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Santé

Bébés-bulles : les dangers des thérapies géniques

La mise au point d’un traitement par thérapie génique pour les enfants souffrant d’un déficit immunitaire qui les obligeait à vivre en milieu stérile et les condamnait à une mort prématurée, avait suscité en 1999 de grands espoirs. Mais aujourd’hui, alors que deux des dix «bébés-bulles» traités en France ont développé une maladie proche du cancer du sang, tous les essais ont été arrêtés dans l’Hexagone et aux Etats-Unis. En attendant de trouver les causes de cet effet secondaire particulièrement dangereux et les moyens de l’éviter. Cette découverte rappelle que le chemin à parcourir pour maîtriser les techniques basées sur la manipulation des gènes, qui représentent parfois la seule perspective d’avenir pour traiter des maladies jusqu’ici incurables, est encore long.
Avant la découverte de l’équipe des professeurs Alain Fischer et Marina Cavazzana-Calvo, de l’hôpital Necker à Paris, le seul traitement du Déficit immunitaire combiné sévère (Dics), une terrible maladie qui prive, les garçons exclusivement, d’une catégorie vitale de leurs défenses immunitaires, était la greffe de la moelle osseuse d’un parent compatible. Mais la réussite de cette opération est extrêmement aléatoire puisqu'elle n’est possible que dans 20 % des cas et provoque de très nombreux rejets. Les bébés qui naissent avec le gène «gamma-C» défectueux sont donc condamnés à vivre en milieu stérile, d’où leur nom de «bébés-bulles», et ont une espérance de vie extrêmement réduite. La plupart décèdent, en effet, dans leur première année de vie.

Dans ce contexte, la recherche génétique représente l’un des seuls espoirs de donner à ces enfants la possibilité de mener une vie normale ou presque. C’est pour cette raison que le traitement mis au point en France, il y a trois ans, a fait figure d’avancée exceptionnelle. Il consiste à transférer un gène-médicament au sein des cellules de la moelle osseuse. Cette copie saine du gène défectueux est obtenue à partir d’un prélèvement de la moelle du patient. Elle est acheminée à l’intérieur de l’organisme grâce à l’utilisation d’un rétrovirus de souris qui joue le rôle de véhicule. Cette technique permet de reconstituer le stock de globules blancs et d’autres cellules de défense de l’organisme.

Comment contrôler les rétrovirus ?

Dans cette manipulation génétique, la principale inconnue se situait au niveau du comportement du rétrovirus, sensé être rendu inoffensif au préalable et ne devant a priori pas pouvoir se multiplier et provoquer des effets secondaires. Il semble pourtant que les précautions prises n’ont pas permis d’empêcher le rétrovirus de provoquer une «dérégulation» d’un gène voisin de celui qu’il devait permettre de traiter. Au bout de trois ans, les deux enfants en question ont donc développé, à trois mois d’intervalle, une maladie très proche de la leucémie. Elle se caractérise par une prolifération anormale de lymphocytes T et certains signes cliniques proches de ceux du cancer du sang. L’apparition de cette complication a nécessité un traitement par chimiothérapie qui a eu, selon les médecins, un effet «satisfaisant». Mais, bien évidemment, cela hypothèque l’avenir des ces enfants.

Et surtout, la découverte de deux cas identiques aussi rapprochés signifie qu’il s’agit sans aucun doute d’un effet secondaire du traitement par thérapie génique que ces petits malades ont subi à leur naissance. Face à ce constat, tous les essais de ce type ont été suspendus en France mais aussi aux Etats-Unis où étaient menées un certain nombre d’expériences «utilisant des vecteurs rétroviraux pour introduire des gènes dans les cellules souches du sang».

Cet échec représente un véritable revers en matière de recherche sur les thérapies géniques car il s’agissait de la première expérience réussie dans ce domaine dans le monde. Les résultats obtenus pendant trois ans avaient permis aux enfants traités de mener une vie quasi-normale hors des structures hospitalières sans qu’aucun effet secondaire ne se manifeste. Cela avait suscité de grands espoirs pour toutes les personnes atteintes de maladies pour lesquelles aucun traitement efficace n’existe encore, comme le Déficit immunitaire combiné sévère ou les myopathies. Cela confirme aussi l’une des appréhensions des chercheurs qui avaient identifié le cancer comme l’un des effets secondaires possibles de ce type de thérapies et qui ont aujourd’hui la confirmation de cette intuition. Reste à savoir s’il s’agit d’une évolution inévitable pour tous les patients traités. L’observation des huit autres enfants qui ont fait partie de la même expérience va, de ce point de vue, être fondamentale.



par Valérie  Gas

Article publié le 17/01/2003