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Côte d''Ivoire

Soupçons et tractations

Près de quinze jours après avoir été chargé de former un «gouvernement de consensus», lors du sommet de l’avenue Kléber à Paris, Seydou Diarra poursuit toujours ses efforts mais se heurte aux veto croisés des rebelles et du pouvoir central. Au cœur de ce blocage, la participation du MPCI de Guillaume Soro à un gouvernement regroupant toutes les parties, que rejette toujours le COJEP (Collectif des jeunes patriotes) que dirige Charles Blé Goudé; mais aussi le bras de fer qui oppose ces deux anciens leaders de la toute puissante FESCI (Fédération des étudiants), que tout oppose désormais.
Officiellement, les positions semblent bien figées. D’un côté Guillaume Soro qui déclare que «si Seydou Diarra proclame un gouvernement qui n’a rien à voir avec ce qui a été décidé à Paris, nous n’irons pas travailler à Abidjan». Et le leader nordiste d’ajouter que «personne ne doit compter sur le MPCI pour revenir» sur les deux portefeuilles de la Défense et de l’Intérieur promis aux rebelles en marge du sommet de Paris.

De l’autre, un conseiller de Laurent Gbagbo, Toussaint Alain qui rappelle: «Le chef de l’Etat a accepté le compromis et fait suffisamment de concessions. Les accords de Marcoussis constituent une excellente base de travail. Ils doivent être réaménagés, revus et corrigés en ayant à l’esprit le message envoyé par les Ivoiriens. Il appartient aux autres, notamment au RDR d’Alassane Ouattara, qui est la vitrine politique de la rébellion, qu’ils revoient à la baisse un certain nombre de points».

Et, entre ces deux positions intransigeantes, le Premier ministre désigné qui tente de renouer le contact: «Nous sommes en crise, il ne s’agit pas d’un processus de consultation normal, a déclaré un proche de la primature. Seydou Diarra a une tâche difficile. La première chose qu’il doit faire, c’est de voir le président Gbagbo pour qu’ils se mettent sur la même longueur». Ce qui ne semble pas acquis, Laurent Gbagbo ayant déjà demandé à Seydou Diarra de revoir partiellement sa liste. Celle-ci comprendrait notamment des leaders des rebelles -le colonel Michel Gueu, à la Défense, et Louis Dakoury-Tabley à l’Intérieur- ainsi qu’Henriette Diabaté (numéro deux du RDR) à la Justice. Ce qui aurait bloqué les négociations en cours avec les deux principales forces loyalistes: le FPI et le PDCI.

Les rebelles à Accra pour rencontrer le Premier ministre

Est-ce pour débloquer la négociation que l’ambassadeur de France à Abidjan a effectué, ce jeudi, un voyage inattendu à Bouaké la «capitale» de la rébellion? Si l’on croit la presse abidjanaise, une toute dernière proposition aurait été avancée, pour compenser la présence des rebelles: l’attribution d’un ministère au président du COJEP Charles Blé Goudé, le «général des jeunes patriotes» qui a dirigé presque toutes les manifestations de rue en faveur de Gbagbo. Ce qui aurait aussitôt provoqué des débats très animés au sein du COJEP: certains proches de Blé Goudé soupçonnant Seydou Diarra de vouloir ainsi «sonner le glas des manifestations de rue». Car, Blé Goudé, une fois entré au gouvernement, ne pourrait plus recourir à la rue en cas de besoin.

Le déplacement de l’ambassadeur Gildas Le Lidec n’a cependant pas été inutile: les trois mouvements rebelles ont annoncé peu après qu’une délégation du MPCI, du MJP et du MPIGO se rendra ce vendredi à Accra, pour y rencontrer Seydou Diarra. Ainsi, un Premier ministre désigné en France se rendra au Ghana pour négocier la constitution de son gouvernement. La partition du pays ne pourrait être plus patente.

Toutes ces tractations interviennent au moment où la situation humanitaire de trois à quatre millions d’Ivoiriens vivant en zone rebelle se détériore rapidement. «Il n’y a plus de gouvernement, pas d’administration, pas d’écoles, pas de centre de soin», a déclaré Carolyn McAskie, envoyé spéciale du secrétaire général de l’ONU, qui a évoqué la propagation d’épidémies de fièvre jaune et de choléra. McAskie s’est dit particulièrement inquiète pour les Ivoiriens et les étrangers vivant dans les régions frontalières avec le Liberia, livrés aux milices et «aux jeunes gens drogués et armés qui se livrent à toutes les atrocités possibles». Sous la bannière du MPIGO et du MJP, deux mouvements aidés ouvertement par le Liberia de Charles Taylor et qui semblent déterminés à reprendre au plus vite les armes. Ils ne partagent guère les démarches diplomatiques que privilégie le MPCI de Guillaume Soro, et soupçonnent Laurent Gbagbo de vouloir «les rouler dans la farine», en leur proposant quelques strapontins sans importance.



par Elio  Comarin

Article publié le 13/02/2003