Guerre en Irak
Vers l’ouverture d’un front nord
Alors que l’offensive terrestre se poursuit au sud de l’Irak –l’avant-garde des troupes américano-britanniques ne seraient plus qu’à 100 km de Bagdad–, les forces coalisées s’apprêteraient à ouvrir un nouveau front au nord du pays, à partir du Kurdistan. Les soldats de la coalition sont toutefois confrontés à une résistance de l’armée irakienne. La télévision d’Etat a par ailleurs diffusé les images des premiers prisonniers de guerre américains, déclenchant la colère du secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, qui a accusé Bagdad de violer la convention de Genève.
Des troupes américaines se sont déployées dans le Kurdistan irakien. L’information émane d’un haut responsable kurde. Selon ce membre de l’Union patriotique du Kurdistan qui a souhaité garder l’anonymat, «quatre avions transportant de nombreux militaires américains, essentiellement des forces spéciales, ont atterri dans la nuit de samedi à dimanche, sur un aéroport proche de Souleymaniyeh. Les soldats se sont ensuite déployés dans toute la région». C’est la première fois depuis le début du conflit qu’une arrivée par avion de troupes est signalée, même si les forces spéciales sont présentes depuis des semaines au Kurdistan. Ces militaires se seraient positionnés autour de la ville de Halabja, non loin d’une enclave sous le contrôle du groupe islamiste Ansar al-Islam, accusé par Washington de liens avec l’organisation terroriste al-Qaïda. Les forces américaines avaient bombardé dans la nuit de vendredi à samedi des positions de ce groupe, provoquant la mort de plusieurs personnes.
Les négociations entre Ankara et Washington continuent pour déterminer les conditions d’une éventuelle coopération dans le cadre de l’intervention contre l’Irak. Après la circulation de rumeurs sur l’entrée de troupes turques au Kurdistan irakien finalement infirmées par Ankara, à laquelle les Etats-Unis étaient opposés, les deux capitales semblent vouloir trouver un terrain d’entente. Depuis le refus par le parlement d’autoriser le déploiement des GI sur le territoire national, Washington a complètement abandonné l’espoir de passer par la Turquie pour ouvrir un front nord. Il s’agit donc maintenant de trouver un terrain d’entente qui préserve les intérêts de chacun. La Turquie qui a massé des soldats à la frontière avec l’Irak entend éviter une éventuelle contagion indépendantiste de la part des Kurdes irakiens sur les Kurdes turcs. Quant aux Etats-Unis, ils ne veulent pas prendre le risque de laisser s’installer une guerre dans la guerre en cas de conflit au Kurdistan. Après plusieurs semaines de tensions, un premier signe de conciliation est intervenu vendredi lorsqu’Ankara a finalement ouvert son espace aérien aux appareils américains. Dimanche, la Turquie a aussi autorisé l’atterrissage, sur la base d’Incirlik, d’un avion de transport C-130 à l’intérieur duquel se trouvaient des blessés américains dont le nombre n’a pas été précisé. Le ministre des Affaires étrangères Abdullah Gull a précisé qu’il s’agissait de l’application d’un accord de «coopération humanitaire» entre les deux pays.
La tension entre la coalition et l’Iran est de plus en plus vive. Téhéran s’était plaint à plusieurs reprises de la violation de son espace aérien par les forces américano-britanniques. Le ministre de l’Intérieur a affirmé que l’armée iranienne «réagira» à toute nouvelle violation. «Nos soldats sur la frontière sont en alerte complète et observent la situation. S'ils constatent la moindre violation de l'espace aérien iranien ou de la frontière, ils réagiront à coup sûr», a-t-il affirmé. Plusieurs engins se sont abattus depuis vendredi dans le secteur frontalier iranien, autour d'Abadan ou plus au nord à la frontière kurde. L'un d'eux a touché vendredi un entrepôt d'Abadan, faisant trois blessés. Les autorités de Téhéran se sont déclarées «sûr que cet engin était bien américain ou britannique».Un porte-parole du ministère britannique de la Défense avait indiqué auparavant qu’il s’agissait sans doute du «résultat d’une action irakienne».
