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Irak

L’exutoire irakien des opinions arabes

Réprimées, tolérées et parfois même décidées par des pouvoirs soucieux de leur avenir, les manifestations se multiplient dans l’univers arabe où l’expression de tous les sujets de mécontentements populaires se cristallisent aujourd’hui sur la guerre contre l’Irak. Avec Saddam pour héros, les peuples irakien et palestinien comme martyrs, l’axe Washington-Londres-Tel-Aviv en guise de repoussoir et l’oppression économique occidentale comme mobile, l’opinion arabe dispose en outre de nouveaux vecteurs de solidarité dans la galaxie médiatique transnationale inaugurée par la télévision qatarienne Al Jazira. Avec leurs effets déclencheurs ou multiplicateurs, mais aussi en jouant le rôle de soupape, les médias relaient ou suppléent des opinions arabes jusqu’à récemment fragmentées par des régimes plus ou moins répressifs et désormais rassemblées dans le kaléidoscope télévisuel. Dans ce contexte, quelle que soit l’issue de la «bataille de Bagdad», l’occupation prévisible de l’Irak –américaine ou autre – fera longtemps encore tanguer la rue et les pouvoirs arabes.
«Arrêtez la guerre coloniale !», titre en Une le quotidien socialiste marocain Al Ittihad Al Itchikari. Ce même 25 mars, mais du côté du Palais, le journal Assahra relève la résistance des Irakiens qui «n’ont pas accueilli les forces de l’agression avec les fleurs et les vivats». En 1991, le Maroc avait connu les plus grandes manifestations du monde arabe. Face à l’opposition de la rue à la première guerre contre l’Irak, le défunt Hassan II, drapé dans sa souveraineté de Commandeurs des croyants, avait dû exécuter certaines contorsions vis-à-vis de ses alliés occidentaux. Cette fois, son héritier, Mohammed VI a décidé de prendre les devants de la rue. Au premier jour de l’offensive américano-britannique, il a appelé les Marocains à «la pondération» et la date de la première manifestation autorisée a été fixée au 30 mars. Il s’agira de participer «pour condamner l’agression américano-britannique barbare et pour demander son arrêt immédiat», sous l’égide d’un Groupe national d’action pour le soutien à l’Irak qui regroupe une quarantaine d’organisations politiques et syndicales. Entre temps, le président de l’Association (indépendante) marocaine des droits humains a été interpellé. Les autorités le soupçonnaient de vouloir prendre «des initiatives de solidarité avec le peuple irakien».

Pour sa part, le président syrien Bachar Al-Assad s’est attaché à mettre officiellement la rue de son côté après la mort de cinq ressortissants syriens tués dimanche par un missile alors qu’ils revenaient d’Irak en autocar. Lundi, Damas a condamné cet «acte criminel» et remis aux ambassadeurs américain et britannique une note de protestation indiquant que «Damas se réserve le droit de réclamer réparation conformément au droit international». Le lendemain, mardi 26 mars, des centaines de milliers de Syriens ont défilé dans la capitale aux cris de «Nous ne renoncerons ni à Bachar (El-Assad), ni à Saddam». «La cause irakienne est inséparable de la cause palestinienne», proclamaient également les banderoles. Dans la rue, l’équation est simple : «Bush, Blair, Sharon, le triangle du terrorisme international». Elle est très incertaine pour nombre de régimes.

Nous voulons nous battre !

Quand la télévision irakienne assure que ce sont «Des paysans qui ont abattu deux hélicoptères de combat Apache», la rue exulte. Quand le vice-président irakien Taha Yassine Ramadan balaie d’un «trop peu, trop tard» la résolution de la Ligue arabe qui a condamné lundi «l’agression» contre l’Irak, le Koweït qui a exprimé des réserves est bien le seul a ne pas blêmir sous le camouflet. Renvoyés en échos par les télévisions arabophones, le «message» du ministre irakien du pétrole aux pays pétroliers arabes est limpide pour les peuples branchés sur le réseau international . «Il ne faut pas augmenter vos productions» dit le ministre. «Il faut au contraire laisser grimper les cours pour faire payer les Américains». Sur les écrans, Saddam Hussein tient le premier rôle. Lui même se réclame de Saladin. Les foules arabes lui rêvent une victoire et passent l’éponge sur ses péchés totalitaires.

