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Propriété intellectuelle

Piratage : un projet de loi très controversé

La France envisage de se doter d’une législation pour lutter contre le piratage. Cet avant-projet de loi qui vise à limiter le droit de copier sur le mode américain, suscite l’inquiétude des associations de défense des libertés.
La question récurrente des droits d’auteur sur le Net agite de plus en plus la communauté cybernétique. Le gouvernement s’est penché sur une partie du problème. Résultat : un avant-projet de loi qui a pour objet de transposer la directive européenne du 22 mai 2001 «relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information». Objectif avoué : lutter contre la contrefaçon numérique. Les déclarations du ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon laissent entendre que ce projet de loi est un compromis qui tient compte des intérêts de l’industrie musicale française et des consommateurs. En réalité, il menace le droit à la copie privée. Graver ses propres compilations à partir de ces CD, extraire son morceau favori d’un disque pour l’écouter sur son ordinateur ou encore dupliquer un DVD : autant de pratiques parfaitement légales que le gouvernement s’apprête à proscrire de fait. Si l’on en croit les premières informations de ce document évoquées en décembre dernier dans la presse, ce texte prévoit de légaliser tous les procédés techniques mis en place par les éditeurs et les producteurs sur les CD et DVD pour en limiter la duplication. Surtout, il interdit de les faire sauter, menaçant ainsi directement la copie privée.

La semaine dernière, les professionnels du disque se sont attachés lors du Midem à Cannes, à démontrer qu’il était urgent de prendre des mesures techniques pour tarir le piratage facilité par les graveurs et le téléchargement de fichiers musicaux via les systèmes peer-to-peer (d’ordinateur à ordinateur). Pour les associations de défense des consommateurs comme la Fondation pour le logiciel libre (FSF France) et l’UFC-Que Choisir, ces mesures techniques de protection sont la pomme de la discorde. Face à ce danger, il faut aujourd’hui un acte citoyen fort. Si jusqu’à présent la propriété intellectuelle était un débat réservé aux spécialistes, c’est aujourd’hui une question de fond qui intéresse le grand public. Lundi, s’est déroulée à l’Assemblée nationale à Paris à l’initiative du collectif EUCD.INFO (European union copyright directive) sous la houlette de la FSF France, une conférence pour sensibiliser les internautes et le gouvernement à cette question.

Le début du verrouillage des technologies

Les experts réunis au Parlement n’ont pas caché leurs préoccupations face à ces futures mesures techniques censées protéger les auteurs dans l’environnement numérique. Le juriste Michel Vivant, spécialiste du droit des propriétés intellectuelles, a été le premier à interpeller les pouvoirs publics à la tribune. «Cette bataille n’est pas seulement un combat contre les pirates, c’est surtout un projet de société. Sur le fond, cette directive n’a rien à voir avec le piratage du droit des auteurs, explique-t-il. L’interdiction de la copie privée, c’est le début du verrouillage des technologies». Que nous dit aujourd’hui le législateur ? Plusieurs choses qui s’éloignent bien souvent de la simple transposition de la directive européenne. Comme le précise Loïc Dachary de FSF France, «Notre fondation est pour l’exercice des droits d’auteurs, mais l’intérêt général doit être protégé par la loi. Dans cet avant-projet tel qu’il nous a été présenté, il a quasiment disparu».

Selon Loïc Dachary, la définition de la loi doit être rédigée de manière plus rigoureuse car, pour l’heure, elle laisse la porte ouverte à de grandes incertitudes qui touchent au droit des consommateurs, à la libre concurrence. Qui aura, par exemple, la main sur les systèmes de gestion électronique des droits ? Les auteurs eux-mêmes ou les prestataires de solutions techniques logicielles. Cet avant-projet de loi peut également encourager les abus de position dominante. En effet, les auteurs de mesures techniques sont susceptibles de passer entre eux des accords. Si l’ensemble de ces acteurs ont un monopole, il peut s’agir d’entente illicite.

Le texte introduit également des ambiguïtés en matière de protection de la vie privée. Et Loïc Dachary d’argumenter : «Si l’efficacité d’une mesure technique repose sur la collecte de données personnelles, une personne divulguant des informations fausses pourrait être accusée de contourner une mesure technique de protection. A défaut de fournir ces données, on ne pourra pas jouir de l’œuvre numérique». Autre point qui pose problème celui de la cryptographie. L’exemple du Digital Millennium Copyright Act (DMCA), la législation sur les droits d’auteurs votée en 1988 aux Etats-Unis est sur ce point peu engageant comme aime à le rappeler Loïc Dachary : «le DMCA n’est pas sans poser de problèmes pour ceux qui font de la recherche en cryptographie. La question est de savoir s’ils peuvent créer et développer des algorithmes de chiffrement qui sont susceptibles de contourner les techniques de protection».Les experts le disent tout net, et notamment Bernard Lang, directeur de recherche à l'Institut National de la Recherche en Informatique et en Automatique (Inria) : «ces mesures de protection envisagées par cette loi vont gêner les honnêtes gens et non les professionnels de la contrefaçon numérique qui trouveront toujours des parades à ces systèmes anticopie».



par Myriam  Berber

Article publié le 29/01/2003