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Mexique

Affrontements inter-religieux au Chiapas

Catholiques traditionalistes et évangélistes du hameau indigène de Tres Cruces, appartenant à la commune de San Juan Chamula, au Chiapas, (sud-est mexicain) se sont une nouvelle fois affrontés. L’objet de la discorde était, cette fois-ci, un puits communautaire que les traditionalistes voulaient interdire aux évangélistes.
De notre correspondant à Mexico

A la suite d’une première querelle qui avait fait 2 morts chez les traditionalistes la semaine dernière, les forces de l’ordre de San Juan Chamula ont fait irruption à Tres Cruces pour appréhender les responsables de cette tuerie. Les évangélistes, avertis de l’arrivée de 90 policiers, leur ont tendu une embuscade qui s’est soldée par 5 morts. C’est le septième affrontement mortel en moins d’un an à San Juan Chamula.

Ces agressions violentes font partie de la guerre que se livrent les indigènes catholiques traditionalistes et les évangélistes depuis 1972. Ces derniers, en minorité, refusent le pouvoir des caciques qui contrôlent le pouvoir politique, économique et religieux. Les traditionalistes appartiennent au PRI, le parti de l’ancien régime alors que les évangélistes sont plutôt du PAN (droite conservatrice) ou du PRD (centre gauche). D’autre part, les traditionalistes qui se heurtent à l’église catholique romaine (ils ont expulsé l’évêque de San Cristobal de las Casas de leurs villages) constituent souvent les groupes paramilitaires alors que les Evangélistes soutiennent plutôt les bases d’appui des zapatistes du sous-commandant Marcos (EZLN).

Ces villages indigènes du Chiapas ont une certaine autonomie. Des règles très précises régissent les us et coutumes. Chaque hameau, chaque quartier, possèdent des «petits saints» qui sont vénérés et en charge de «majordomies» qui organisent les festivités. Au départ, c’était une manière de réguler l’argent de la communauté, car les fêtes, où tout le village est invité à manger et à boire, coûtent très chères. Les gens les plus riches offraient la fête et avaient en échange tous les honneurs. Mais avec le temps, les majordomes ont été obligés de trouver des «parrains» pour les aider à financer les dépenses. Or aucune personne appartenant à la communauté, ne peut refuser une telle charge sans se déshonorer.

Dans les années 70, les sectes évangélistes ont commencé à prendre de l’importance. A cette époque, l’Institut Linguistique d’Eté, financé par les sectes américaines (certains y voyaient aussi une main de la CIA) fait une terrible propagande pour convertir les indigènes et les convaincre de refuser les règles des communautés. Les premières obligations faites à leurs adeptes ont été d’abandonner leurs habits traditionnels, l’interdiction de boire de l’alcool, de participer aux fêtes, de dépenser leur argent en pétards. Des mesures qui touchent directement au portefeuille des caciques qui tiennent les épiceries et tous les commerces. Ce que l’on veut souvent faire passer pour une guerre de religion est donc d’avantage une guerre de pouvoir qui se double d’une guerre économique.

Prendre la terre des expulsés

En 1973, les traditionalistes décident de freiner l’arrivée de ces sectes évangélistes et interdisent le village à ceux qui ne respectent pas leurs traditions ancestrales. Les confrontations commencent : 25 à 30 000 personnes sont expulsées par la force et n’ont comme unique possibilité que de s’installer autour de San Cristobal de las Casas. Rapidement, les catholiques de l’Église romaine prennent faits et causes pour les évangélistes. Ils commencent à avoir conscience de leurs droits politiques et religieux et contestent le pouvoir politique des caciques en s’affichant dans les partis de gauche. La population étant en augmentation, le problème des terres devient un enjeu vital. La question religieuse permet de justifier des expulsions, et par la même de récupérer les terres des évangélistes et des catholiques romains expulsés et de se débarrasser des opposants politiques.

Les expulsions massives ont néanmoins diminué en 1994 lorsque le premier groupe d’évangélistes expulsés a pu revenir sur ses terres, protégé par les zapatistes du Sous commandant Marcos. En 1995, les caciques ont une nouvelle fois tenté de les déloger, utilisant pour la première fois des armes à feu. Depuis, c’est l’escalade. Ce qui a fondamentalement changé ces mois derniers, commentait l’anthropologue François Lartigue, du CIESAS, «c’est que les indigènes n’utilisent plus des escopettes ou des bâtons, mais des Kalachnikov AK-47 dans une région où le revenu moyen ne dépasse pas les deux euros par jour». Il y a donc bien des pouvoirs occultes qui ont tout intérêt à ce que «la guerre religieuse» continue.



par Patrice  Gouy

Article publié le 03/02/2003