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Irak

L’opposition chiite craint d’être isolée par les Américains

Après avoir accepté de parler avec les Américains pour préparer l’après-Saddam, le principal groupe de l’opposition chiite, l’Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (Asrii), dirigée par l’ayatollah Mohammed Baqr al Hakim, craint d’être isolé et neutralisé par les Américains qui se méfient de cette force islamiste protégée par l’Iran.
De notre correspondant à Téhéran

«Les forces de coalition sont les bienvenues en Irak tant qu'elles aident le peuple irakien à se débarrasser de la dictature de Saddam, mais si les Américains et leurs alliés cherchent à occuper ou à coloniser notre pays, le peuple irakien résistera par tous les moyens légitimes, y compris l'usage de la force et des armes». Le chef du plus important mouvement d'opposition irakien (Asrii), l'ayatollah Mohammed Baqr al Hakim, a durci le ton à l’égard des États-Unis une semaine après le début des opérations militaires des forces de la coalition contre le régime de Saddam Hussein.
C’est la première fois que le chef de la principale organisation d'opposition chiite irakienne prend une telle position contre les Américains. Mohammad Baqer Hakim a même appelé les Irakiens à rester «neutres» dans le conflit. «Nous l’avons dit dès le début, cette guerre est contre les intérêts du peuple irakien», a affirmé l’ayatollah al Hakim.
Le durcissement de la position de l'ayatollah al Hakim, exilé en Iran depuis 20 ans, vis-à-vis des États-Unis tranche avec la modération observée par les dirigeants de l'Asrii ces derniers. En effet, l’opposition chiite a accepté l’été dernier de prendre langue avec les États-Unis pour tenter de renverser le régime du président irakien. Les responsables de l’Asrii espéraient sans doute que les Américains leurs réserveraient un rôle plus actifs dès le début de la guerre.
Les chiites irakiens sont en effet très méfiants à l’égard des projets de Washington d’installer une administration militaire américaine à Bagdad même pour une période de transition. Même si les Américains s’engagent à remettre le pouvoir à un gouvernement intérimaire irakien, dans les mois suivant la chute du régime actuel.
Signe sans doute de la volonté des Américains d’isoler ou en tout cas de neutraliser l’opposition chiite, l’ayatollah Hakim a affirmé que les Etats-Unis avaient fait savoir aux dirigeants du mouvements que leurs combattants ne devaient pas prendre part aux combats et «avoir des activités» militaires pendant la campagne américaine visant à renverser le régime irakien.
«Les Américains ont conseillé aux Irakiens de rester chez eux et cet ordre est aussi valable pour les combattants des groupes de l’opposition», a ainsi affirmé l’ayatollah Hakim. Ce qui a fortement mécontenté les dirigeants de l’opposition chiite, basés en Iran. L’Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (Asrii) dispose sur le territoire iranien quelque 10 000 à 15 000 combattants selon les diplomates occidentaux et «plusieurs dizaines de milliers de combattants à l’intérieur même de l’Irak», selon l’ayatollah Hakim. De même, les Américains ont interdit aux combattants de la brigade al-Badr d’entrer en Irak depuis l’Iran.
Soutenue depuis vingt ans par l’Iran, l’Asrii prône un islam calqué sur le modèle iranien. Surtout, selon les experts, la base du mouvement est composée de militants islamistes très hostiles aux États-Unis. Ce militantisme islamiste n’est pas pour plaire aux Américains. Les dirigeants du mouvement doivent aussi tenir compte de la position anti-américaine de leurs protecteurs iraniens. L’Iran a d’ailleurs interdit également aux combattants de la brigade al-Badr de franchir la frontière internationale pour aller combattre en Irak.

Tributaire des Américains et des iraniens

«Les Américains ne font pas confiance à l'ayatollah Hakim et à ses amis politiques, alliés de l'Iran» malgré les contacts de ces derniers mois, estime Mohammad Sadegh al-Hosseini, journaliste et expert des pays arabes. «Après la guerre, les Américains vont chercher à isoler et neutraliser le mouvement chiite au profit de technocrates chiites irakiens ayant vécu dans les pays occidentaux, qui pourraient, avec l'aide de certains éléments du régime déchu de Saddam Hussein, mettre en place un régime pro-occidental et technocrate, de préférence non lié avec l'Iran», ajoute-t-il.
En effet, les dirigeants de l’Asrii, qui sont pour la plupart des religieux ne cachent pas leur volonté de «travailler pour établir les règles de la charia et les intégrer dans la vie sociale et politique du futur Irak», même si l’ayatollah al Hakim a affirmé que «le futur gouvernement de Bagdad sera national, fédéral et démocratique, représentant tous les groupes ethniques et religieux, et qu'il rejettera toute autre solution imposée par l'extérieur».
Alliée de partis kurdes, l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) de Jalal Talabani et le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani, mais aussi du Congrès national Irakien (CNI) d’Ahmed Chalabi, l’Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (Asrii) se doit de tenir un langage modéré et tenir compte de ses alliés de l’opposition, qui sont pour la plupart de tendance laïque et moderniste. Contrairement aux deux principaux partis kurdes irakiens, qui contrôlent déjà le Kurdistan irakien et possèderaient des dizaines de milliers de combattants sur place, l'opposition chiite paraît tributaire, pour entrer dans le sud irakien, de la décision des Américains et des Iraniens. Ce qui leur donne une marge de manœuvre plutôt limitée.



par Siavosh  Ghazi

Article publié le 27/03/2003