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Irak

Diplomatie : la guerre par d’autres moyens

En marge des opérations militaires en cours, l’avenir politique de l’Irak et le contexte diplomatique dans lequel il s’inscrit sont les enjeux d’autres batailles croisées au sein d’une communauté internationale plus divisée que jamais.
Samedi diverses sources annonçaient que les Américains renonçaient à installer une transition militaire après la chute du régime irakien. Et en début d'après-midi, l'armée turque démentait que ses troupes aient pénétré dans le Kurdistan irakien au cours de la nuit précédente.
Le démenti de l'armée turque met un terme (provisoire) à l’une des principales incertitudes diplomatiques qui subsistaient dans ce conflit, dont la gestion semble étroitement liée, et soumise, aux aléas de la conjoncture internationale. La non-intervention des soldats d’Ankara libérerait Washington et ses alliés d’un poids considérable pour la suite des opérations. En effet, toute menace militaire des voisins de l’Irak, dans ce contexte d’effondrement de ses institutions, fait peser sur son territoire et sa souveraineté une très lourde menace. Et, en raison du conflit ancien et persistant entre Turques et Kurdes, l’intervention militaire d’Ankara dans la crise constituait l’une des principales sources de préoccupation américaine, alors que le Parlement d’Ankara venait d’accepter le franchissement de son espace aérien par les bombardiers de la coalition.

La nouvelle, si elle se confirme au cours des heures et des jours qui viennent, sera de nature à rassurer également Athènes, qui entretient toujours des conflits territoriaux avec son voisin. Le chef de la diplomatie grecque, dont le pays assure la présidence tournante de l’Union européenne, a déclaré son opposition «à toute implication des pays frontaliers de l’Irak dans la guerre». De son côté Berlin envisageait, en cas d’envoi des troupes turques en Irak, de suspendre sa participation aux missions de surveillance de l’espace aérien turc.

Ces derniers éléments, qui restent extrêmement fragiles dans ce contexte de guerre massive, s’accompagnent de déclarations de l’opposition irakienne qui commencent à dresser une esquisse de la future direction irakienne, après la chute du régime. A Téhéran, le numéro 2 de la principale organisation d’opposition chiite à Saddam Hussein a affirmé que les Américains ont renoncé à installer un gouvernement militaire américain à Bagdad. Selon Abdelaziz Hakim l’opposition irakienne se réunirait samedi ou dimanche, dans le Kurdistan irakien, pour discuter «des projets d’avenir du pays». Abdelaziz Hakim précise que le projet a été dévoilé mercredi par le représentant du président américain lors d’une réunion à Ankara à laquelle il participait. «La nouvelle, c’est que l’autorité sera irakienne depuis le début», a précisé l’opposant chiite. L’information a été publiée également en début d’après-midi par un haut responsable du Parti démocratique du Kurdistan, au cours d’une conférence de presse à Erbil.

Mais ce samedi, alors que les opérations aéroterrestres redoublent d’intensité, le paysage diplomatique reste profondément marqué par les divisions exprimées au cours de ces dernières semaines et dont l’Union européenne, après l’ONU, a été logiquement la dernière victime jeudi et vendredi lors de la réunion de ses chefs d’Etat. Le profond fossé qui sépare les positions des uns et des autres s’est incarné, jusqu’à la caricature, dans la dégradation des relations personnelles entre le Premier ministre britannique et le président français. «Une atmosphère glaciale et pesante», un sommet «surréaliste tant on a tout fait pour esquiver les problèmes de fond», a déclaré à l’issue du sommet le chef du gouvernement luxembourgeois. Cependant, face à l’ampleur de la crise, un groupe de pays emmené par le noyau dur formé par la France, l’Allemagne et la Belgique a décidé de réagir et de réunir le mois prochain, à l’initiative de Bruxelles, un sommet des pays volontaires sur la question particulièrement sensible de la défense européenne.

Rendre illégaux les contrats signés avec le régime de Bagdad

Autre victime de guerre : la lente et difficile normalisation des relations entre les deux Corée. Pyongyang annonce la suspension sine die des négociations avec Séoul en raison du soutien de la Corée du Sud à la guerre. Cette crispation survient dans un contexte de manœuvres militaires conjointes américano-sud-coréennes en cours.

L’ONU est à la fois présente et absente. Présente en creux tout d’abord, par son absence dans les prises de décisions et la volonté sans cesse réaffirmée des principaux opposants à la guerre de replacer son action au cœur de l’action de la communauté internationale. Présente aussi dans le discours des membres de la coalition qui ne manquent jamais une occasion de souligner l’importance qu’elle prendra bientôt dans la reconstruction de l’Irak et pour soulager la souffrance des victimes. Madrid annonce le départ pour New York, mardi, de sa ministre des Affaires étrangères où elle s’entretiendra des aspects humanitaires de la guerre avec le secrétaire général des Nations unies. La Russie, elle, redoute une instrumentalisation de l’organisation internationale et a averti qu’elle s’opposerait à la légitimation a posteriori de l’opération militaire par l’ONU. «Nous surveillerons cela très attentivement», a souligné le ministre russe des Affaires étrangères.

La volonté de Washington d’isoler diplomatiquement Bagdad rencontre aussi des obstacles, dont certains inattendus. Les Etats-Unis avaient formellement demandé à de nombreux gouvernement la fermeture des ambassades et des missions diplomatiques irakiennes, jusqu’à la mise en place d’une autorité intérimaire à Bagdad. Paris et Moscou notamment n’ont naturellement pas donné suite à cette demande d’expulsion des diplomates irakiens. Samedi, le vice-ministre bulgare des Affaires étrangères a indiqué que son pays, pourtant réputé proche de Washington, éprouvait des «difficultés» à répondre à la demande américaine et qu’il allait rechercher des «informations supplémentaires» sur «la base juridique internationale» sur laquelle se fonde les Américains. La diplomatie russe associe cette demande à celle de geler les comptes et avoirs irakiens à l’étranger et conclut à une manière détournée de renvoyer dans l’illégalité les contrats signés sous le régime de Saddam Hussein. «C’est une des options auxquelles nous devons être préparés et ce n’est pas fait par hasard», a déclaré Igor Ivanov.

Enfin, «quand la guerre, comme celle qui se déroule actuellement en Irak, menace le destin de l'humanité, il est encore plus urgent pour nous de proclamer, d'une voix ferme et résolue, que la paix est le seul moyen de construire une société plus juste et plus humaine», a déclaré le pape Jean-Paul II lors de sa première allocution depuis l'ouverture des hostilités.



par Georges  Abou

Article publié le 22/03/2003