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Irak

Powell n'a pas convaincu l'ONU

Faute de preuves, le plaidoyer du secrétaire d'Etat américain contre l'Irak n'a pas bouleversé l'équilibre du Conseil de sécurité. Au terme du discours de Colin Powell, dix pays sur quinze ont soutenu sans ambiguïté le processus d'inspection. Les Etats-Unis ne disposent pour l'instant pas des neuf voix nécessaires pour faire autoriser une guerre par l'ONU.
New York (Nations unies), de notre correspondant

Colin Powell était venu au conseil de sécurité pour convaincre les quatorze autres Etats membres que seule une guerre permettra de désarmer l'Irak. Au terme de son discours, on ne notait pas un changement radical des positions. A première vue, Colin Powell n'a pas su créer une onde de choc, au Conseil de sécurité de l'ONU. Si son objectif était de frapper les esprits, et de bouleverser l'équilibre existant, c'est un échec. Les diplomates n'ont guère été impressionnés, surpris ou convaincus par son réquisitoire. «Il n'y avait pas grand chose de nouveau, Powell n'était pas très spontané, c'était trop long et pas toujours crédible», commente un responsable onusien. En dépit de longues heures de préparation avec la CIA, en dépit d'une série de répétitions, le secrétaire d'Etat américain n'a pas su créer l'atmosphère d'urgence et de tension qui avait par exemple entouré la crise des fusées en 1962, quand l'ambassadeur américain à l'ONU avait montré au Conseil de sécurité des photos satellites prouvant au monde que l'URSS avait déployé des missiles à Cuba.

Beaucoup des éléments présentés par Colin Powell étaient en fait attendus. Dans le domaine nucléaire, par exemple, les indices qu'il a offert circulent depuis plusieurs semaines. Les Etats-Unis affirment que l'Irak essaye d'importer des tubes en aluminium à haute résistance, pour les utiliser dans des centrifugeuses destinées à enrichir de l'uranium entrant dans la phase finale de la fabrication d'une bombe nucléaire. Munis de ces informations depuis longtemps, les experts de l'Agence internationale à l'énergie atomique en Irak ont tenté de les recouper. Leur conclusion provisoire : ces tubes servent à fabriquer des missiles conventionnels, et il n'existe aucune trace pour l'instant de la reprise d'un programme nucléaire en Irak.

Dans le même ordre d'idée, Colin Powell a présenté au conseils des dessins simplistes représentant des laboratoires mobiles de production d'armes biologiques qui se déplaceraient en permanence en Irak, sur des camions ou dans des trains. Interrogé sur cette question à la veille de la présentation onusienne, Hans Blix, le chef des inspecteurs de l'ONU ne masquait pas son scepticisme. «On entend parler de ces unités mobiles depuis longtemps», a-t-il expliqué, mais «nous n'en avons jamais trouvé aucun. Nous n'avons trouvé aucun signe de choses qu'on déplacerait, que ce soit des traces sur le sol ou dans le sable». Les experts français sont également dubitatifs. Selon eux, il serait facile de repérer ce genre d'unités de production sur le petit réseau ferré irakien. Et les camions ne se prêtent pas à ce genre de production, à moins de les équiper de systèmes de ventilation particulièrement voyants.

Spectacle son et lumière

Pas nouveau non plus : les tonnes d'anthrax, d'armes chimiques ou les milliers de missiles interdits que l'Irak possèderait. Ces données sont connues depuis quatre ans. Elles sont issues de la première mission d'inspection et reposent sur des évaluations, des suspicions, certes graves, mais pas sur des certitudes. Certaines accusations de liens entre Al-Qaïda et l'Irak étaient aussi connues depuis longtemps, même si elles sont sujettes à controverse. Il s'agit notamment des liens entre le groupe extrémiste Al-Ansar, dans le nord du pays (hors de contrôle de Saddam Hussein) et le régime de Bagdad. On savait également que Washington disposait d'informations selon lesquelles un officiel d'Al-Qaïda, Abu Musab Zarqawi, avait été soigné à Bagdad. Mais Colin Powell est allé beaucoup plus loin hier, décrivant, mais sans apporter de preuves, une véritable «cellule de Bagdad» opérant librement en Irak et planifiant des attaques, en Europe notamment. Ces informations ont été accueillies avec une certaine incrédulité, notamment par l'ambassadeur irakien à l'ONU qui notait que la presse américaine rapportait que la CIA elle-même ne jugeait pas ces informations crédibles.

Les éléments les plus intrigants présentés par Colin Powell concernent sans doute les indices selon lesquels l'Irak aurait déployé des trésors d'inventivité pour contourner les inspections, en «nettoyant» des sites avant l'arrivée des inspecteurs, ou en construisant des usines à usage «dual» passant discrètement d'une production militaire à une production civile. A l'appui de cette thèse, le secrétaire d'Etat américain a produit des photos satellites, des témoignages de transfuges et des enregistrements -parfois presque drôles- de conversations entre militaires irakiens. Il s'agit sans doute d'indices sérieux que les inspecteurs de l'ONU vont étudier de près. «Powell aurait mieux fait de communiquer ces informations aux inspecteurs, discrètement, selon les canaux officiels, au lieu d'en faire un coup médiatique», estime un diplomate du Conseil de sécurité. Colin Powell n'a toutefois pas mentionné cette fois les accusations proférées par Georges Bush selon lesquelles des espions irakiens se seraient fait passer pour des scientifiques, afin de tromper les inspecteurs.

Dans les discours qui ont suivi la présentation «son et lumière», comme raillaient certains diplomates, une majorité des pays du Conseil de sécurité ont soutenu le processus des inspections. C'est le cas de la Chine, de la Russie, de l'Allemagne, du Mexique, du Cameroun, de la Guinée, de l'Angola, du Pakistan, de la Syrie et du Chili, même si pour ce dernier pays, le ton commence à se faire plus menaçant à l'égard de Bagdad. La France est allé encore plus loin en proposant de tripler le nombre d'inspecteurs en Irak, et de muscler sur place la présence internationale. Au bout du compte, Colin Powell n'a, semble-t-il, convaincu que les convertis, c'est à dire la Grande-Bretagne, l'Espagne et la Bulgarie. A en croire les premières réactions à chaud, les Etats-Unis ne disposent donc pas encore des neuf voix dont ils ont besoin au Conseil de sécurité, pour faire autoriser une guerre. Tout au plus peuvent-ils aujourd'hui compter sur cinq voix. Mais attention, la puissante machine diplomatique américaine est désormais en marche. Il est possible que plusieurs petits pays ne lui résistent pas.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 06/02/2003