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Guerre en Irak

Une stratégie risquée

Ce dimanche, les mauvaises nouvelles se sont accumulées pour les forces anglo-américaines. Et leur rapide progression vers Bagdad les rend vulnérables sur leur flanc.
Malgré l’avance foudroyante de leurs blindés vers Bagdad, les forces armées américano-britanniques ont enregistré dimanche une succession de mauvaises nouvelles : un Tornado britannique abattu retour de mission par un missile Patriot américain, une résistance persistance des forces irakiennes à Oum Qasr, que l’état-major britannique considérait officiellement sous contrôle depuis vendredi, une résistance plus importante que prévue de l’armée irakienne à Nassiriya et surtout, la diffusion par la télévision irakienne, relayée par Al Jazira, d’images montrant des cadavres de soldats américains et des prisonniers terrifiés interrogés sur les raisons de leur présence en Irak. Dans plusieurs cas, des soldats irakiens ont eu recours à des ruses classiques mais efficaces, faisant mine de se rendre en brandissant le drapeau blanc, pour mieux attaquer les soldats venus les capturer. Le vice-président Taha Yassine Ramadan, que des «sources» proches du Pentagone et de la Maison Blanche donnaient pour mort dans les premiers bombardements, est venu en chair et en os –et en parfaite santé apparente– donenr une conférence de presse devant les journalistes présents à Bagdad, jetant de ce fait un doute accru sur les informations provenant dispensées par les sources officielles américaines. Enfin, les tergiversations turques ont conduit les Américains à renoncer à débarquer les troupes qui devaient ouvrir le font nord et à les acheminer, via le canal de Suez, au Koweït, ce qui va retarder d’une semaine leur arrivée sur le théâtre des opérations.

Il est trop tôt pour en déduire que les opérations se passent mal pour Londres et Washington. Pour Tony Blair, tout se passe «selon les plans». Mais le contraste était saisissant entre la satisfaction évidente du ministre irakien de la Défense qui tenait sa première conférence de presse, et la gêne visible de son homologue américain Donald Rumsfeld et du président Bush.

Aux États-Unis et en Grande Bretagne, les commentateurs commencent à s’interroger publiquement sur les risques de la stratégie choisie par le Pentagone. Celle-ci semble reposer sur quelques principes prioritaires : fondre sur Bagdad dans une progression éclair, éviter de fixer des troupes en engageant le combat dans les villes sur le chemin qu’il faudrait de surcroît occuper, épargner, autant que faire se peut la population civile. Et surtout, créer les conditions pour dissocier cette dernière du régime dont on annonce la chute comme imminente.

Tout miser sur la chute du régime

C’est ce qui explique que les forces anglo-américaines aient renoncé à engager le combat à Bassorah, la métropole du sud et seconde ville du pays, après avoir pris le contrôle des stations de pompages et des installations pétrolières de la péninsule de Fao. Lorsque les troupes venues du Koweït ont rencontré une vive résistance aux abords de Nassiriya, la ville-verrou en bordure de l’Euphrate, l’ordre est resté le même : contourner la place-forte sans la prendre ni l’assiéger. La même stratégie de contournement a été mise en œuvre à l’approche de la ville sainte chiite de Najaf. Les villes du sud n’étant pas tombées comme des fruit murs, il importait de ne pas risquer des combats de rue meurtriers dans les rues de Bassorah ou Nassiriya au risque de causer des pertes dans la population civile que l’on est venu «libérer». De plus, une fois conquises, ces villes devraient être occupées et sécurisées, ce qui immobiliserait des effectifs importants dont la coalition a grand besoin pour la bataille de Bagdad. Pour l’heure, Ces grandes villes délaissées par les armées américano-britanniques sont donc toujours contrôlées par les forces loyales à Saddam Hussein.

Dans ce contexte, la rapidité de la progression de la 3e division d’infanterie américaine et du 1er corps expéditionnaire des Marines n’a rien pour surprendre : dans le désert, ils n’ont rencontré que des chameaux, quelques véhicules isolés, et des villageois.

