Chypre
En plein triangle des Bermudes
Bloqué depuis plus de quatre décennies, le conflit chypriote est entré, à la faveur du calendrier de l’élargissement de l’Union européenne et des ultimatums de l’ONU, dans une phase critique. Le «maillon faible» c’est Chypre nord, mais les réticences, les incertitudes et maintenant les divisions sont plus grandes que jamais.
A Chypre, non seulement le sablier est retourné, mais un bras de fer fratricide est engagé dans la partie nord, turcophone, de la petite île de Méditerranée orientale. Les acteurs ne sont plus seulement les deux leaders des communautés chypriotes, Rauf Denktash et Glafcos Cléridès, aussi complices qu’ennemis, et aussi indéboulonnables l’un que l’autre. A preuve, le vieux (83 ans) président de la République de Chypre a annoncé qu’il se représenterait finalement à sa propre succession pour un mandat raccourci lui permettant de sceller l’entrée dans l’UE. Et ultime coup de théâtre en date sur cette micro-scène politique chypriote-grecque, il affrontera l’un de ses plus proches conseillers, Alecos Markidès qui vient également d’annoncer, samedi, sa candidature lors du scrutin du 16 février.
Mais c’est bien vers le nord de l’île que les regards se tournent, où la population de la République turque de Chypre nord (reconnue seulement pas Ankara) rêve, elle, de se débarrasser de son vieux (78 ans) patriarche, qu’elle accuse de bloquer toute dynamique de règlement, et d’entretenir l’isolement. «Oui à la paix, oui à la réunification, oui à l’Union Européenne, non à Denktash!», scandaient fin décembre 30 000 manifestants, soit 1/6 de cette petite communauté de moins en moins docile. Un événement exceptionnel, dont les prémices remontent au saccage du Parlement par une foule de victimes de faillites bancaires, à l’été 2001, suivi de nombreux rassemblements, notamment tout l’automne dernier.
Commentaire à Ankara: «Si le même jour, 30 000 personnes se retrouvent dans la rue à Chypre, cela veut dire qu’il se passe quelque chose (…), on ne peut pas faire omission du point de vue du peuple». Un ton critique inhabituel de la part de la «Mère Patrie», proche du désaveu, doublé d’une mise en garde solennelle: «vous nous aviez dit que vous étiez prêt à vous asseoir à la table des négociations, alors faites-le (…), je ne suis pas en faveur de la politique menée depuis 30 ou 40 ans».
L’auteur de ces propos comminatoires, rompant avec le dogme de la protection immuable de ce territoire occupé militairement depuis vingt-huit ans, c’est le chef du Parti de la justice et du développement au pouvoir depuis novembre -et futur Premier ministre- Recep Tayyip Erdogan. Dit-il ce que beaucoup pensent tout bas? Chacun lui reconnaît en tous cas une certaine franchise dans le discours et une solide dose de bon sens. L’arrivée aux affaires de M. Erdogan et de ses amis de l’AKP avait déjà levé quelques tabous, comme la possibilité de rendre des territoires aux Chypriotes grecs dans le cadre d’un plan de paix présenté par l’ONU, c’est maintenant la personne même de M. Denktash et son immobilisme qui sont en accusation.
Date-butoir: le 28 février
Cette quasi-mise en demeure change incontestablement la donne -outre qu’elle contribue quelque peu à dissiper un sentiment turcophobe grandissant- en ouvrant de nouvelles perspectives de politique intérieure. Cantonnée jusque-là à un rôle de figuration, l’opposition au régime Denktash a désormais voix au chapitre, à preuve la série d’entretiens que M. Denktash a mené jeudi et vendredi avec les partis politiques de Chypre nord, et qui se poursuivront lundi. Il est clair en tous cas que c’est bien Ankara qui peut faire basculer le rapport des forces.
Car l’avenir européen de la Turquie, confirmé sous réserve à Copenhague en décembre dernier, est désormais directement dépendant d’une solution à la question chypriote. «Le problème chypriote, c’est celui de toute la nation turque, et c’est surtout celui de l’ouverture de la route de la Turquie vers l’Union européenne», résumait vendredi Mustafa Akinci, ancien secrétaire général du Parti du salut communautaire (TKP), l’une des formations d’opposition de Chypre nord.
C’est là que le bât blesse pour Ankara: défendre coûte que coûte ce petit Etat demeuré au ban de la communauté internationale justifie-t-il de manquer l’opportunité enfin concrétisée de transformer sa candidature à l’intégration de l’Union Européenne? La balance penche manifestement de plus en plus vers le «non», même si la Turquie non plus ne parle pas d’une seule voix: «Une solution à Chypre doit tenir compte des intérêts de la Turquie», disait vendredi le porte-parole de la présidence de la République turque.
