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Côte d''Ivoire

Le lien franco-ivoirien s’effiloche

Une situation politique bloquée, des dirigeants français stigmatisés, des rassemblements de protestations qui réunissent des centaines de milliers de manifestants, une communauté française fragilisée, menacée, déboussolée et incitée à partir sous les insultes, des escadrons de la mort en pleine activité, un exécutif qui se tait, des rebelles qui menacent de reprendre les armes, une communauté internationale très embarrassée face à un accord qu’elle ne rejette pas, mais dont elle constate qu’en l’état il rajoute à la confusion plutôt qu’il n’offre une issue à la crise ; enfin, une opposition française qui commence à faire entendre sa différence... Les déclarations françaises trahissent l’embarras des autorités face à une situation dégradée, menaçante et imprévisible.
Au cours de ces derniers mois, pourtant, les élus de la nation française s’étaient illustrés par la prudence de leurs propos, lorsqu’ils en tenaient. Depuis quelques jours, après une longue période de silence vraisemblablement dicté par le souci de ne pas porter atteinte aux efforts sincères de la diplomatie française et de ne pas mettre davantage en péril la situation des Français expatriés, ils sont un peu plus bavard. Interrogé dimanche, le premier secrétaire du Parti socialiste français a dénoncé «l’échec total» de la diplomatie française. «Car on a voulu faire passer en force une solution inapplicable», a déclaré François Hollande dont le parti abrite autant de soutiens historiques du président Gbagbo que d'amis d'autres notables de la classe politique ivoirienne, aujourd'hui indésirables à Abidjan.

La déclaration de François Hollande signe-t-elle la fin de la trêve politique intérieure et l'ouverture des hostilités sur le front du débat interne sur la politique extérieure de la France ? Rien n’est moins sûr : si l’on peut s’attendre à quelques duels de circonstances entre la majorité et l’opposition, la doctrine des socialistes français en matière de politique étrangère n’est pas très affirmée. Et en matière de politique africaine de la France, si Jacques Chirac trébuche aujourd’hui sur la Côte d’Ivoire, le Rwanda de François Mitterrand peut toujours venir se rappeler au souvenir des socialistes. Même si, à l’époque, le ministre des Affaires étrangères s’appelait Alain Juppé. On comprend mieux ainsi les pudeurs de la classe politique française à l’égard des aventures de ses dirigeants. Mais ce qui est dit est dit. Et, même si le duel n’est pas acharné, les autorités françaises doivent désormais compter avec une opposition… opposante, sur cette question-là également.

Français exaspérés, forces armées humiliées

Paris, perturbée, où s’est tenue ce lundi un nouveau conseil de sécurité autour du président de la République, en compagnie du Premier ministre, du ministre des Affaires étrangères et de responsables militaires. Mais Paris qui n’en démord pas : depuis le retour à Abidjan de Laurent Gbagbo, le 26 janvier, les autorités françaises exhortent le chef de l’Etat ivoirien à prendre la parole pour approuver publiquement le «paquet» non négociable de Marcoussis.

En fait d’exhortation, le ton est plutôt à l’injonction, trahissant l’exaspération des autorités françaises qui semblent ne pas mesurer l’ampleur du sentiment de colère qui s’est emparé des Abidjanais à l’annonce de l’attribution des ministères de la Défense et de l’Intérieur aux rebelles, appelés à rejoindre un gouvernement d’union nationale, quelques heures seulement après la conclusion de l’accord. Le président français et son ministre des Affaires étrangères ont multiplié les déclarations solennelles visant à convaincre les autorités ivoiriennes à franchir le pas de la reconnaissance de l’accord. Mais la tentative d’imposer non seulement l’accord mais également le choix des hommes chargés de le mettre en œuvre a discrédité l’ensemble de l’édifice aux yeux des principaux intéressés. En effet, Marcoussis aurait dû n’être que le cadre. Tant est si bien qu’aujourd’hui ce n’est même plus l’après-Marcoussis qui est remis en cause, mais l’ensemble du processus, et notamment la clause concernant le désarmement et le cantonnement des forces armées, humiliation inacceptable pour les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire.

Accord contesté, méthode récusée, les relations officielles entre Paris et Yamoussoukro viennent de connaître un formidable et durable revers. Le lien franco-ivoirien s’effiloche et si le divorce n’est pas encore totalement consommé entre Ivoiriens et Français, c’est davantage à ces expatriés, «Africains blancs» désemparés, qui tentent de maintenir encore l’espoir, vaille que vaille, qu’on le doit qu’aux autorités françaises. Ce qui a lieu actuellement dépasse en effet le simple malentendu. Il y a de part et d’autre une évaluation radicalement différente des problèmes soulevés par cette crise et le comportement autoritaire de l’administration française, qui dicte la conduite à tenir à son ancienne colonie, aujourd’hui indépendante et soucieuse de sa souveraineté, finit par se révéler suspect.

Pourtant, face à l'intensification du désordre ivoirien on finit par s'interroger sur le calcul qui en est à l'origine, et qui n'a pas manqué d'être opéré. Notamment cette annonce prématurée, maladroite, incompréhensible de l’attribution des deux ministères de souveraineté aux rebelles. L’effet était garanti. Il a dépassé les prévisions les plus pessimistes. Le cœur du conflit s’est désormais déplacé à Abidjan. Avant de proposer cette solution, les parrains du processus avaient-ils soupesé l'état des forces en présence ? Ont-ils coopté ceux dont ils avaient obtenu les meilleures assurances pour l’avenir ? Faut-il encore tenter de sauver Marcoussis ?



par Georges  Abou

Article publié le 03/02/2003