Les Américains n’ont pas caché leur surprise de voir que l’adversaire ne se comportait pas comme prévu, notamment en manifestant une résistance dont la vigueur semble avoir été sous-estimée par les planificateurs. L’hypothèse de départ paraît être que Saddam Hussein avait concentré ses troupes d’élite pour la défense de Bagdad et Tikrit, confiant la défense du sud aux forces classiques, considérées comme moins motivées et affaiblies. Or, il semble que des forces d’élite, peut-être issues de la Garde Républicaine, aient noyauté les forces armées classiques dans les garnisons du sud, renforçant le professionnalisme et la détermination à se battre de celles-ci. De surcroît, les témoignages envoyés par les correspondants intégrés aux unités anglo-américaines, ainsi que par ceux des journalistes qui sont parvenus à les suivre de façon indépendante, montrent que, jusqu’à présent du moins, aucune manifestation de joie de la part des civils irakiens n’a accompagné la progression de leurs forces.

Les inconvénients de cette stratégie qui semble tout miser sur la chute du régime sont désormais évidents et l’apparentent à un calcul très risqué : les lignes de ravitaillement des forces d’invasion sont exposées sur leur flanc à des attaques de commandos des unités d’élite du régime et sont vulnérables à des attaques de revers, l’ennemi étant désormais tant à l’avant qu’à l’arrière de cette ligne de communication. De surcroît, les Irakiens étant peu sortis des villes jusqu’à présent, l’appui aérien n’a pu être utilisé de façon satisfaisante, sauf à risquer de pilonner massivement les quartiers civils, ce dont Londres et Washington, qui tentent de gagner la bataille de l’opinion, ne veulent à aucun prix. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’à Bagdad, l’essentiel des bombardements a été effectué par des missiles de croisière et des bombes à guidage. Malgré l’importance et la vigueur terrifiante des bombardements, les habitants ont été, à quelques rares exceptions près, épargnés par leurs effets. Le nombre des blessés civils reste, semble-t-il, très faible, et, contrairement à ce qui s’était passé en 1991, la capitale est toujours ravitaillée en électricité et en eau potable.

Tout indique, cependant, que dans d’autres zones, au nord et en dehors de Bagdad, d’intenses bombardements desquels on ne sait rien sont menés, notamment par les B-52, contre des objectifs non spécifiés, mais visant très probablement des unités de la Garde Républicaine disposés autour de Bagdad. Les stratèges du Pentagone espèrent qu’à l’approche de leurs troupes, les forces irakiennes devront faire mouvement pour assurer la défense de Bagdad et deviendront, de ce fait, plus vulnérables aux attaques aériennes d’appui au sol. Mais pour autant que l’on puisse comprendre la stratégie de défense irakienne, celle-ci consiste au contraire à attirer les forces d’invasion à l’intérieur de la capitale pour mener un combat de rues dans lequel le défenseur a toujours l’avantage, du moins tant que l’assaillant n’est pas prêt à raser la ville sous un tapis de bombe, ce qui paraît complètement exclu vu l’objectif politique affiché par Londres et Washington. Saddam Hussein attend son Stalingrad. Bush et Blair ne veulent pas tomber dans le piège.

Pour l’heure, la plupart des analystes militaire continuent de penser que l’issue ne fait aucun doute : Les forces anglo-américaines finiront par l’emporter et le régime de Saddam Hussein sera renversé. Mais il faudra peut-être pour y parvenir utiliser des armes beaucoup plus «sales» que celles employées à ce jour, au risque de renforcer les oppositions dans l’opinion publique internationale et américaine. Et surtout, des le coût humain et politique de cette victoire ainsi que la durée des combats risquent désormais d’être beaucoup plus élevés que ce que Londres et Washington avaient laissé entendre avant le début des opérations militaires.



par Olivier  Da Lage

Article publié le 24/03/2003