Les relations entre Washington et Moscou sont très tendues. L’administration américaine, qui a très peu apprécié l’opposition du Kremlin au déclenchement d’une guerre contre le régime de Bagdad, a accusé des entreprises russes d’avoir vendu des armes à l'Irak menaçant la sécurité des troupes américaines, britanniques et australiennes avançant sur Bagdad. «Nous avons porté cette question à l'attention du gouvernement russe à plusieurs reprises, notamment à un niveau élevé et particulièrement au cours des deux dernières semaines», a affirmé un porte-parole du département d’Etat, en précisant que «la réponse n'a pas été satisfaisante». Un responsable américain, qui a souhaité gardé l’anonymat, a par ailleurs affirmé que les techniciens russes aidaient les autorités de Bagdad à brouiller des signaux satellitaires cruciaux pour le guidage des bombes et des missiles des forces coalisées. Une société russe a vivement démenti dimanche soir cette information. «Nous n'avons rien vendu à l'Irak», a déclaré son directeur. «Les Américains l'ont tout simplement inventé. Qu'ils essaient d'arrêter un de nos hommes», a-t-il ajouté. Le Kremlin n’avait toujours pas réagi en fin de soirée mais les relations entre Washington et Moscou, déjà passablement tendues, risquent de s’en trouver encore plus altérées.
Sur le terrain
Bagdad était soumis dimanche soir à un bombardement intensif. La capitale irakienne avait essuyé des frappes sporadiques durant les dernières vingt-quatre heures. Dans l’après-midi une rumeur a circulé dans la ville sur la présence de deux pilotes de la coalition qui se seraient éjectés de leur avion après la chute de leur appareil. Les habitants se sont organisés pour les retrouver mais en vain.
La campagne irakienne fait «d’excellents progrès», selon le secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld. Les premières colonnes de chars américano-britanniques se trouveraient, en effet, dimanche soir à une centaine de kilomètres au sud de Bagdad. Les véhicules progressent donc vite dans le désert. Mais les troupes se heurtent malgré tout à des poches de résistance très forte. La ville d’Oum Qasr n’est toujours pas totalement sous le contrôle des Britanniques qui tentent de s’en emparer depuis deux jours. Bassorah a été bombardé mais les GI ont renoncé à la prendre, tout comme Nassiriyah. Des pertes semblent à déplorer de chaque côté. A Bassorah, les Irakiens ont annoncé un bilan de 77 morts et 366 blessés. La ville serait privée d’eau et d’électricité. Selon Bagdad toujours, 25 soldats américains ont péri dans des combats à Nassiriyah. Sans confirmer ce bilan, le commandement américain au Qatar a admis avoir subi des pertes dans cette ville.
Devant cette résistance plus importante que prévu, le général Tommy Franks, commandant en chef de l’opération «Liberté de l’Irak», a annoncé qu’il préférait dorénavant éviter les villes pour ne pas provoquer des combats urbains sanglants qui risqueraient de faire de nombreuses victimes civiles et filer vers Bagdad, dans l’espoir qu’une fois la capitale tombée, les autres villes se rendent.
Malgré sa conviction en la victoire finale, Donald Rumsfeld a pris acte des difficultés rencontrées par les troupes sur le terrain. Il a ainsi estimé que «des jours difficiles» les attendaient et que «le degré de résistance pourrait augmenter». Une analyse confirmée par le général Richard Myers, le chef d’état-major interarmées, qui a précisé que «les forces irakiennes ne sont pas clairement battues» et que «le plus dur est devant nous».
Bagdad ne manque pas de mettre en valeur la capacité de résistance de ses troupes et de démentir les affirmations américaines sur les désertions de soldats irakiens. Le vice-président Taha Yassine Ramadan a ainsi déclaré dimanche : «Nous leur avons permis de se promener dans le désert, mais toutes nos villes résisteront».
Des images de soldats américains morts et de prisonniers ont été diffusées par Al Jazira, la chaîne satellitaire du Qatar. On y voit un cadavre ensanglanté abandonné sur une route à côté d’un camion citerne puis d’autres cadavres regroupés dans des salles, leurs plaques et leurs papiers sur le ventre. Quatre hommes, dont l’un est blessé, et une femme aux pieds entourées de bandages, faits prisonniers par les soldats irakiens, sont aussi interrogés devant les caméras. Ils déclinent leurs identités et leurs affectations. Plusieurs d’entre eux affirment appartenir à la 507ème unité de maintenance. Selon Al Jazira, ces images ont été tournées par la télévision irakienne. Le vice-président irakien Taha Yassin Ramadan avait annoncé dès dimanche matin que des images de prisonniers américains seraient rapidement diffusées. Donald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense américain, a immédiatement dénoncé l’utilisation par le régime irakien de telles images, qui viole selon lui la Convention de Genève sur la protection des prisonniers et fait partie de la «propagande irakienne». Malgré tout, le Pentagone a confirmé qu’une dizaine de GI étaient portés manquants et que les troupes situées dans le sud de l’Irak étaient à leur recherche. Le président des Etats-Unis George W. Bush a prévenu dimanche soir que «ceux qui maltraiteraient les prisonniers de guerre américains seraient considérés comme des criminels de guerre».
