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Nations unies

En leur âme et conscience

Les Etats-Unis ont besoin de neuf voix, sur quinze membres, au Conseil de sécurité de l’ONU pour approuver la guerre contre l’Irak voulue par Washington. L’administration américaine peut compter sur le soutien indéfectible ou l’opposition radicale de neuf des membres du Conseil. Cinq d’entre eux, la Syrie, l’Allemagne, la Chine, la Russie et la France, soutiennent le principe d’une poursuite des inspections. Quatre, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Espagne et la Bulgarie, soutiennent la position américaine. Reste ceux qu’on appelle, dans les couloirs des Nations unies, les «middle six», les six indécis. Traduire : ceux qui restent à convertir et qui sont actuellement la cible d’un intense travail de lobbying, entre carotte et bâton. Parmi eux, trois Africains, l’Angola, le Cameroun et la Guinée, qui prend samedi, en pleine crise, la présidence du Conseil de sécurité de l’ONU.
L’échéance est proche : il faudra bientôt adopter une position claire lors du vote qui s’annonce au Conseil de sécurité. Pour les trois pays africains, il s’agira de peser soigneusement les choix, entre principes, fidélité et intérêt, car il n’est jamais bon d’entrer en conflit avec les Etats-Unis. Surtout que, depuis une dizaine d’années, les échanges afro-américains se sont multipliées et les européens ne peuvent plus se prévaloir seulement de leur implantation ancienne sur le continent et se contenter d’agiter une amitié séculaire pour en recueillir les fruits. La concurrence est âpre. Il y a du pétrole en Angola, un oléoduc stratégique en construction au Cameroun et la Guinée demeure, par ses richesses minières, un «scandale géologique». Les appétits de Washington s’affichent désormais sans complexe, dans l’intérêt bien compris des uns et des autres, notamment en matière d’investissements dans les secteurs de l’énergie et des mines. Les Américains se sont également débarrassés de tout complexe dans le domaine militaire. Certes ils n’interviennent pas directement, mais ils peuvent fournir une coopération militaire appropriée lorsque les frontières de la Guinée sont menacées par les guerres régionales, ou lorsqu’il faut former des soldats.

Aujourd’hui leurs voix sont très précieuses à en croire la pression exercée par Washington. Rarement l’Afrique avait été autant courtisée. A New York d’abord, où l’ambassadeur de Guinée auprès des Nations unies, Mamady Traoré, a été approché par le secrétaire d’Etat Colin Powell et la conseillère présidentielle Condoleeza Rice, qui ont également appelé le ministre des Affaires étrangères, François Lonsény Fall, au téléphone. La semaine dernière, le secrétaire d’Etat adjoint chargé des affaires africaines, Walter Kansteiner, a effectué une tournée régionale et s’est rendu dans les capitales concernées. En Guinée, il est allé rencontré le général Lansana Conté qui, très malade, l’a reçu dans son village natal. Depuis, il est question d’une aide américaine de 29 millions de dollars pour Conakry. Même méthode lors de l’escale de Luanda où Walter Kansteiner aurait promis une rallonge d’une dizaine de millions de dollars à Jose Eduardo Dos Santos, au titre de l’aide d’urgence. Un peu plus tôt, le président des Etats-Unis avait également payé de sa personne en téléphonant à son homologue angolais.

Un vote qui vaut de l’or

L’allié britannique n’est pas resté à l’écart. Londres a notamment dépêché à Conakry sa sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, la baronne Valerie Amos. Londres annonce une aide pour les réfugiés ouest-africains de 6,2 millions de dollars, dont l’essentiel doit aller à la Guinée. Par ailleurs, trois cents Gurkhas de l’armée royale britannique sécurisent actuellement la frontière entre la Sierra Leone et la Guinée. De même, parmi les petits gestes qui comptent, le Premier ministre portugais, José Manuel Durao Barroso, a fourni sa contribution au projet et a également eu un entretien téléphonique avec le chef de l’Etat angolais.

Quand on sait la brutalité dont les Etats-Unis peuvent faire preuve dans la rupture de leur aide bilatérale, la proximité de l’échéance à laquelle vont faire face les Africains du Conseil du sécurité est à certains égards terrifiante, car la décision sera lourde de conséquence… s’ils ne respectent pas la loi du plus fort. Ce qui pourrait être le cas s’ils respectent leurs engagements solennels, pris en particulier lors du sommet France-Afrique de la semaine dernière.

Ce fut une belle déclaration, apparemment unanime, pour soutenir que «toutes les possibilités (offertes par la résolution 1441) n’ont pas encore été exploitées» et qu’«il y a une alternative à la guerre». Il est vrai d’autre part que toute cette activité, visant à «tordre le bras» des récalcitrants, commencent à agacer les principaux intéressés, parmi lesquels l’Ambassadeur de Guinée à l’ONU : «Ce n’est pas parce que nous sommes des pays africains et sous-développés que nous allons accepter n’importe quoi. Nous avons notre dignité». Cité par le New York Times, un porte-parole du département d’Etat s’est défendu de vouloir acheter les votes africains. Ce sera néanmoins un scrutin à plusieurs dizaines de millions de dollars.



par Georges  Abou

Article publié le 27/02/2003