Immigration
Expulsion mortelle d’un Somalien
Mariame Getu Hagos, un Somalien de 24 ans est mort, il y a quelques jours, d’un malaise cardiaque lors de son expulsion par les forces de l’ordre françaises, à l’aéroport de Roissy. Il était arrivé en France, seul et sans papier le 11 janvier dernier de Johannesbourg. En deux semaines, deux étrangers en situation irrégulière sont décédés lors de leur embarquement. Ces deux décès font ressurgir le débat sur les conditions d’expulsion des sans-papier. Les explications d’Hélène Gacon, présidente de l’Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE).
RFI : Quelle est l’action de l’ANAFE en général et en particulier dans ce genre d’affaire ?
Hélène Gacon : L’action de l’ANAFE est de faire pression au niveau des pouvoirs publics pour qu’il y ait des réformes concernant le régime même de la zone d’attente dont le cadre juridique ne nous semble pas satisfaisant pour décider du principe de l’admission ou non des étrangers sur le territoire français. Ensuite, dans le cadre qui a été fixé par le législateur, nous veillons à ce que les principes de fonctionnement quotidiens - matériel, social, médical, humanitaire et juridique - se déroulent de manière satisfaisante quant à la dignité humaine. Une autre de nos missions est d’apporter des réponses individuelles aux étrangers maintenus en zone d’attente, notamment par le biais de permanences téléphoniques qui sont assurées pratiquement toute la semaine. Si c’est nécessaire nous pouvons intervenir auprès des services publics pour tel ou tel cas. Nous revendiquons surtout une présence permanente, nous sommes un partenaire indispensable et le regard d’une personne extérieure peut compenser les risques de dérives éventuelles de la part de l’administration. Pour le cas du Somalien décédé, nous avons décidé de saisir le Premier ministre pour lui exprimer notre inquiétude mais aussi pour l’inciter à saisir la commission qu’il a instituée auprès de Matignon, la Commission nationale de déontologie et de sécurité, présidée par Pierre Truche. Cette action politique nous semble évidente. Toutefois nous sommes aussi convaincus que le débat judiciaire est équilibré et qu’il est à même de nous donner tous les éléments pour répondre à nos inquiétudes.
RFI : Quelles sont les méthodes employées par la police française pour les expulsions de sans- papier ?
H.G : Lorsqu’un embarquement est décidé par l’administration française soit pour un éloignement, c’est-à-dire à l’égard d’une personne qui est restée en France et dont l’embarquement a été forcé, soit à l’encontre d’une personne qui est passé par un centre de rétention administrative, la police aux frontières (PAF) intervient. Dans les deux cas de figure, les méthodes employées sont identiques : elles commencent par une annonce juridique où l’on notifie la mesure qui justifie l’éloignement ou la non-admission sur le territoire et ensuite une annonce verbale est faite. Si la personne manifeste son accord, il n’y a pas de difficulté, sinon le refus est consigné dans un procès verbal et la personne est extraite de la zone d’attente pour être placée dans un avion. Selon les cas de figure, la PAF va prendre des mesures plus ou moins énergiques en décidant si l’accompagnement de cette personne doit être faite ou non par une escorte et éventuellement avec l’utilisation de certains objets comme des menottes. Ces méthodes sont systématiquement suivies et leur sévérité est décidée par la PAF en relation notamment avec le comportement ou la résistance manifestés par l’étranger.
RFI : Les autres pays européens connaissent également ces problèmes. Comment agissent-ils ?
H.G : Ces pays agissent dans des conditions tout à fait similaires en terme de moyens employés. C’est ce qui avait notamment incité le Conseil de l’Europe à adopter une recommandation, il y a un an, faisant part des inquiétudes de cet organe qui a pu constater qu’il y avait des pratiques qui aboutissaient à des évènements de plus en plus tragiques et de plus en plus fréquents dans les Etats membres de l’Europe.