L’ONU a fixé comme date-butoir d’un accord entre les deux communautés le 28 février, Chypre devra se prononcer par référendum le 16 avril sur son entrée pleine et entière dans l’UE, prévue pour avril 2004. Alors on cherche à gagner du temps, à Ankara comme à Nicosie nord, devant cet écheveau d’enjeux contradictoires et d’échéances cruciales, traduisant l’éclatement de la coalition du «non» à une réunification de l’île. «C’est la fin d’une époque faite de souffrances», prophétise un commentateur. Mais personne ne sait exactement comment Chypre nord va tourner la page pour «tomber dans les bras du reste du monde», selon l’expression de M. Akinci.
Mais c’est bien vers le nord de l’île que les regards se tournent, où la population de la République turque de Chypre nord (reconnue seulement pas Ankara) rêve, elle, de se débarrasser de son vieux (78 ans) patriarche, qu’elle accuse de bloquer toute dynamique de règlement, et d’entretenir l’isolement. «Oui à la paix, oui à la réunification, oui à l’Union Européenne, non à Denktash!», scandaient fin décembre 30 000 manifestants, soit 1/6 de cette petite communauté de moins en moins docile. Un événement exceptionnel, dont les prémices remontent au saccage du Parlement par une foule de victimes de faillites bancaires, à l’été 2001, suivi de nombreux rassemblements, notamment tout l’automne dernier.
Commentaire à Ankara: «Si le même jour, 30 000 personnes se retrouvent dans la rue à Chypre, cela veut dire qu’il se passe quelque chose (…), on ne peut pas faire omission du point de vue du peuple». Un ton critique inhabituel de la part de la «Mère Patrie», proche du désaveu, doublé d’une mise en garde solennelle: «vous nous aviez dit que vous étiez prêt à vous asseoir à la table des négociations, alors faites-le (…), je ne suis pas en faveur de la politique menée depuis 30 ou 40 ans».
L’auteur de ces propos comminatoires, rompant avec le dogme de la protection immuable de ce territoire occupé militairement depuis vingt-huit ans, c’est le chef du Parti de la justice et du développement au pouvoir depuis novembre -et futur Premier ministre- Recep Tayyip Erdogan. Dit-il ce que beaucoup pensent tout bas? Chacun lui reconnaît en tous cas une certaine franchise dans le discours et une solide dose de bon sens. L’arrivée aux affaires de M. Erdogan et de ses amis de l’AKP avait déjà levé quelques tabous, comme la possibilité de rendre des territoires aux Chypriotes grecs dans le cadre d’un plan de paix présenté par l’ONU, c’est maintenant la personne même de M. Denktash et son immobilisme qui sont en accusation.
Date-butoir: le 28 février
Cette quasi-mise en demeure change incontestablement la donne -outre qu’elle contribue quelque peu à dissiper un sentiment turcophobe grandissant- en ouvrant de nouvelles perspectives de politique intérieure. Cantonnée jusque-là à un rôle de figuration, l’opposition au régime Denktash a désormais voix au chapitre, à preuve la série d’entretiens que M. Denktash a mené jeudi et vendredi avec les partis politiques de Chypre nord, et qui se poursuivront lundi. Il est clair en tous cas que c’est bien Ankara qui peut faire basculer le rapport des forces.
Car l’avenir européen de la Turquie, confirmé sous réserve à Copenhague en décembre dernier, est désormais directement dépendant d’une solution à la question chypriote. «Le problème chypriote, c’est celui de toute la nation turque, et c’est surtout celui de l’ouverture de la route de la Turquie vers l’Union européenne», résumait vendredi Mustafa Akinci, ancien secrétaire général du Parti du salut communautaire (TKP), l’une des formations d’opposition de Chypre nord.
C’est là que le bât blesse pour Ankara: défendre coûte que coûte ce petit Etat demeuré au ban de la communauté internationale justifie-t-il de manquer l’opportunité enfin concrétisée de transformer sa candidature à l’intégration de l’Union Européenne? La balance penche manifestement de plus en plus vers le «non», même si la Turquie non plus ne parle pas d’une seule voix: «Une solution à Chypre doit tenir compte des intérêts de la Turquie», disait vendredi le porte-parole de la présidence de la République turque.
L’ONU a fixé comme date-butoir d’un accord entre les deux communautés le 28 février, Chypre devra se prononcer par référendum le 16 avril sur son entrée pleine et entière dans l’UE, prévue pour avril 2004. Alors on cherche à gagner du temps, à Ankara comme à Nicosie nord, devant cet écheveau d’enjeux contradictoires et d’échéances cruciales, traduisant l’éclatement de la coalition du «non» à une réunification de l’île. «C’est la fin d’une époque faite de souffrances», prophétise un commentateur. Mais personne ne sait exactement comment Chypre nord va tourner la page pour «tomber dans les bras du reste du monde», selon l’expression de M. Akinci.
par Jérôme Bastion
Article publié le 05/01/2003