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Politique française

L'autre visage de Jean-Pierre Raffarin

Le Premier ministre a décidé, le 12 février, au risque d’écorner son image d’homme de consensus, de faire passer en force sa réforme sur les modes de scrutins régionaux et européens - soutenue uniquement par l’UMP et rejetée par les autres partis politiques - en recourant à une arme inusitée depuis 1996, l’article 49-3 de la Constitution.
C’est la première épreuve politique pour Jean-Pierre Raffarin. Mercredi, à l’Assemblée nationale, l’hôte de Matignon a annoncé qu’il engageait la responsabilité de son gouvernement sur ce texte en application de l’article 49-3 de la Constitution comme le Conseil des ministres l’y avait autorisé, le matin-même. C’est la première fois en sept ans qu’un gouvernement utilise cette procédure pour faire adopter un projet de loi sans débat parlementaire. Alain Juppé avait été le dernier Premier ministre à recourir à cet article, le 26 juin 1996 sur la réforme du statut de France Télécom.

Lors des questions d’actualité, en réponse au président du groupe UMP Jacques Barrot, Jean-Pierre Raffarin a justifié sa décision par les 12 000 amendements et multiples recours à la procédure déposés par l’opposition et l’UDF. «Je ne m’attendais pas à tant d’obstruction (…) J’ai été très surpris de voir combien quelquefois ici l’obstruction tournait en désordre», a déclaré le Premier ministre selon qui le ministre de l’Intérieur qui défend ce texte aurait dû bloquer «170 journées» pour mener à terme le débat dans ces conditions. «J’ai besoin de Nicolas Sarkozy pour la sécurité, pour la lutte contre la délinquance, pour la lutte contre le terrorisme», a-t-il ajouté.

Vote de la motion de censure le 15 février

Placé sous le feu des questions, Jean-Pierre Raffarin a donc tenté de se justifier en estimant que sa démarche visait à contrecarrer l’obstruction orchestrée par l’opposition. «Le Parlement, c’est le débat pas le désordre» déclare-t-il tout en affirmant en son «âme et conscience» que sa réforme était «équilibrée» et marquée par le souci de «stabilité» et de «clarté». Le chef du gouvernement a ensuite laissé Jean-François Copé, le porte-parole du gouvernement répondre à François Bayrou. Une position qui n’a pas manqué d’apparaître, du moins pour ses détracteurs, comme une touche de mépris. Le dirigeant de l’UDF reproche notamment au gouvernement «d’introduire un projet de division qui oppose un parti seul, même s’il est majoritaire, à tous les autres partis du champ démocratique». «Est-ce que vous trouvez que c’est civique ? Est-ce que vous trouvez que c’est juste ?», a-t-il lancé à l’adresse de Jean-Pierre Raffarin, dans l’hémicycle.

Les groupes socialistes et communistes ont déposé une motion de censure en réponse à la décision du Premier ministre d’engager la responsabilité de son gouvernement. Cette motion sera examinée par les députés le 15 février. Cependant, elle n’a aucune chance d’être adoptée, le groupe UMP détenant à lui seul la majorité absolue et le groupe UDF, hostile à la réforme, ayant décidé de ne pas la voter. Invité de RFI, Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l’Assemblée, a globalement estimé que le gouvernement s’était «pris les pieds dans le tapis : il n’arrête pas d’invoquer l’esprit de mai, mais l’esprit de mai, ce n’est pas de passer en force». «Après votre simulacre de consultation avec les formations politiques, vous proposez un texte inique qui n’a aucune justification si ce n’est l’intérêt partisan de l’UMP», a considéré le député communiste Jacques Brunhes. Quant à Hervé Morin, président du groupe centriste, il a affirmé que Jean-Pierre Raffarin avait «montré un autre visage à l’égard de François Bayrou. Nous ne l’oublierons pas».

En passant en force, le Premier ministre ne risque-t-il pas d’apparaître en décalage avec «l’esprit de mai» - allusion au second tour de l’élection présidentielle qui a vu Jacques Chirac être réélu, le 5 mai 2002, avec 82% des voix, contre le candidat de l’extrême droite Jean-Marie Le Pen, grâce au report des voix de gauche - qu’il invoque régulièrement au nom de pratiques politiques nouvelles qu’il voudrait promouvoir. Outre qu’elle pourrait être vivement critiquée comme un aveu de faiblesse, la décision de Jean-Pierre Raffarin peut apparaître aux yeux de l’opinion publique comme un refus de débattre sur un texte rejeté par l’ensemble des partis, à l’exception de l’UMP. Le gouvernement semble toutefois minimiser ces risques politiques considérant que le timing est bon car les Français ont les yeux rivés sur la crise irakienne. Il subsiste pourtant un autre risque : celui de voir les Français bouder plus encore les urnes. L’histoire ayant montré que les modifications électorales, souvent vécues comme des «tripatouillages», se retournent régulièrement contre ceux qui les ont engagées. Ce fut dernièrement le cas pour Lionel Jospin avec l’inversion du calendrier électoral de 2002.

Lire également :
La fin de certaines apparences
(L’éditorial politique de Patrice Biancone)

Ecouter aussi :
Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, au micro de Pierre Ganz (13/02/2003 - 8’18)



par Clarisse  Vernhes

Article publié le 13/02/2003