Un journaliste est mort et trois autres sont portés disparus. Paul Moran, un journaliste australien, a été tué par l’explosion d’une voiture piégée dans le Kurdistan irakien. Terry Lloyd, un journaliste de la chaîne de télévision britannique ITN, son cameraman Fred Nerac et leur traducteur sont portés disparus et présumés morts. Environ 600 journalistes suivent les unités américaines et se trouvent non loin du terrain des opérations. D’autres se trouvent à Bagdad et dans les villes d’Irak. Tous sont exposés aux dangers de cette guerre. Soixante d’entre eux qui se trouvaient dans la ville de Safwan, au sud de l’Irak, ont d’ailleurs été évacués par les soldats britanniques qui affirment avoir reçu des informations selon lesquelles un groupe de soldats irakiens s’apprêtait à attaquer les représentants de la presse internationale présents dans cette zone.
Les négociations entre Ankara et Washington continuent pour déterminer les conditions d’une éventuelle coopération dans le cadre de l’intervention contre l’Irak. Après la circulation de rumeurs sur l’entrée de troupes turques au Kurdistan irakien finalement infirmées par Ankara, à laquelle les Etats-Unis étaient opposés, les deux capitales semblent vouloir trouver un terrain d’entente. Depuis le refus par le parlement d’autoriser le déploiement des GI sur le territoire national, Washington a complètement abandonné l’espoir de passer par la Turquie pour ouvrir un front nord. Il s’agit donc maintenant de trouver un terrain d’entente qui préserve les intérêts de chacun. La Turquie qui a massé des soldats à la frontière avec l’Irak entend éviter une éventuelle contagion indépendantiste de la part des Kurdes irakiens sur les Kurdes turcs. Quant aux Etats-Unis, ils ne veulent pas prendre le risque de laisser s’installer une guerre dans la guerre en cas de conflit au Kurdistan. Après plusieurs semaines de tensions, un premier signe de conciliation est intervenu vendredi lorsqu’Ankara a finalement ouvert son espace aérien aux appareils américains. Dimanche, la Turquie a aussi autorisé l’atterrissage, sur la base d’Incirlik, d’un avion de transport C-130 à l’intérieur duquel se trouvaient des blessés américains dont le nombre n’a pas été précisé. Le ministre des Affaires étrangères Abdullah Gull a précisé qu’il s’agissait de l’application d’un accord de «coopération humanitaire» entre les deux pays.
La tension entre la coalition et l’Iran est de plus en plus vive. Téhéran s’était plaint à plusieurs reprises de la violation de son espace aérien par les forces américano-britanniques. Le ministre de l’Intérieur a affirmé que l’armée iranienne «réagira» à toute nouvelle violation. «Nos soldats sur la frontière sont en alerte complète et observent la situation. S'ils constatent la moindre violation de l'espace aérien iranien ou de la frontière, ils réagiront à coup sûr», a-t-il affirmé. Plusieurs engins se sont abattus depuis vendredi dans le secteur frontalier iranien, autour d'Abadan ou plus au nord à la frontière kurde. L'un d'eux a touché vendredi un entrepôt d'Abadan, faisant trois blessés. Les autorités de Téhéran se sont déclarées «sûr que cet engin était bien américain ou britannique».Un porte-parole du ministère britannique de la Défense avait indiqué auparavant qu’il s’agissait sans doute du «résultat d’une action irakienne».
Les relations entre Washington et Moscou sont très tendues. L’administration américaine, qui a très peu apprécié l’opposition du Kremlin au déclenchement d’une guerre contre le régime de Bagdad, a accusé des entreprises russes d’avoir vendu des armes à l'Irak menaçant la sécurité des troupes américaines, britanniques et australiennes avançant sur Bagdad. «Nous avons porté cette question à l'attention du gouvernement russe à plusieurs reprises, notamment à un niveau élevé et particulièrement au cours des deux dernières semaines», a affirmé un porte-parole du département d’Etat, en précisant que «la réponse n'a pas été satisfaisante». Un responsable américain, qui a souhaité gardé l’anonymat, a par ailleurs affirmé que les techniciens russes aidaient les autorités de Bagdad à brouiller des signaux satellitaires cruciaux pour le guidage des bombes et des missiles des forces coalisées. Une société russe a vivement démenti dimanche soir cette information. «Nous n'avons rien vendu à l'Irak», a déclaré son directeur. «Les Américains l'ont tout simplement inventé. Qu'ils essaient d'arrêter un de nos hommes», a-t-il ajouté. Le Kremlin n’avait toujours pas réagi en fin de soirée mais les relations entre Washington et Moscou, déjà passablement tendues, risquent de s’en trouver encore plus altérées.