RFI : En deux semaines, deux étrangers en situation irrégulière, un Argentin au début du mois, et le Somalien il y a quelques jours sont décédés à Roissy. Y-a-t-il, selon vous, une augmentation de ces décès depuis quelques temps ?
H.G : A notre connaissance, l’Argentin et le Somalien sont les deux seules personnes à être décédées depuis 1991. Ce que je constate, c’est que ces deux décès ne nous ont pas été annoncés par la PAF. D’ailleurs concernant l’Argentin, on a appris la nouvelle plusieurs jours après sa mort, alors il y en a peut-être eu sans qu’on le sache !
RFI : Que pensez-vous de la suspension des trois policiers et des propos du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy qui a déclaré qu’il n’accepterait «aucune dérive» ?
H.G : S'agissant des déclarations du ministre de l'Intérieur, c'est quand même le minimum que l'on puisse attendre de lui. Il n'y a pas, à l'ANAFE, d'interprétation ni en terme positif ni en terme négatif. Tout cela est tout à fait usuel. Concernant la suspension des agents de la police, cette mesure est systématique dès lors qu’une procédure judiciaire est ouverte à leur encontre. A propos du décès de l’Argentin, la justice n’avait rien fait, n’avait pas ouvert d'information judiciaire donc aucune mesure disciplinaire n’avait été prise, même à titre provisoire à l’égard des agents qui composaient l’escorte de cet homme. Concernant maintenant le Somalien, il y a eu une suspension des policiers le 22 janvier, car la veille le Parquet de Bobigny avait annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire. En fait, il en va d’une logique habituelle pour ce genre de circonstances. Il n’y a pas de conclusions particulières à tirer quant à la gravité de ce qui s’est passé. La vraie question c’est de savoir pourquoi une information judiciaire a été ouverte pour le Somalien et pas pour l’Argentin. En fait, je pense qu’à propos du Somalien, elle a eu lieu car il ne fait aucun doute que ce décès a été précédé de deux malaises pour lesquels un médecin est intervenu. Quoiqu’il arrive, il faut que lumière soit faite et c’est pour cette raison que nous avons porté plainte. La justice va être obligée de faire son travail et ainsi de ne pas classer ce dossier sans suite.
Pour information :
Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE)
21 ter rue Voltaire - 75011 PARIS
01 43 67 27 52
Hélène Gacon : L’action de l’ANAFE est de faire pression au niveau des pouvoirs publics pour qu’il y ait des réformes concernant le régime même de la zone d’attente dont le cadre juridique ne nous semble pas satisfaisant pour décider du principe de l’admission ou non des étrangers sur le territoire français. Ensuite, dans le cadre qui a été fixé par le législateur, nous veillons à ce que les principes de fonctionnement quotidiens - matériel, social, médical, humanitaire et juridique - se déroulent de manière satisfaisante quant à la dignité humaine. Une autre de nos missions est d’apporter des réponses individuelles aux étrangers maintenus en zone d’attente, notamment par le biais de permanences téléphoniques qui sont assurées pratiquement toute la semaine. Si c’est nécessaire nous pouvons intervenir auprès des services publics pour tel ou tel cas. Nous revendiquons surtout une présence permanente, nous sommes un partenaire indispensable et le regard d’une personne extérieure peut compenser les risques de dérives éventuelles de la part de l’administration. Pour le cas du Somalien décédé, nous avons décidé de saisir le Premier ministre pour lui exprimer notre inquiétude mais aussi pour l’inciter à saisir la commission qu’il a instituée auprès de Matignon, la Commission nationale de déontologie et de sécurité, présidée par Pierre Truche. Cette action politique nous semble évidente. Toutefois nous sommes aussi convaincus que le débat judiciaire est équilibré et qu’il est à même de nous donner tous les éléments pour répondre à nos inquiétudes.
RFI : Quelles sont les méthodes employées par la police française pour les expulsions de sans- papier ?
