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Côte d''Ivoire

La guerre civile s’enlise

Les rebelles sont rentrés le week-end dernier à Bouaké, la «capitale» du Nord de la Côte d’Ivoire, le président Gbagbo bénéficie toujours du soutien des populations du sud du pays, le premier ministre de consensus Seydou Diarra désigné à Paris n’a quant à lui toujours pas pu revenir en Côte d’Ivoire, et le pays est plus que jamais coupé en deux (voire trois) «zones». Autant dire que la Côte d’Ivoire s’enfonce peu à peu dans une crise profonde qui risque de durer et, peut-être, remettre en cause en profondeur les relations - plus que tendues - entre Paris et Abidjan.
Une semaine après la fin des réunions de Marcoussis et de Paris, rien n’est réglé : le gouvernement français est plus que jamais sur la sellette (en France comme sur place), mais continue de réclamer, avec les rebelles, l’application de l’accord de Marcoussis, alors que de plus en plus de voix se lèvent, surtout à Abidjan et ailleurs en Afrique, en faveur d’une renégociation de facto d’un accord de principe signé par toutes les parties à Marcoussis, mais qui visiblement a du mal à être traduit dans les faits. Plus grave, on assiste à une véritable radicalisation des positions de tous les côtés et, sur place, au retour de la «stratégie de la terreur».

«Lorsqu’un accord est source d’autant de désaccords, il faut avoir le courage d’accepter le principe d’une renégociation», a dit un conseiller de Laurent Gbagbo, Toussaint Alain, en attendant le discours du président ivoirien. «Notre patience est à bout, lui a aussitôt répliqué le leader des rebelles, Guillaume Soro. Il faut maintenant que la communauté internationale amène Laurent Gbagbo à mettre en œuvre l’accord ou les combats vont reprendre». Quant au gouvernement français, Dominique de Villepin a demandé «solennellement» au président Gbagbo de respecter les accords de Marcoussis. Ce qui n’a visiblement pas provoqué d‘importants remous du côté d’Abidjan, où le président Gbagbo continue de consulter tous azimuts, avant de s’adresser à la nation, peut-être mercredi prochain, c’est-à-dire juste avant que les trois mouvements rebelles (MPI, MPIGO et MJP) ne se retrouvent à Man (la «capitale» du Grand Ouest) pour se concerter, en vue des prochaines échéances. C’est-à-dire l’éventuelle reprise des combats.

La rue, la ruse et la terreur

Lundi matin, la rue abidjanaise a été une nouvelle fois le théâtre d’une manifestation «contre la guerre et la violence» : cinq à six mille «femmes patriotes» ont défilé pacifiquement devant l’ambassade de France : «Les Français, Villepin et Chirac doivent comprendre qu’on ne peut pas accepter que des gens qui ont fait couler le sang entrent au gouvernement», ont crié certaines d’entre elles. Cette demande désormais explicite de renégociation des accords de Marcoussis a reçu le soutien d’Alphonse Djédjé Mady, secrétaire général du PDCI, qui a dit : «le président Gbagbo a raison : à Marcoussis il n’a jamais été question de partage de postes ministériels ; c’est le sommet de Kléber qui a statué sur le choix du premier ministre et le partage des postes».

De son côté Amara Essy le président par intérim de la Commission de l’UA (Union africaine) - autrefois ministre ivoirien des Affaires étrangères - a dit que le «principe» de l’accord de Marcoussis, est «bon», avant d’ajouter : «La répartition des portefeuilles est une autre chose ; il peut y avoir des formules pour accommoder les uns et les autres. Ce sont les parties qui doivent voir quels sont les aménagements à faire pour que l’accord puisse satisfaire tout le monde».

Mais, Paris acceptera-t-il de remettre sur la table de négociations ce qu’elle appelle «le paquet Marcoussis» ? Visiblement le long bras de fer franco-ivoirien a laissé des traces. La «stratégie du silence» choisie par Gbagbo énerve les responsables de la diplomatie française. Alors que depuis jeudi dernier aucune menace réelle ne semble planer sur les Français d’Abidjan, le Quai d’Orsay a néanmoins conseillé aux Français «dont la présence en Côte d’Ivoire n’est pas indispensable de quitter le pays». Pour Paris, écrit l’Agence France Presse, la coupe est pleine.

Poussé il y a huit jours par le gouvernement français à rentrer au plus vite à Abidjan «pour calmer ses partisans» responsables des manifestations anti-françaises, Laurent Gbagbo en profite aussitôt pour prendre à témoin la légalité et la constitution ivoirienne et refuser ce qu’on avait tenté de lui imposer à Paris. «A malin, malin et demi», semble être la stratégie diplomatique abidjanaise vis-à-vis de «la France de Villepin et de Chirac», qui n’est plus confondue avec «la France tout court» ou «les Français».

Cette confrontation chargée de sous-entendus et de messages codés n’est pas sans danger : «le message de la rue (qui a manifesté en faveur de Gbagbo samedi dernier) était destiné aux Français, a dit le conseiller de Gbagbo Toussaint Alain. Dominique de Villepin doit avoir le courage de reconnaître l’échec de Marcoussis et de relancer le processus en revoyant depuis le début les clauses qui ont choqué le peuple ivoirien». Ce que le ministre français ne semble vraiment pas près de faire.

Lundi la France a condamné «toutes les atteintes aux droits de l’Homme et notamment les enlèvements et assassinats de personnalités proche de l’opposition». Et le porte-parole du Quai d’Orsay d’ajouter : «Il appartient aux autorités ivoiriennes d’identifier et de présenter devant la justice les commanditaires et les auteurs de ces assassinats». Pour lui, ces commanditaires «cherchent à remettre en cause par la violence, le processus de réconciliation nationale engagé par l’ensemble des forces politiques à Marcoussis et accepté par le président Gbagbo à la Conférence de Paris».

Cette mise en garde à peine voilée intervient au lendemain d’autres manifestations violentes de rue à Abidjan : celles d’opposants membres du RDR qui pour la première fois ont osé manifester leur colère au lendemain de l’assassinat du comédien Camara «H», enlevé samedi soir par des hommes en uniforme. Une «première» qui confirme que la guerre civile ivoirienne ne fait probablement que commencer.



par Elio  Comarin

Article publié le 03/02/2003