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Côte d''Ivoire

Après Marcoussis, Yamoussoukro

Un sommet régional devrait être organisé, le week-end prochain, dans la capitale ivoirienne, à l’initiative de la CEDEAO, l’organisation présidée désormais par le Ghanéen John Kufuor, qui vient de rencontrer son homologue ivoirien Laurent Gbagbo ce mercredi à Accra. Quelques pistes commencent déjà à circuler sur la manière de contourner les difficultés qui empêchent la mise en application des accords signés à Marcoussis.
Retour à case départ, en Côte d’Ivoire même. Les négociations sur la sortie de crise pourraient reprendre formellement samedi prochain à Yamoussoukro. Après l’échec de Lomé (Togo) et l’impasse de Marcoussis (banlieue sud de Paris), la CEDEAO tente de reprendre l’initiative diplomatique, et prépare un sommet de chefs d’Etat, en oubliant les cacophonies et les affrontements entre présidents africains de ces dernières semaines. L’organisation régionale de l’Afrique de l’Ouest est aidée en cela par un important changement intervenu à sa tête: le Sénégalais Abdoulaye Wade, qui par ses «sorties» intempestives et pas très diplomatiques avait irrité d’autres médiateurs, a été remplacé le week-end dernier par le Ghanéen John Kufuor, qui avait déjà organisé le premier sommet important, au lendemain du déclenchement du putsch du 19 septembre dernier. Une rotation tout à fait attendue mais qui peut changer la donne diplomatique.

John Kufuor, contrairement à la plupart des autres chefs d’Etat d’Afrique occidentale, ne fait pas partie de la «famille francophone», au sein de laquelle les querelles n’ont jamais manqué et sont parfois savamment entretenues voire attisées. Parallèlement le groupe de contact de la CEDEAO en charge de la crise ivoirienne pourrait revoir sa composition et travailler plus en coopération avec la nouvelle présidence.

Le chef d’Etat ghanéen est d’autre part directement concerné par une crise qui bouleverse les données économiques et commerciales de la sous-région, en déplaçant notamment le transport des matières premières et autres produits d’exportation (bois, hévéa, cacao, café, etc). Ainsi, c’est par le Ghana que passe désormais l’essentiel des échanges commerciaux du Burkina Faso, alors que ce pays est lui aussi plus qu’impliqué dans la «guerre larvée» ivoirienne. De plus, la CEDEAO est mandatée par l’ONU, avec l’armée française, pour assurer une transition longue et difficile notamment sur le plan sécuritaire.

«Ce n’est pas l’extérieur qui va trouver une solution à la crise ivoirienne»

Ce mandat pourrait même faciliter la solution du problème le plus épineux, apparu lors du sommet de l’avenue de Kléber (Paris), au lendemain de la signature de l’accord de Marcoussis: la désignation des principaux porte-feuilles du futur gouvernement de consensus, à commencer par ceux de l’Intérieur et de la Défense que le MPCI avait apparemment obtenus. Plusieurs propositions commencent à circuler, à ce propos, et notamment celle de transformer ces ministères en secrétariats d’Etat, mais elles ont été d’ores et déjà rejetées par les rebelles. On n’exclut plus désormais la suppression pure et simple de ces ministères, et la mise en place d’un «Conseil transitoire» chargé des questions de défense et de sécurité - voire de l’administration territoriale - qui serait composé des loyalistes, des rebelles mais aussi des parties désignées par l’ONU (CEDEAO et France).

L’attribution et la gestion de ces dossiers conditionnent l’avenir du pays. Car la Côte d’Ivoire est non seulement partagée en deux - voire trois - «zones», mais la partie sud, sous contrôle loyaliste, subit de plus en plus les conséquences d’un exode interne qui concerne plus de 600 000 personnes. La quasi totalité des populations originaires du sud (souvent en charge de l’administration) ont quitté le Nord et l’Ouest du pays, par peur d’autres représailles ou règlements de compte, en abandonnant tous leurs biens derrière elles. Ces déplacés ont souvent convergé vers Yamoussoukro et l’agglomération abidjanaise. Alors que la plupart des populations originaires du nord installées dans le sud - et notamment à Abidjan - n’ont pas quitté leurs domiciles, en dépit des disparitions et des assassinats attribués aux «escadrons de la mort». Ce qui rend encore plus délicate l’administration d’une agglomération abidjanaise qui est un train de devenir un immense «camp de réfugiés de l’intérieur».

Dans ce contexte, le sommet de Yamoussoukro revêt une importance particulière. «Ce n’est pas l’extérieur qui va trouver une solution à la crise ivoirienne», a dit Amara Essy, l’ancien ministre ivoirien devenu président par intérim de l’Union africaine. «Nous avons nos traditions de gestion des conflits, nous devons pouvoir gérer ces conflits avec les ressorts internes». Pour Amara Essy, «personne ne peut gérer tout seul la Côte d’Ivoire. Donc, qu’une rébellion remplace un président, cette rébellion ne pourra pas gérer non plus la Côte d’Ivoire. Donc, il faut un consensus pour gérer la Côte d’Ivoire».

Ces préoccupations sont aussi celles d’Ahmedou ould Abdallah, le représentant spécial de Kofi Annan pour la Côte d’Ivoire, appelé à jouer un rôle essentiel dans la transition en cours.

C’est aussi à la veille du sommet de Yamoussoukro que le président Laurent Gbagbo devrait s’adresser à la nation ivoirienne pour couper court à toutes les rumeurs et préciser son propre «plan de sortie de la crise». Quinze jours après les «accrochages» de l’Avenue Kléber.



par Elio  Comarin

Article publié le 06/02/2003