Union européenne
La «nouvelle Europe» irritée par Chirac
En dénonçant dans des termes particulièrement vifs l’attitude pro-américaine des pays candidats à l’adhésion, Jacques Chirac s’est attiré de sévères critiques.
En chapitrant vertement lundi soir les pays candidats à l’Union européenne pour leur manque de solidarité, Jacques Chirac a délibérément choisi des termes fort peu diplomatiques. Sans surprise, il a provoqué l’irritation des intéressés. Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de ces déclarations : en brisant un tabou, a-t-il rendu service à l’Europe au prix d’une «mini-crise» temporaire ou a-t-il au contraire renforcé les tendances mêmes qu’il entendait dénoncer, à savoir le penchant atlantiste des anciens pays communistes qui rejoignent en bloc l’OTAN, et dès l’année prochaine l’Union européenne, ceux que Donald Rumsfeld appelle la «nouvelle Europe» ?
Sur le fond, il est certain que la sortie du président français ne devait rien à la fatigue ou à la tension au terme d’une journée difficile. Son ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin avait laissé percer l’agacement des dirigeants français la veille en rappelant que l’Union européenne «n’était pas seulement un tiroir-caisse». En réalité, Paris ne décolère pas depuis la lettre des huit européens, apportant leur soutien à Washington. Parmi les Huit, trois futurs membres de l’UE avaient signé : Pologne, Hongrie et République tchèque. Une semaine plus tard, c’étaient les dix membres du «Groupe de Vilnius», tous anciens pays communistes et futurs membres de l’Union qui écrivaient pour soutenir la politique irakienne de George W. Bush dans une lettre dont les Français, et quelques autres, soupçonnent qu’elle a été largement inspirée par Washington.
D’autres signes de cet atlantisme s’étaient manifestés les mois précédents avec la signature, par la Roumanie et d’autres, d’accords bilatéraux avec les États-Unis exemptant les ressortissants américains de la Cour pénale internationale, pourtant l’une des priorités diplomatiques de l’Europe. Puis, en décembre, la Pologne décidait d’acheter des avions militaires américains plutôt que ses concurrents français ou britanniques.
C’est pourquoi, lorsque la présidence grecque a convoqué le sommet européen de lundi sur l’Irak, Paris et Berlin se sont vigoureusement opposés à ce que les pays candidats participent au débat. Ils n’ont donc été conviés que le lendemain pour être «informés» des décisions des Quinze.
«Trop bien élevé» pour répondre
Sur la forme, les déclarations de Jacques Chirac ne pouvaient que heurter ces pays. Leur attitude a été qualifiée par le président français d’«irresponsable» et de «mal élevée». Il leur a rappelé que lorsque l’on est dans une famille, on a plus de droits que lorsqu’on demande à y entrer. Être morigénés comme des pré-adolescents par un chef d’État qui ne cesse de dénoncer l’arrogance et l’unilatéralisme des États-Unis a été particulièrement mal vécu par ces chefs de gouvernement élus démocratiquement par leurs peuples. De toute évidence, ils se sont entendus pour ne pas ajouter de l’huile sur le feu et les réactions publiques tiennent de la litote : le Premier ministre slovène qualifie d’«inhabituelle» la déclaration de Chirac, que le premier ministre tchèque ne juge «ni juste, ni équilibrée». Le président roumain Iliescu rappelle que l’on n’est plus au XXe siècle. Le Polonais revendique pour son pays le droit d’avoir sa propre opinion, au même titre que la France. Tous les autres dirigeants ont fait, sur un mode mineur, le même type de remarque. La palme de la finesse revient sans conteste au premier ministre hongrois Péter Medgyessy, qui s’est déclaré «trop bien élevé» pour répondre aux propos du président français.
Ce dernier n’était pourtant pas le seul à avoir ce point de vue : le commissaire à l’Elargissement, Günter Verheugen, a reconnu que l’attitude des pays candidats avait provoqué «un certain énervement»au sein de l’UE et le ministre belge des Affaires étrangères Louis Michel a indiqué que si, lors du sommet de Copenhague, les dirigeants de l’UE avaient su ce qui se passerait dans les semaines à venir, ils n’auraient peut-être pas pris les même décisions (en faveur de l’admission de dix pays).
Néanmoins, les 13 pays candidats ont souscrit mardi à la déclaration de l’UE et se sont engagés à coordonner à l’avenir leurs déclarations avec les Quinze. Il restait à Costa Simitis, le président grec de l’UE à déminer le terrain en affirmant qu’au sein de l’Union, chacun était libre de s’exprimer, tandis que le commissaire aux Relations extérieures, Chris Patten, faisait observer que l’Union européenne n’était pas le Pacte de Varsovie.
