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Cuba

Les coupeurs de cannes à sucre renvoyés sur les bancs de l’école

Face à la baisse continue des cours du sucre, Cuba a finalement décidé de fermer la moitié de ses centrales sucrières. Dans un pays, qui depuis des siècles vit au rythme de la zafra - la campagne de récolte de la canne -, la restructuration de ce secteur est une véritable révolution. Plus de 4% de la population est concernée mais hors de question de laisser tomber ces travailleurs qui furent longtemps indispensables au pays. Tous seront réintégrés dans d’autres secteurs, mis à la retraite anticipée ou encore renvoyés à l’école pour se réorienter.
De notre correspondante à La Havane

Plus de 10 000 personnes sont rassemblées sur l’immense terrain qui borde la centrale sucrière Eduardo Garcia Lavandero. Plus de 10 000, et certainement des millions de téléspectateurs attendent, sans un bruit, le discours de leur commandant en chef. Nous sommes le 21 octobre 2002 et Fidel Castro s’apprête à inaugurer la toute première école pour macheteros. L’angoisse des travailleurs est palpable, car la rumeur de la fermeture de la moitié des centrales sucrières de l’île circule depuis des mois, mais le chef de la révolution n’a toujours pas expliqué cette terrible décision. Fidel Castro parlera pendant plusieurs heures, revenant longuement sur l’importance du sucre dans l’histoire de l’île. Puis vient la seconde partie du discours, encombrée de nombreux chiffres qui prouvent sans équivoque que la production de sucre n’est malheureusement plus rentable pour le pays. «En 1959, au triomphe de la révolution, avec une tonne de sucre nous pouvions acheter huit tonnes de pétrole, aujourd’hui il faut deux tonnes de sucres pour acheter, à peine, une tonne de pétrole» déplore Fidel «bref, au final 540 000 travailleurs et plus de deux million d’hectares de plantations ne rapportent que trente millions de dollars. Avec le niveau de culture et de connaissance que possède notre pays, c’est vraiment dramatique !».

L’éducation, cheval de bataille de la révolution castriste, sera une nouvelle fois au rendez-vous lorsqu’il s’agira de réorienter de façon décisive l’économie du pays. La campagne d’alphabétisation avait été la première bataille livrée par la révolution cubaine, aujourd’hui la requalification massive des milliers de travailleurs liés à la production sucrière est un nouveau défi pour le régime castriste. «Ce jour passera certainement dans l’Histoire car c’est la première fois que le concept d’étude comme forme d’emploi entre en pratique» se félicitait Fidel Castro lors de son discours. Pupitres, et tableaux noirs ont donc remplacé les machines à moudre le sucre et sur les 60 000 travailleurs restés sans emplois après la fermeture d’une partie des centrales, plus de la moitié ont «choisi» de reprendre leurs études. Entre une préretraite ou 60% de leur salaire, beaucoup ont préféré suivre la direction tracée par le Parti et toucher ainsi l’intégralité de leur salaire en échange de quelques heures passées sur les bancs de l’école.

Plusieurs spécialisées sont proposées

C’est une véritable auto-restructuration qui se met alors en place. La plupart des professeurs sont d’anciens ingénieurs appartenant aux centrales qui ont été formés à la pédagogie pendant deux mois avant de commencer les cours. «C’était suffisant car la première année est uniquement consacrée à la remise à niveau. Parce que, pour la plupart, cela faisait de nombreuses années qu’ils n’avaient pas mis les pieds à l’école et il fallait reprendre les bases» explique un ancien ingénieur agronome devenu professeur de mathématiques. Puis l’année prochaine, chacun s’engagera dans la filière choisie selon son niveau scolaire. Ainsi, les écoles pour travailleurs du sucre vont du primaire jusqu’à l’université. «Un travailleur peut passer 10 ans à faire ses études s’il commence au plus bas niveau et continu jusqu’au doctorat universitaire. Le but de ce programme est que tous les travailleurs, même celui qui conduit un tracteur, soient ingénieurs car plus on est instruit plus on prend soin de sa machine et plus on est capable de la réparer». Pour ceux qui n’ont pas opté pour l’école à temps plein, des professeurs vont une fois par semaine dans les campagnes les plus reculées pour former les travailleurs à d’autres spécialités. «Depuis avril notre centrale, comme 69 autres, a dû se transformer en industrie agroalimentaire. Tous les anciens travailleurs, du machetero à l’ingénieur, ont dû eux aussi se reconvertir. Mais une formation continue est nécessaire pour continuer d’améliorer la production» explique le directeur de l’ex-centrale Eduardo Garcia Lavandero. Plusieurs spécialisations sont ainsi proposées aux travailleurs : agronomie, vétérinaire, mécanique, informatique, économie, comptabilité et finance.

Les résultats sont surprenants. Moins d’un an après la restructuration, les centrales sont méconnaissables. La piscine de refroidissement a été reconvertie en pisciculture, les rails du chemin de fer qui transportaient le sucre ont été réutilisés pour construire de verdoyants potagers destinés à l’agriculture biologique, sur les hectares de terre libérés poussent de magnifiques vergers, enfin dans l’usine démantelée vont bientôt dormir des centaines de vaches laitières. «Nous n’aurions jamais pu nous adapter si rapidement avec une main d’œuvre illettrée. Mais la révolution nous a éduqués et continue à le faire». «Être cultivé est l’unique moyen d’être libre» disait José Marti notre héros national. Ici personne n’a été renvoyé et laissé sans ressource. «Au contraire, on nous a donné encore plus pour aller de l’avant» s’enorgueillit le directeur et bien évidemment membre du Parti communiste cubain. Mais le pays arrivera-t-il à employer tant d’ingénieurs et ceux-ci seront-ils encore d’accord pour conduire un simple tracteur ? «Ils le feront par conscience révolutionnaire» nous rassure ce haut responsable du Parti.



par Karen  DONADEL

Article publié le 09/02/2003