gabon. La France ne souhaite d’ailleurs pas rouvrir cette affaire épineuse et récurrente, dés l’ouverture d’une réunion qui ressemble fort à la méthode «Camp David» utilisée dans le passé par les Etats-Unis, pour régler - ne serait-ce que provisoirement - la question proche-orientale.

Plusieurs questions restent toujours sans réponse : quelle sera la représentativité de chaque participant ? Y aura-t-il trois niveaux différents ? Selon des indiscrétions, les quatre principaux partis (FPI, RDR, PDCI et UDPCI) et le principal mouvement rebelle (le MPCI) seraient chacun représenté par cinq personnes, tandis que les deux autres mouvements rebelles (le MPIGO et le MJP) n’auraient droit qu’à deux représentants, voire un seul pour les trois autres partis politiques (le PIT, le MFA et l'UDCY). Ce qui a aussitôt déclenché des réactions de mécontentement de la part de ces derniers.

Seule bonne note dans ce contexte plutôt morose, le MPIGO et le MJP, ainsi que le pouvoir en place, ont officiellement accepté de signer, ce 13 janvier à Lomé (Togo) l’accord de cessez-le-feu mis au point par la CEDEAO et qui avait été paraphé par le MPCI.

Enjeux français
La France joue gros dans cette affaire. Après s’être engagée dés le 22 septembre, trois jours après le début de la mutinerie, en envoyant sur place des renforts militaires, elle a tout d’abord dû faire la démonstration de sa capacité à assurer, sans mandat, une mission de protection et de rapatriement à l’égard des expatriés. Moins d’un mois plus tard, la mission des troupes françaises est élargie à la surveillance du cessez-le-feu, en attendant l’arrivée d’une force d’interposition ouest-africaine dont le déploiement devait être finalisé ces jours-ci.

Trois mois se sont donc écoulés, émaillés d’incidents et d’affrontements, au cours desquels les soldats français ont réussi, tant bien que mal, à gérer les contradictions d’une situation qui les plaçait en situation, à la fois de juge et partie: allié du pouvoir ivoirien au nom du soutien logistique accordé, d’une certaine idée de la légalité constitutionnelle, d’une réelle inquiétude d’un dérapage régionale incontrôlé, comme ce fut le cas au Rwanda en 1994, entraînant une grave détérioration de l’image et des intérêts de la France sur le continent; mais également observateurs impartiaux d’une trêve dont le respect réclame de leur part un professionnalisme incontestable, tant sur le plan diplomatique, que sur le plan strictement militaire. Raison pour laquelle, sur ce chapitre du moins, il est inexact de parler «d’enlisement»: la configuration ivoirienne, en 2003, n’a rien à voir avec la situation dans laquelle se trouvait l’armée américaine au Vietnam à la fin des années 60.

En revanche l’enlisement diplomatique est bien réel. La CEDEAO a échoué. Et jusqu’alors l’ONU n’ayant pas été sollicitée, la France s’est donc retrouvée bien seule à faire admettre aux parties ivoiriennes que la paix ne se faisait qu’entre ennemis, et moyennant d’importantes concessions. Car c’est une nouvelle génération d’opposants qui a pris les armes en Côte d’Ivoire, apparemment moins soucieuse que ses aînés de signer à la va-vite des documents dont chacun sait pertinemment qu’ils seront détournés de leur vocation à peine les signataires rentrés chez eux.

Paris avait, dés l’origine de la crise, pris la mesure de la gravité de la situation en annonçant immédiatement qu’il n’y aurait pas de règlement militaire, mais politique de la crise et que sa contribution n’avait d’autre objectif que de favoriser le dialogue inter-ivoirien. C’est cette capacité-là dont elle doit faire la démonstration, à partir du 15 janvier: prendre le relais des instances en faillite et, au moment où d’autres grands pays sont tentés par le cavalier seul, adresser à l’ONU, à Washington, à l’Otan et à l’Union européenne le message que la France demeure une grande nation digne du rang qu’elle occupe, c’est à dire capable de projeter efficacement des forces à l’extérieur et engager une diplomatie offensive, en urgence.

Car c’est peut-être aussi hors du contexte régional que doit se comprendre cet engagement, plus conforme à la nouvelle politique africaine de la France, dans cette partie du monde.



par Georges ABOU et Elio  COMARIN

Article publié le 13/01/2003