Sur le terrain
Bagdad était soumis dimanche soir à un bombardement intensif. La capitale irakienne avait essuyé des frappes sporadiques durant les dernières vingt-quatre heures. Dans l’après-midi une rumeur a circulé dans la ville sur la présence de deux pilotes de la coalition qui se seraient éjectés de leur avion après la chute de leur appareil. Les habitants se sont organisés pour les retrouver mais en vain.
La campagne irakienne fait «d’excellents progrès», selon le secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld. Les premières colonnes de chars américano-britanniques se trouveraient, en effet, dimanche soir à une centaine de kilomètres au sud de Bagdad. Les véhicules progressent donc vite dans le désert. Mais les troupes se heurtent malgré tout à des poches de résistance très forte. La ville d’Oum Qasr n’est toujours pas totalement sous le contrôle des Britanniques qui tentent de s’en emparer depuis deux jours. Bassorah a été bombardé mais les GI ont renoncé à la prendre, tout comme Nassiriyah. Des pertes semblent à déplorer de chaque côté. A Bassorah, les Irakiens ont annoncé un bilan de 77 morts et 366 blessés. La ville serait privée d’eau et d’électricité. Selon Bagdad toujours, 25 soldats américains ont péri dans des combats à Nassiriyah. Sans confirmer ce bilan, le commandement américain au Qatar a admis avoir subi des pertes dans cette ville.
Devant cette résistance plus importante que prévu, le général Tommy Franks, commandant en chef de l’opération «Liberté de l’Irak», a annoncé qu’il préférait dorénavant éviter les villes pour ne pas provoquer des combats urbains sanglants qui risqueraient de faire de nombreuses victimes civiles et filer vers Bagdad, dans l’espoir qu’une fois la capitale tombée, les autres villes se rendent.
Malgré sa conviction en la victoire finale, Donald Rumsfeld a pris acte des difficultés rencontrées par les troupes sur le terrain. Il a ainsi estimé que «des jours difficiles» les attendaient et que «le degré de résistance pourrait augmenter». Une analyse confirmée par le général Richard Myers, le chef d’état-major interarmées, qui a précisé que «les forces irakiennes ne sont pas clairement battues» et que «le plus dur est devant nous».
Bagdad ne manque pas de mettre en valeur la capacité de résistance de ses troupes et de démentir les affirmations américaines sur les désertions de soldats irakiens. Le vice-président Taha Yassine Ramadan a ainsi déclaré dimanche : «Nous leur avons permis de se promener dans le désert, mais toutes nos villes résisteront».
Des images de soldats américains morts et de prisonniers ont été diffusées par Al Jazira, la chaîne satellitaire du Qatar. On y voit un cadavre ensanglanté abandonné sur une route à côté d’un camion citerne puis d’autres cadavres regroupés dans des salles, leurs plaques et leurs papiers sur le ventre. Quatre hommes, dont l’un est blessé, et une femme aux pieds entourées de bandages, faits prisonniers par les soldats irakiens, sont aussi interrogés devant les caméras. Ils déclinent leurs identités et leurs affectations. Plusieurs d’entre eux affirment appartenir à la 507ème unité de maintenance. Selon Al Jazira, ces images ont été tournées par la télévision irakienne. Le vice-président irakien Taha Yassin Ramadan avait annoncé dès dimanche matin que des images de prisonniers américains seraient rapidement diffusées. Donald Rumsfeld, le secrétaire à la Défense américain, a immédiatement dénoncé l’utilisation par le régime irakien de telles images, qui viole selon lui la Convention de Genève sur la protection des prisonniers et fait partie de la «propagande irakienne». Malgré tout, le Pentagone a confirmé qu’une dizaine de GI étaient portés manquants et que les troupes situées dans le sud de l’Irak étaient à leur recherche. Le président des Etats-Unis George W. Bush a prévenu dimanche soir que «ceux qui maltraiteraient les prisonniers de guerre américains seraient considérés comme des criminels de guerre».
Un journaliste est mort et trois autres sont portés disparus. Paul Moran, un journaliste australien, a été tué par l’explosion d’une voiture piégée dans le Kurdistan irakien. Terry Lloyd, un journaliste de la chaîne de télévision britannique ITN, son cameraman Fred Nerac et leur traducteur sont portés disparus et présumés morts. Environ 600 journalistes suivent les unités américaines et se trouvent non loin du terrain des opérations. D’autres se trouvent à Bagdad et dans les villes d’Irak. Tous sont exposés aux dangers de cette guerre. Soixante d’entre eux qui se trouvaient dans la ville de Safwan, au sud de l’Irak, ont d’ailleurs été évacués par les soldats britanniques qui affirment avoir reçu des informations selon lesquelles un groupe de soldats irakiens s’apprêtait à attaquer les représentants de la presse internationale présents dans cette zone.
par Mounia Daoudi et Valérie Gas
Article publié le 23/03/2003