A savoir l’armada américaine défiler dans le canal de Suez, à voir les images de Bagdad bombardée ou de Bassorah assiégée, l’opinion égyptienne s’échauffe et la jeunesse égyptienne enrage. «On arrive !» promettent les bandeaux des étudiants bastonnés aux portes de l’Université Al-Azhar au cours de manifestations massives, jeudi et vendredi au Caire. Près de 800 personnes ont été arrêtées et l’organisation des droits de l’homme Human Rights Watch dénonce des cas de tortures. Lundi, les manifestations ont été circonscrites de force sur le campus qui compte 35 000 étudiants. «Notre gouvernement est avec l’Amérique, nous nous sommes contre», explique un manifestant. Keffieh palestiniens sur la tête, Corans à la main, les manifestants ont répondu à l’appel du comité de «La génération pour la victoire prochaine». Tout un programme concocté en particulier par les Frères musulmans, mais pas seulement. Alliés de Washington, les dirigeants arabes sont qualifiés de «traîtres». «Moubarak, pourquoi attends-tu ? Nous voulons nous battre !», s’égosille la foule.

Même Oman a encore manifesté lundi aux cris de «Non aux bases américaines à Oman». Et à Bahreïn, après les manifestations musclées de dimanche à Manama, six groupes politiques ont écrit au gouvernement qu’ils «respectent la position nationaliste des masses» et lui demande «de trouver sérieusement des solutions aux problèmes dont souffre le citoyen, en particulier le chômage». Pour leur part, les journaux saoudiens condamnent la «sale guerre, une guerre d’occupation confisquant l’Histoire», et non point d’après eux une «opération liberté pour l’Irak… alors que des centaines de civils tués ou blessés montrent l’étendue du crime». C’est là visiblement le maximum légal autorisé à Ryad où les autorités appellent les Saoudiens à «ignorer» les médias étrangers qui couvrent la guerre en Irak et de s’informer à travers les médias nationaux qualifiés «d’objectifs». Le Koweït, lui, menace la Libye de représailles après l’attaque de son ambassade à Tripoli par des manifestants qui ont mis en pièces le drapeau de l’émirat. Une attaque commanditée par les autorités libyennes selon le Koweït, l’une des pièces maîtresses du dispositif militaire américain et de la mise en scène médiatique de la guerre.

La Jordanie de son côté n’a pas réussi longtemps à cacher les mouvements aériens et terrestres organisés par les forces américano-britanniques à partir de son territoire. Le pays est peuplé d’une large majorité de Palestiniens. De très nombreux Irakiens complètent ce tableau contrasté. Et pour le moment davantage d’Irakiens ont quitté le pays (5 284 officiellement depuis le 16 mars) pour se battre dans le camp de Saddam Hussein que pour le fuir et s’installer dans les camps de réfugiés – quasiment vides - installés sur le sol hachémite. Des étudiants de l’université al-Hussein de Maan, un bastion islamiste au sud du pays, sont déjà allé hurler dans les rues «Les forces américaines : dehors ! Fermez l’espace aérien au B-52 ! Chassez l’ambassadeur américain !» Mais c’est en expulsant des diplomates irakiens dimanche que la Jordanie s’est distinguée. Les autorités ont tenté de se justifier en disant qu’il ne s’agissait pas de répondre aux injonctions américaines mais de se débarasser de «cinq diplomates dont les activités portaient atteinte à la sécurité de l’Etat ».Personne n’a cru Amman et lundi, le roi Abdallah II s’est déclaré prêt à remplacer les diplomates expulsés, pour calmer la population.



par Monique  Mas

Article publié le 25/03/2003