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Côte d''Ivoire

Un Premier ministre sans gouvernement

On attend toujours la formation du nouveau gouvernement de réconciliation nationale. Un mois après sa nomination au poste de Premier ministre, suite aux discussions inter ivoiriennes de Marcoussis, le 25 janvier, Seydou Diarra n’est toujours pas parvenu à une liste qui fasse l’unanimité. La répartition des postes et les équilibres arbitrés et validés en présence des chefs d’Etat africains, du secrétaire général de l’ONU et du président de la république française, sont aujourd’hui mis à mal.
«Il faut appliquer l’accord de Marcoussis dans son intégralité» répètent inlassablement les représentants des mouvements rebelles qui ont participé à la table ronde de Marcoussis. Lors du sommet des chefs d’Etat africains, rue Kléber à Paris, une répartition des postes ministériels affectait à chacun des mouvements rebelles et aux partis politiques deux ministères d’Etat. Ceux de l’Intérieur et de la Défense sont revenus au MPCI. Mais ces postes sensibles ont soulevé le tollé général des militants du parti au pouvoir, le FPI. Les députés de ce parti ont même manifesté un rejet total de l’accord de Marcoussis. Les militants, sous la bannière de «jeunes patriotes» ont aussi exprimé dans les rues d’Abidjan leur rejet de l’accord de Marcoussis. Ils ont été entendu par le pouvoir, car depuis sa prise de pouvoir, le 9 février, Seydou Diarra a déjà rendu plusieurs copies sur la composition de son gouvernement que le président Laurent Gbagbo a refusé d’accepter.

De sources proches du pouvoir, on affirme que l’attribution des «ministères de souveraineté» ne peuvent échoir aux rebelles. «Le peuple ivoirien a dit non», précise-ton de même source. Le pouvoir d’Abidjan se satisfait visiblement du soutien de la rue en considérant que les manifestations organisées à Abidjan sont une expression de tout le peuple ivoirien. Se prévalant de cette caution, le régime du président Gbagbo engage un bras de fer avec les fidèles de Marcoussis. Il considère que l’accord de Marcoussis n’est pas un modèle immuable qui oblige tous les signataires, mais se présente plutôt comme un texte de propositions à adapter aux réalités locales. Cette lecture de l’accord de Marcoussis oppose le FPI à tous les autres partis politiques qui ont trouvé dans l’accord un moyen de revenir sur la scène politique. La transition politique prévue par l’accord de Marcoussis devrait contribuer à une redistribution des cartes, selon ces partis politiques, le RDR et le PDCI, qui n’ont toujours pas digéré, le coup d’Etat de décembre 1999 et ses suites politiques.

A quelque chose malheur est bon. Pour les partis politiques traditionnels, le 19 septembre, début de l’insurrection armée, a sonné le glas du pouvoir FPI. Le partage du pouvoir et l’organisation à terme d’élections générales constituent pour eux une victoire que le FPI leur conteste. Au vu des différentes tractations conduites par le nouveau Premier ministre, Seydou Diarra, il apparaît que les postes ministériels accordés aux rebelles ne constituent pas la seule pierre d’achoppement à la constitution du nouveau gouvernement. Le président Laurent Gbagbo s’oppose aussi à l’attribution de «certains postes à certaines personnalités» du PDCI et du RDR. Les ministères de la Justice et de l’Agriculture (RDR) ou encore celui des Affaires étrangères (PDCI) sont sujets à d’interminables négociations. Les titulaires de ces postes, pressentis par Seydou Diarra, n’emportent pas les faveurs du président. Le Premier ministre, prié de revoir pour la énième fois sa copie, serait proche de la démission.

Nommé à la faveur de l’accord de Marcoussis, il se retrouve dans une délicate posture, à accepter de déroger aux principes de base de cet accord: l’équilibre des forces unanimement admis dans la formation d’un nouveau gouvernement. Une nouvelle mouture sur le détail des postes ministériels est proposée par le pouvoir. Le ministère de l’Intérieur pourrait chapeauter des secrétariats d’Etat à la Décentralisation et à la Sécurité. Selon les mêmes révisions, le ministère de la Défense devrait être aussi divisé en plusieurs secrétariats d’Etat. Bien entendu, ces postes reviendraient à des personnalités désignées par les mouvements rebelles, alors que les postes de ministre, de plein droit reviendraient à des personnalités «neutres». Selon des sources proches du pouvoir d’Abidjan, un accord serait en passe d’être trouvé et la nomination du gouvernement pourrait intervenir avant le dimanche 2 mars 2003.

En effet le MPCI de Guillaume Soro ne fait pas des postes ministériels un droit acquis non négociable. «L’avenir de notre pays ne peut être bloqué par des bagarres sur deux ministères», déclare un membre du secrétariat du MPCI. Mais cette vision n’est pas partagée par l’aile dure du mouvement. Aujourd’hui d’importantes dissensions apparaissent entre les branches politique et militaire. Les uns et les autres n’obéissent plus à la même stratégie. Les «militaires» dénoncent les malversations du pouvoir d’Abidjan alors que les «politiques» préviennent contre les intentions du pouvoir de pousser à la faute en même temps qu’ils réclament l’application de l’accord de Marcoussis. A l’ouest de la Côte d’Ivoire, le MPIGO est plus intransigeant. «Si jamais Seydou Diarra prend le risque de présenter un gouvernement qui ne respecte pas les engagements pris à Marcoussis et à la rue Kléber à Paris, nous déclencherons immédiatement les hostilités», affirme Félix Doh.

Les rebelles des «forces nouvelles» qui affichaient une cohésion lors de la table ronde de Marcoussis paraissent aujourd’hui bien divisés et commencent par remettre en cause la position de leader de la contestation et de la rébellion qu’occupe le MPCI. Par ailleurs, Seydou Diarra est partagé entre le strict respect de l’accord de Marcoussis et les aménagements qui pourraient permettre aux institutions de la République de fonctionner à nouveau. Mais dans les deux cas, la reprise des hostilités reste un danger permanent. Il appartient alors à Seydou Diarra de choisir l’option la moins aventureuse.



par Didier  Samson

Article publié le 26/02/2003