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Irak

Blix met l'Irak en garde

Le chef des inspecteurs de l'ONU, Hans Blix, estime que «l'Irak, aujourd'hui encore, ne semble pas avoir accepté de bonne foi le désarmement exigé». Le patron de l'Agence internationale à l'énergie atomique, Mohamed el-Baradeï s'est montré plus positif et réclame plus de temps. Mais les États-Unis ont utilisé le rapport des inspecteurs pour dénoncer l'attitude irakienne.
De notre correspondant à New York (Nations unies)

Le rapport tant attendu de Hans Blix a donné des frissons aux diplomates du Conseil de sécurité. Après deux mois de travail, le chef des inspecteurs est loin d'être satisfait de la coopération irakienne. «Contrairement à l'Afrique du sud, qui avait décidé par elle-même d'éliminer ses armes nucléaires et d'accueillir les inspections comme un moyen de prouver son désarmement, l'Irak, aujourd'hui encore, ne semble pas avoir accepté de bonne foi le désarmement exigé et que l'Irak doit accomplir pour gagner la confiance du monde, et pour vivre en paix» a déclaré Hans Blix, devant les caméras du monde entier. Selon le chef des inspecteurs de l'ONU, sur la forme, l'Irak coopère de manière «plutôt bonne». Ses inspecteurs ont eu accès à tous les sites, y compris les universités, les palais présidentiels ou les maisons individuelles. A chaque fois, à une exception près, cet accès a été immédiat et illimité. Mais pour Hans Blix, cela est loin d'être suffisant. «Le paragraphe 9 de la résolution 1441 établit que la coopération irakienne doit être active, a-t-il expliqué. Il ne suffit pas d'ouvrir des portes. Les inspections ne sont pas un jeu de cache-cache

Hans Blix a longuement détaillé la liste de ses griefs à l'égard de l'Irak qui refuse par exemple toujours de garantir la sécurité d'avions U-2 mis à la disposition de l'ONU pour prendre des photos aériennes. Le diplomate suédois s'est également plaint de récents «incidents préoccupants et de harcèlement» contre ses inspecteurs : des manifestations anti-inspections, des accusations d'espionnage, un incident inventé dans une mosquée ou le fait que chaque inspecteur soit encadré par des officiels, parfois au nombre de cinq contre un. Plus grave, dans la déclaration de ses armements, l'Irak a selon lui laissé sans réponse de nombreuses questions. L'Irak nie par exemple avoir produit le gaz innervant VX de manière à en faire une arme de guerre. «La Cocovinu a des informations qui contredisent cette affirmation» a expliqué Hans Blix.

Toujours dans cet ordre d'idée, l'Irak n'a selon le chef des inspecteurs pas prouvé la destruction ou l'utilisation de 6 500 bombes chimiques détenues par le régime. «La quantité d'agent chimique dans ces bombes serait de l'ordre de 1 000 tonnes. En l'absence de preuves du contraire, nous devons présumer que ces quantités sont manquantes.» Hans Blix s'inquiète également de la découverte de têtes vides de roquettes chimiques de 122 mm trouvées récemment et que l'Irak dit avoir oublié. «Ce pourrait être le cas. Mais elles pourraient aussi être la partie visible de l'iceberg», prévient-il. Il pose également des questions concernant des milliers de litres d'anthrax que l'Irak aurait produit. Il se demande aussi si l'Irak a conservé des missiles de type Scud après la guerre du Golfe. Deux types de missiles testés par les inspecteurs ont par ailleurs dépassé la portée maximale de 150 km autorisée à l'Irak.

Pour faire la preuve de sa bonne foi, l'Irak doit selon le chef des inspecteurs fournir davantage de documents, de preuves que certains équipements ont été détruits, fournir la liste complète de ses scientifiques ayant participé à des programmes d'armement et les encourager à accepter de s'entretenir en privé avec les inspecteurs, hors de toute présence d'officiels irakiens -ce que pour l'instant, ils ont tous refusé de faire. En conclusion, Hans Blix n'est pas en mesure de dire que l'Irak a toujours des armes de destruction massive. Mais il n'est pas en mesure de dire le contraire. Il s'est refusé à demander directement plus de temps pour les inspections, se bornant à réaffirmer que son équipe était «à la disposition du Conseil de sécurité».

«Hans Blix a été trop négatif, estime un diplomate du Conseil. Il a vu le verre à moitié vide là où Mohamed el-Baradeï a vu le verre à moitié plein». Il est vrai que le patron de l'Agence internationale à l'énergie atomique (AIEA) s'est montré plus optimiste. «Au cours de ces deux premiers mois d'inspections, nous avons fait de bons progrès», a-t-il estimé. Durant les inspections menées dans les sites suspects identifiés par images satellites, «aucune activité nucléaire prohibée n'a été identifiée» a-t-il ajouté, expliquant que les tubes d'aluminium que l'Irak a tenté de se produire étaient vraisemblablement destinés à la fabrication de roquettes conventionnelles, et non à enrichir de l'uranium, comme certains le craignaient. Lui aussi s'est toutefois plaint de ne pas pouvoir interroger en privé les scientifiques irakiens. En conclusion, le chef de l'AIEA demande aux Irakiens d'augmenter leur degré de coopération, même si il reconnaît que tous les sites lui ont été ouverts sans délais. Il réclame aussi plusieurs mois supplémentaires pour mener à bien ses inspections. «Ces quelques mois seraient un investissement de valeur pour la paix, car ils pourraient nous aider à éviter une guerre», a-t-il affirmé.

Sans surprise, les différents pays du Conseil de sécurité ont retenu ce que les arrangeait de ce premier rapport d'étape. Les États-Unis ont immédiatement exploité la situation pour indiquer que la fin de la partie approchait. Allant jusqu'à citer des passages entiers des déclarations de Hans Blix, le secrétaire d'État Colin Powell a affirmé que «le temps accordé à l'Irak pour choisir un désarmement pacifique arrive rapidement à son terme». Selon lui, Washington va consulter ses alliés au cours des semaines à venir avant de décider de la suite. «La question n'est pas de savoir de combien de temps les inspecteurs ont besoin pour chercher dans le noir. C'est combien de temps supplémentaire devrait-on donner à l'Irak pour allumer la lumière et se blanchir», a-t-il estimé.

«Aussi longtemps que les mécanismes mis en place pour un désarmement pacifique à travers les inspections fonctionnent, il n'y a pas de raison de ne pas les poursuivre» a pour sa part estimé l'ambassadeur français à l'ONU Jean-Marc de la Sablière. Cet avis semblait partagé par une majorité de pays du Conseil, à commencer par l'Allemagne, la Russie et la Chine. La Grande Bretagne, l'Espagne et la Bulgarie ont de leur côté clairement basculé dans le camp américain, alors que beaucoup de pays rechignent pour l'instant à se prononcer clairement. Après le discours de George Bush sur l'état de l'Union, mardi soir, le Conseil doit de nouveau se réunir mercredi pour étudier la situation plus en détail.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 28/01/2003