Turquie
Erdogan: la revanche avant le baiser américain
Le nouvel homme fort de Turquie, l’ancien maire d’Istanbul réhabilité par les urnes le week-end dernier après 5 ans de bannissement pour incitation à la haine religieuse, est le nouveau Premier ministre désigné. Tout le monde attend de lui un nouveau cabinet resserré et une gestion plus ferme, en ces temps de crise irakienne. Les Américains attendent surtout le feu vert pour ouvrir un «front nord».
De notre correspondant à Istanbul
On aurait dit qu’il entamait une prière, mains jointes et bras ballants, face tournée vers le sol, immobile durant de longues secondes avant de lever les yeux vers les caméras, pour dire : «le Président de la République m’a chargé de former le 59e gouvernement de la République turque». L’affront, sous le solennel portrait du fondateur de la République laïque Mustafa Kemal Atatürk, en plein Palais rose présidentiel, n’aurait pas manqué de provoquer l’ire de tous les réfractaires à cet «islamiste» réformé. Mais il a savouré une revanche sobre, dirigeant «conservateur démocrate» comme se définit le parti de la Justice et du Développement en martelant simplement son crédo, invariable depuis la victoire écrasante de «son» parti le 3 novembre dernier. «Le 9 mars, les élections partielles de Siirt ont corrigé une anomalie de la vie démocratique turque». Porté au sommet, il promettait mardi soir de s’occuper des problèmes sérieux du pays en formant au plus tôt un gouvernement.
Peut-être, finalement, que Recep Tayyip Erdogan a effectivement prié, en son for intérieur, avant de s’adresser au peuple turc qui l’avait apprécié à la tête de la plus grande métropole du pays, accompagné jusqu’à la porte de la prison en 1998, remis en selle lors des législatives de novembre, plébiscité enfin lors du scrutin partiel de dimanche. Car la potion qu’il va lui servir, en gouvernant le pays au seuil d’une conflagration régionale qui apparaît inexorable, est comme l’huile de foie de morue : peut-être bénéfique à terme, mais extrêmement amère à chaque gorgée.
Remettre de l’ordre dans le parti
Or l’opinion publique turque, qui se rappelle que les dirigeants turcs avaient promis de «retirer trois dollars de bénéfice pour un misé» lors de la précédente guerre du Golfe, sait le prix payé par cet aventurisme d’un président controversé, Turgut Özal, auquel on compare souvent Recep Tayyip Erdogan. Simplement parce que, comme le chef de l’état mort brutalement en 1993, à l’issue d’une guerre qui devait coûter très cher au pays et dans laquelle il avait bousculé les militaires au point que le chef d’état-major avait démissionné, il ne vient pas du sérail politique et bouscule l’ordre des choses…
Il n’y a pas beaucoup de changement à attendre de la nouvelle équipe que dirigera M. Erdogan : il est suffisamment proche de son prédécesseur et homme de paille durant quatre mois pour ne pas avoir à changer fondamentalement de politique. Mais il ne fait aucun doute qu’il va «remettre de l’ordre dans le parti» qui a désavoué le gouvernement le 1er mars, changer sans doute le Président de l’Assemblée Nationale, trop ouvertement partisan du «non» à la motion sur le déploiement américain. D’autant que le chef d’état-major Hilmi Özkök affirmait la semaine dernière son soutien à cette motion amère, il est d’ores et déjà certain qu’elle sera adoptée par une majorité des 550 députés du Parlement turc. Ce qui ne veut pas dire qu’elle passera comme une lettre à la poste ! L’opposition social-démocrate a joué son rôle mardi en déposant une demande d’enquête parlementaire sur la véritable nature du déploiement de matériel américain dans le sud-est de la Turquie, normalement autorisé pour des travaux de terrassement et de modernisation de ports et aérodromes, même si les doutes sont permis au vu des convois qui traversent la Turquie. Sa requête a été repoussée.
Mais la contestation, qui s’exprime dans la rue depuis des mois, a valu à la nouvelle législature la première empoignade physique entre un député accusant un autre de «valet de l’Amérique», quasiment sous le regard de Recep Tayyip Erdogan qui venait de prêter serment. Celui-ci, après 17 ans de lutte politique au sommet –n’a-t-il pas géré l’ancienne capitale du califat qui domina des siècles durant le monde musulman, lui, l’ancien militant islamiste ?– se retrouve forcé de faire accepter à ses électeurs la venue de militaires américains pour attaquer un pays voisin, musulman de surcroît.
Les manifestations publiques continuent, devant les ports où débarquent malgré tout les forces américaines, et aussi les négociations avec les Américains sur les garanties politiques, les responsabilités militaires mutuelles et les dédommagements matériels : difficiles, plus difficiles que prévu, manifestement, pour Washington. Au point que les Etats-Unis envisagent désormais, d’après le Pentagone, un pont aérien coûteux et risqué en lieu et lace de ce «front nord» terrestre tant espéré. Mais non, le débarquement se poursuit, la coopération sera scellée à tout prix, mais ce «baiser américain» sera le plus grand risque de la carrière politique de Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre au sommet, à 49 ans, avant même d’avoir été nommé et confirmé par «son» Parlement.