H.G : Lorsqu’un embarquement est décidé par l’administration française soit pour un éloignement, c’est-à-dire à l’égard d’une personne qui est restée en France et dont l’embarquement a été forcé, soit à l’encontre d’une personne qui est passé par un centre de rétention administrative, la police aux frontières (PAF) intervient. Dans les deux cas de figure, les méthodes employées sont identiques : elles commencent par une annonce juridique où l’on notifie la mesure qui justifie l’éloignement ou la non-admission sur le territoire et ensuite une annonce verbale est faite. Si la personne manifeste son accord, il n’y a pas de difficulté, sinon le refus est consigné dans un procès verbal et la personne est extraite de la zone d’attente pour être placée dans un avion. Selon les cas de figure, la PAF va prendre des mesures plus ou moins énergiques en décidant si l’accompagnement de cette personne doit être faite ou non par une escorte et éventuellement avec l’utilisation de certains objets comme des menottes. Ces méthodes sont systématiquement suivies et leur sévérité est décidée par la PAF en relation notamment avec le comportement ou la résistance manifestés par l’étranger.
RFI : Les autres pays européens connaissent également ces problèmes. Comment agissent-ils ?
H.G : Ces pays agissent dans des conditions tout à fait similaires en terme de moyens employés. C’est ce qui avait notamment incité le Conseil de l’Europe à adopter une recommandation, il y a un an, faisant part des inquiétudes de cet organe qui a pu constater qu’il y avait des pratiques qui aboutissaient à des évènements de plus en plus tragiques et de plus en plus fréquents dans les Etats membres de l’Europe.
RFI : En deux semaines, deux étrangers en situation irrégulière, un Argentin au début du mois, et le Somalien il y a quelques jours sont décédés à Roissy. Y-a-t-il, selon vous, une augmentation de ces décès depuis quelques temps ?
H.G : A notre connaissance, l’Argentin et le Somalien sont les deux seules personnes à être décédées depuis 1991. Ce que je constate, c’est que ces deux décès ne nous ont pas été annoncés par la PAF. D’ailleurs concernant l’Argentin, on a appris la nouvelle plusieurs jours après sa mort, alors il y en a peut-être eu sans qu’on le sache !
RFI : Que pensez-vous de la suspension des trois policiers et des propos du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy qui a déclaré qu’il n’accepterait «aucune dérive» ?
H.G : S'agissant des déclarations du ministre de l'Intérieur, c'est quand même le minimum que l'on puisse attendre de lui. Il n'y a pas, à l'ANAFE, d'interprétation ni en terme positif ni en terme négatif. Tout cela est tout à fait usuel. Concernant la suspension des agents de la police, cette mesure est systématique dès lors qu’une procédure judiciaire est ouverte à leur encontre. A propos du décès de l’Argentin, la justice n’avait rien fait, n’avait pas ouvert d'information judiciaire donc aucune mesure disciplinaire n’avait été prise, même à titre provisoire à l’égard des agents qui composaient l’escorte de cet homme. Concernant maintenant le Somalien, il y a eu une suspension des policiers le 22 janvier, car la veille le Parquet de Bobigny avait annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire. En fait, il en va d’une logique habituelle pour ce genre de circonstances. Il n’y a pas de conclusions particulières à tirer quant à la gravité de ce qui s’est passé. La vraie question c’est de savoir pourquoi une information judiciaire a été ouverte pour le Somalien et pas pour l’Argentin. En fait, je pense qu’à propos du Somalien, elle a eu lieu car il ne fait aucun doute que ce décès a été précédé de deux malaises pour lesquels un médecin est intervenu. Quoiqu’il arrive, il faut que lumière soit faite et c’est pour cette raison que nous avons porté plainte. La justice va être obligée de faire son travail et ainsi de ne pas classer ce dossier sans suite.
Pour information :
Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE)
21 ter rue Voltaire - 75011 PARIS
01 43 67 27 52
par Propos recueillis par Clarisse VERNHES
Article publié le 23/01/2003