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Irak

Veillée d’armes au Qatar

Dans l’émirat qui sert de base arrière et de poste de commandement aux forces américaines, les préparatifs de guerre ne bousculent pas les habitudes.
De notre envoyé spécial au Qatar

«Le chaos». Ce n’est pas la situation qui prévaut à Doha mais le titre du film qui doit être projeté le 17 mars prochain au centre culturel français. Si les préparatifs américains d’une guerre contre l’Irak sont suivis avec attention dans l’émirat, ils sont loin de susciter une vague d’inquiétude. Dans ce territoire coincé entre l’Arabie Saoudite et le golfe Persique, la vie quotidienne se poursuit sans changement majeur.

Les vastes centres commerciaux dans lesquels ne manquent aucun des plus grands noms du luxe français et international ne désemplissent pas à l’approche du week-end. Il faut dire qu’avec un revenu moyen annuel de cent quinze mille euros, les Qatariens peuvent consommer sans modération. Même s’ils se montrent souvent critiques vis-à-vis de la présence militaire américaine dans l’émirat, ils savent aussi qu’elle constitue leur meilleure garantie pour préserver ce mode de vie, mélange de tradition et de libéralisation ultra-libérale. Car contrairement à son puissant voisin saoudien, dont la situation économique se dégrade, l’émirat du Qatar dispose avec le gaz naturel d’une richesse inestimable.

Selon les spécialistes, à consommation constante, le pays dispose de plus de deux cents ans de réserves. Une manne que l’émir actuel, Hamad Ben Khalifa Al Thani entend utiliser au mieux pour faire enfin connaître le Qatar sur la scène international. Hassan Haïdar est directeur de la rédaction du principal quotidien de l’émirat, Al Charq. Pour lui, l’émir a encore une réputation usurpée à l’étranger. «Certains le présentent comme une marionnette des Américains. C’est une image trompeuse. Simplement, il sait qu’au sein de sa propre famille, nombreux sont ceux qui lui reprochent encore le renversement de son père en 1995. Ces derniers mois, des rumeurs insistantes de coup d’État soutenu par l’Arabie saoudite ont circulé dans le pays. L’émir sait que son pouvoir reste fragile et que le soutien américain lui est pour l’instant indispensable».

Cette présence américaine a également un rôle économique. «Elle permet de rassurer les investisseurs», souligne Hassan Haïdar. Une manière de souligner que l’installation de troupes américaines, antérieures à la crise irakienne s’inscrit dans la durée. Au quotidien, ces soldats américains sont presque invisibles. Ils restent confinés dans les deux principales bases de l’émirat, Al Salyah et Al Oudeid situées respectivement à une quinzaine et une cinquantaine de kilomètres de Doha, la capitale.

Le cheikh Qardaoui rappelé à l’ordre

C’est dans cette base de Al Salyah que les États-Unis ont transféré le quartier général de leurs forces habituellement installé à Tampa, en Floride. C’est de là que le général Tommy Franks, chef d’état-major interarmes dirigera les opérations militaires contre l’Irak. Pour l’instant, comme le souligne Mark Kitchenns, l’un des porte-parole du «Central Command» (CENTCOM), «l’heure est toujours à la diplomatie». A défaut d’offensive militaire, la base d’al Salyah met donc la main aux derniers préparatifs pour accueillir les centaines de journalistes étrangers qui ont convergé vers le Qatar. Une salle de presse a été installéedans un immense hangar. Deux écrans géants permettront de visualiser les opérations militaires, réelles ou virtuelles. Au centre, un pupitre portant l’inscription «Pentagon Central Command» accueillera les officiers chargés de diffuser ce que les États-Unis voudront bien laisser échapper de leur guerre contre le régime de Saddam Hussein.

S’il est vrai qu’au Qatar personne ne regrettera le renversement du dictateur de Bagdad, chacun se montre en revanche inquiet des conséquences que ce conflit aura durablement pour la stabilité régionale. La ligne officielle dictée par le diwan, le palais de l’émir reflète cet état d’esprit. Le Qatar souhaite une solution pacifique à cette crise mais ne s’opposera pas aux Américains s’ils entrent en guerre. Pour l’avoir oublié, le cheikh égyptien Youssef Al Qardaoui, imam officiel de l’émirat a été rappelé à l’ordre. Son interview prévue et annoncé dans le quotidien Al Charq, dans laquelle il estimait légitime de s’en prendre aux forces américaines a été purement et simplement annulée.



par Franck  WEIL-RABAUD

Article publié le 14/03/2003