On aurait dit qu’il entamait une prière, mains jointes et bras ballants, face tournée vers le sol, immobile durant de longues secondes avant de lever les yeux vers les caméras, pour dire : «le Président de la République m’a chargé de former le 59e gouvernement de la République turque». L’affront, sous le solennel portrait du fondateur de la République laïque Mustafa Kemal Atatürk, en plein Palais rose présidentiel, n’aurait pas manqué de provoquer l’ire de tous les réfractaires à cet «islamiste» réformé. Mais il a savouré une revanche sobre, dirigeant «conservateur démocrate» comme se définit le parti de la Justice et du Développement en martelant simplement son crédo, invariable depuis la victoire écrasante de «son» parti le 3 novembre dernier. «Le 9 mars, les élections partielles de Siirt ont corrigé une anomalie de la vie démocratique turque». Porté au sommet, il promettait mardi soir de s’occuper des problèmes sérieux du pays en formant au plus tôt un gouvernement.
Peut-être, finalement, que Recep Tayyip Erdogan a effectivement prié, en son for intérieur, avant de s’adresser au peuple turc qui l’avait apprécié à la tête de la plus grande métropole du pays, accompagné jusqu’à la porte de la prison en 1998, remis en selle lors des législatives de novembre, plébiscité enfin lors du scrutin partiel de dimanche. Car la potion qu’il va lui servir, en gouvernant le pays au seuil d’une conflagration régionale qui apparaît inexorable, est comme l’huile de foie de morue : peut-être bénéfique à terme, mais extrêmement amère à chaque gorgée.
Remettre de l’ordre dans le parti
Or l’opinion publique turque, qui se rappelle que les dirigeants turcs avaient promis de «retirer trois dollars de bénéfice pour un misé» lors de la précédente guerre du Golfe, sait le prix payé par cet aventurisme d’un président controversé, Turgut Özal, auquel on compare souvent Recep Tayyip Erdogan. Simplement parce que, comme le chef de l’état mort brutalement en 1993, à l’issue d’une guerre qui devait coûter très cher au pays et dans laquelle il avait bousculé les militaires au point que le chef d’état-major avait démissionné, il ne vient pas du sérail politique et bouscule l’ordre des choses…
Il n’y a pas beaucoup de changement à attendre de la nouvelle équipe que dirigera M. Erdogan : il est suffisamment proche de son prédécesseur et homme de paille durant quatre mois pour ne pas avoir à changer fondamentalement de politique. Mais il ne fait aucun doute qu’il va «remettre de l’ordre dans le parti» qui a désavoué le gouvernement le 1er mars, changer sans doute le Président de l’Assemblée Nationale, trop ouvertement partisan du «non» à la motion sur le déploiement américain. D’autant que le chef d’état-major Hilmi Özkök affirmait la semaine dernière son soutien à cette motion amère, il est d’ores et déjà certain qu’elle sera adoptée par une majorité des 550 députés du Parlement turc. Ce qui ne veut pas dire qu’elle passera comme une lettre à la poste ! L’opposition social-démocrate a joué son rôle mardi en déposant une demande d’enquête parlementaire sur la véritable nature du déploiement de matériel américain dans le sud-est de la Turquie, normalement autorisé pour des travaux de terrassement et de modernisation de ports et aérodromes, même si les doutes sont permis au vu des convois qui traversent la Turquie. Sa requête a été repoussée.
Mais la contestation, qui s’exprime dans la rue depuis des mois, a valu à la nouvelle législature la première empoignade physique entre un député accusant un autre de «valet de l’Amérique», quasiment sous le regard de Recep Tayyip Erdogan qui venait de prêter serment. Celui-ci, après 17 ans de lutte politique au sommet –n’a-t-il pas géré l’ancienne capitale du califat qui domina des siècles durant le monde musulman, lui, l’ancien militant islamiste ?– se retrouve forcé de faire accepter à ses électeurs la venue de militaires américains pour attaquer un pays voisin, musulman de surcroît.
Les manifestations publiques continuent, devant les ports où débarquent malgré tout les forces américaines, et aussi les négociations avec les Américains sur les garanties politiques, les responsabilités militaires mutuelles et les dédommagements matériels : difficiles, plus difficiles que prévu, manifestement, pour Washington. Au point que les Etats-Unis envisagent désormais, d’après le Pentagone, un pont aérien coûteux et risqué en lieu et lace de ce «front nord» terrestre tant espéré. Mais non, le débarquement se poursuit, la coopération sera scellée à tout prix, mais ce «baiser américain» sera le plus grand risque de la carrière politique de Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre au sommet, à 49 ans, avant même d’avoir été nommé et confirmé par «son» Parlement.
par Jérôme Bastion
Article publié le 12/03/2003