Tout aurait donc pu s’arrêter là. L’occasion était cependant trop belle pour Tony Blair, qui n’a cessé d’enregistrer des revers ces derniers jours, pour ne pas en tirer profit. Dans une lettre adressée mardi aux 13 membres candidats et rédigée, de toute évidence, lundi soir après la clôture du sommet qui avait semblé marquer le retour à l’unité des Quinze, le Premier ministre britannique se désolidarise de la décision de la présidence grecque de ne pas les inviter au sommet de lundi et regrette qu’ils n’aient pu être associés au débat.
Lundi après-midi, l’Union européenne avait retrouvé son unité. En soirée, les vieux démons reprenaient le dessus.
Sur le fond, il est certain que la sortie du président français ne devait rien à la fatigue ou à la tension au terme d’une journée difficile. Son ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin avait laissé percer l’agacement des dirigeants français la veille en rappelant que l’Union européenne «n’était pas seulement un tiroir-caisse». En réalité, Paris ne décolère pas depuis la lettre des huit européens, apportant leur soutien à Washington. Parmi les Huit, trois futurs membres de l’UE avaient signé : Pologne, Hongrie et République tchèque. Une semaine plus tard, c’étaient les dix membres du «Groupe de Vilnius», tous anciens pays communistes et futurs membres de l’Union qui écrivaient pour soutenir la politique irakienne de George W. Bush dans une lettre dont les Français, et quelques autres, soupçonnent qu’elle a été largement inspirée par Washington.
D’autres signes de cet atlantisme s’étaient manifestés les mois précédents avec la signature, par la Roumanie et d’autres, d’accords bilatéraux avec les États-Unis exemptant les ressortissants américains de la Cour pénale internationale, pourtant l’une des priorités diplomatiques de l’Europe. Puis, en décembre, la Pologne décidait d’acheter des avions militaires américains plutôt que ses concurrents français ou britanniques.
C’est pourquoi, lorsque la présidence grecque a convoqué le sommet européen de lundi sur l’Irak, Paris et Berlin se sont vigoureusement opposés à ce que les pays candidats participent au débat. Ils n’ont donc été conviés que le lendemain pour être «informés» des décisions des Quinze.
«Trop bien élevé» pour répondre
Sur la forme, les déclarations de Jacques Chirac ne pouvaient que heurter ces pays. Leur attitude a été qualifiée par le président français d’«irresponsable» et de «mal élevée». Il leur a rappelé que lorsque l’on est dans une famille, on a plus de droits que lorsqu’on demande à y entrer. Être morigénés comme des pré-adolescents par un chef d’État qui ne cesse de dénoncer l’arrogance et l’unilatéralisme des États-Unis a été particulièrement mal vécu par ces chefs de gouvernement élus démocratiquement par leurs peuples. De toute évidence, ils se sont entendus pour ne pas ajouter de l’huile sur le feu et les réactions publiques tiennent de la litote : le Premier ministre slovène qualifie d’«inhabituelle» la déclaration de Chirac, que le premier ministre tchèque ne juge «ni juste, ni équilibrée». Le président roumain Iliescu rappelle que l’on n’est plus au XXe siècle. Le Polonais revendique pour son pays le droit d’avoir sa propre opinion, au même titre que la France. Tous les autres dirigeants ont fait, sur un mode mineur, le même type de remarque. La palme de la finesse revient sans conteste au premier ministre hongrois Péter Medgyessy, qui s’est déclaré «trop bien élevé» pour répondre aux propos du président français.
Ce dernier n’était pourtant pas le seul à avoir ce point de vue : le commissaire à l’Elargissement, Günter Verheugen, a reconnu que l’attitude des pays candidats avait provoqué «un certain énervement»au sein de l’UE et le ministre belge des Affaires étrangères Louis Michel a indiqué que si, lors du sommet de Copenhague, les dirigeants de l’UE avaient su ce qui se passerait dans les semaines à venir, ils n’auraient peut-être pas pris les même décisions (en faveur de l’admission de dix pays).
Néanmoins, les 13 pays candidats ont souscrit mardi à la déclaration de l’UE et se sont engagés à coordonner à l’avenir leurs déclarations avec les Quinze. Il restait à Costa Simitis, le président grec de l’UE à déminer le terrain en affirmant qu’au sein de l’Union, chacun était libre de s’exprimer, tandis que le commissaire aux Relations extérieures, Chris Patten, faisait observer que l’Union européenne n’était pas le Pacte de Varsovie.
Tout aurait donc pu s’arrêter là. L’occasion était cependant trop belle pour Tony Blair, qui n’a cessé d’enregistrer des revers ces derniers jours, pour ne pas en tirer profit. Dans une lettre adressée mardi aux 13 membres candidats et rédigée, de toute évidence, lundi soir après la clôture du sommet qui avait semblé marquer le retour à l’unité des Quinze, le Premier ministre britannique se désolidarise de la décision de la présidence grecque de ne pas les inviter au sommet de lundi et regrette qu’ils n’aient pu être associés au débat.
Lundi après-midi, l’Union européenne avait retrouvé son unité. En soirée, les vieux démons reprenaient le dessus.
par Olivier Da Lage
Article publié le 19/02/2003