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Société

Quand les femmes des cités se mettent à marcher…

Le calvaire de Sohanne, une jeune fille de 17 ans brûlée vive dans le local à poubelles d’un immeuble d’une cité de la banlieue parisienne, a montré jusqu’à quelle forme ultime de violence pouvaient être soumises les jeunes filles des «quartiers». C’est pour protester contre ce cycle infernal qui les enferme dans des ghettos familiaux, religieux et sociaux que des jeunes femmes ont entamé une marche qui va les mener dans une vingtaine de villes françaises.
«Ma sœur a été exécutée comme les femmes d’Afghanistan». Kahina Denziane n’a pas pu retenir ses larmes lorsqu’elle est venue participer au départ de la Marche des femmes organisé devant la mairie de Vitry-sur-Seine, la ville où sa sœur Sohanne est morte, en octobre dernier, après avoir été transformée en torche vivante par un jeune homme qu’elle avait éconduit. Brûlée vive, la pauvre adolescente a été laissée-là au milieu des immondices dans un local à poubelles et a succombé à ses blessures.

La Marche des femmes a pour objectif de dénoncer «la recrudescence des violences envers les filles, des mariages forcés, du harcèlement par les garçons», explique l’une de ses initiatrices Fadela Amara, la présidente de la Fédération nationale des Maisons de potes. Après Vitry, quatre jeunes femmes et deux garçons vont donc se rendre, en mini-vans, dans 23 villes françaises (Metz, Lyon, Marseille, Grenoble, Toulouse…) pour essayer de briser le mur du silence autour d’un phénomène qui prend des proportions très inquiétantes dans les cités de banlieue. Des conférences, des débats publics seront organisés à chaque étape pour essayer de sensibiliser les populations. Certains thèmes comme la lutte contre l’intégrisme, les discriminations, la sexualité, les viols collectifs doivent être abordés de ville en ville...

«Ni putes, ni soumises»

Le choix d’un slogan choc, «Ni putes, ni soumises», n’est pas innocent. Il révèle l’impossible situation dans laquelle se trouvent les femmes et les jeunes filles des cités soumises à la pression d’hommes et de garçons, éduqués aux films pornos, parfois conditionnés par les dérives intégristes de la religion musulmane, souvent frustrés et peu éduqués, incapables de sortir de leur logique de groupe, sans aucun respect pour des femmes qui n’ont pas le droit d’exprimer leur féminité, sauf à être immédiatement rangées du côté des filles faciles.

La religion n’est évidemment pas le seul facteur qui explique une telle dérive. La misère sociale et l’absence d’éducation ont leur part de responsabilité. Mais Fadela Amara, qui est elle-même musulmane pratiquante, explique qu’il y a «une utilisation de l’islam pour justifier la domination de la femme» et que «les courants fondamentalistes ont eu un effet sur les garçons… qui s’est immédiatement traduit par de la violence sur les sœurs, les voisines».

Lorsqu’elles ne sont pas contraintes à porter le voile, les jeunes filles sont obligées de renoncer à toute coquetterie ou expression de féminité. Sinon, elles s’exposent encore plus à des traitements dégradants qui peuvent aller de l’agression verbale au viol. Le phénomène des «tournantes» s’est ainsi développé de façon spectaculaire ces dernières années dans les cités. Et les victimes sont la plupart du temps des jeunes filles issues des communautés immigrées, vivant dans le quartier. Les bourreaux sont quant à eux des jeunes qui vont dans le même collège, habitent des immeubles voisins… Il s’agit d’une violence de proximité dont la dénonciation reste encore largement taboue.

Cette Marche symbolique prendra fin, à Paris, le 8 mars, date de la journée internationale de la femme. L’initiative a déjà obtenu de nombreux soutiens d’associations (SOS Racisme, Amnesty international, les Chiennes de Garde), mais aussi de personnalités comme l’actrice Jane Birkin, la ministre déléguée à la parité et l’égalité professionnelle, Nicole Ameline, le ministre de la Ville, Jean-Louis Borloo, le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande ou encore Samira Bellil, auteur d’un ouvrage intitulé Dans l’enfer des tournantes. Reste à savoir quel écho peuvent trouver dans les quartiers mêmes d’où elles sont issues, ces jeunes femmes qui refusent de continuer «à raser les murs».

Fédération nationale des Maisons des potes



par Valérie  Gas

Article publié le 06/02/2003