Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Irak

<i>«Sous la pression, la France ne pouvait pas reculer»</i>

Pour Pascal Boniface, directeur de l’Iris (Institut de recherche internationales et stratégiques), face au chantage américain, la France ne pouvait changer de position sans perdre sa crédibilité.
RFI: Voici quelques jours, Colin Powell a déclaré que si la France mettait son veto, cela aurait des effets sérieux sur les relations entre Paris et Washington, du moins à court terme. Quel sens faut-il donner à cet avertissement ?
Pascal Boniface:
Le message ne peut être interprété que comme une tentative d’intimidation à l’égard de la France et, à partir de là, la France ne peut que refuser de céder à ce qui s’apparente, ni plus ni moins, à un chantage, sauf, bien sûr, à perdre toute crédibilité au niveau international. Au fur et à mesure que les pressions américaines s’intensifient pour que la France change de position, il devient impossible pour la France d’en changer.

RFI: Depuis quelques jours, on a le sentiment que les États-Unis, qui pensaient pouvoir éviter un veto français, semblent s’y résigner…
Pascal Boniface:
Oui, mais pendant très longtemps, les Américains ont dit «les Russes ne mettront pas leur veto parce que nous avons des accords extrêmement importants avec eux et les Français, au bout du compte, se rangeront à notre avis parce que, dans l’histoire, ils ont toujours fait cela en protestant initialement pour se conformer au bout du compte à nos décisions». On voit que ce pari était pour le moins hasardeux et que, tant du point de vue de Moscou que de celui de Paris, il y a un intérêt national, il y a peut-être aussi des convictions et que donc elles sont plus fortes que les tentatives de chantage américaines.

RFI: Néanmoins, est-ce qu’il faut prendre au sérieux les avertissements d’Américains qui affirment qu’il y aura des conséquences durables et que les choses ne pourront pas reprendre comme avant ?
Pascal Boniface:
Bien sûr, il y aura une crise assez grave entre la France et les États-Unis mais cette crise risque aussi d’être assez grave entre les États-Unis et de nombreux autres pays dans le monde qui ne se seront pas conformés à la volonté américaine. Par ailleurs, quelles sont les éventuelles représailles que pourront mettre en place les Etats-Unis ? Au niveau commercial, la France ne commerce pas de façon bilatérale avec les États-Unis: c’est l’Europe qui commerce, et donc on voit mal un embargo à l’encontre de la France qui en fait toucherait l’ensemble des pays européens. On est donc dans la gesticulation. Les États-Unis ont essayé de faire peur pour que certains responsables politiques en France notamment pèsent sur le président de la République. Cette tentative n’a pas fonctionné.

RFI: Ce qui revient souvent actuellement dans certains milieux américains, c’est la place de la France au Conseil de sécurité. Dans l’hypothèse où le système des Nations unies serait remis en cause, la place qu’occupe la France dans ce système depuis 1945 pourrait l’être également…
Pascal Boniface:
D’une part, on peut dire que le Conseil de sécurité est remis en cause depuis longtemps. Depuis quelque temps, la France reconnaît que la composition du Conseil de sécurité ne correspond plus à l’état des forces actuelles et que des pays comme l’Allemagne, le Japon et d’autres pourraient y rentrer. Ce débat sur une nouvelle composition du Conseil de sécurité n’a pas été entamé avec le débat sur l’Irak. Parallèlement, pour qu’il y ait une réforme, il faudrait qu’elle soit acceptée par les actuels membres permanents. Et si l’on pense à un siège européen pour le Conseil de sécurité, on peut dire que les Britanniques qui, jusqu’ici, ont été les meilleurs alliés des Américains, ne s’estimeraient pas récompensés par la proposition d’une fusion des sièges actuels des membres européens au profit d’un siège européen unique.

RFI: En dépit de toutes ces tensions actuelles qui augmenteront peut-être s’il y a un veto, y a-t-il des signes que de part et d’autre, on cherche à ne pas perdre de vue la nécessité de retisser les liens une fois la crise terminée ?
Pascal Boniface:
Bien sûr, et d’ailleurs, Colin Powell l’a dit voici deux jours: la France est et restera un ami et le président de la République a tenté, tout en restant ferme sur ses positions, de dédramatiser la relation avec les Américains. Il y a des désaccords graves et importants, mais finalement, après la guerre (puisque c’est l’option la plus probable) il faudra bien à nouveau se parler et les Américains auront de toute façon besoin des autres pays pour l’après-guerre.



par Propos recueillis par Olivier  Da Lage

Article publié le 11/03/2003