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Centrafrique

Etat de grâce fragile

Un accueil triomphal, des opposants de retour à Bangui, le choix d’un Premier ministre «au-dessus de tout soupçon» : l’auteur du dernier coup d’Etat centrafricain bénéficie d’une conjoncture exceptionnelle. Mais les espoirs immenses soulevés par le général François Bozizé sont à la mesure de la situation catastrophique dans laquelle est plongée le pays. «Ils vont voir le maçon au pied du mur», a assuré le tombeur d’Ange-Félix Patassé au lendemain de la conquête de Bangui.
Historique, «du jamais vu en Centrafrique», commente un témoin cité par l’AFP. Cent mille personnes vendredi dans les rues de Bangui, non pas pour fuir, piller ou protester, mais pour exprimer l’espoir d’un retour à la paix et à l’Etat de droit : ramené à une population centrafricaine totale de moins de quatre millions de personnes, c’est un chiffre considérable, un quasi-plébiscite ! Et aucun témoignage n’indique qu’une quelconque contrainte ait été exercée pour engager les Centrafricains à faire allégeance au nouveau maître de Bangui. La marée humaine qui a envahi l’avenue Barthélémy Boganda, ce 28 mars, manifestait l’enthousiasme d’une population manifestement soulagée du départ des anciennes autorités et des intentions du nouveau-venu.

Ces Centrafricains, aujourd’hui réunis dans l’espoir d’une paix retrouvée, ont en effet payé le prix fort des nombreuses mutineries et tentatives de déstabilisation perpétrées dans leur pays au cours de ces dernières années. Les derniers mois ont été terribles. Incapable de payer ses fonctionnaires (plus de deux ans d’arriérés de salaires), impuissant à constituer une armée nationale digne de ce nom, le régime a offert le pays au pillage des mercenaires qu’il a dû engager pour tenter, en vain comme on le sait, de se maintenir. Mais, outre la guerre, c’est la fin du climat d’affairisme qui ronge la Centrafrique et de l’économie de prédation qui caractérise l’activité que les Banguissois voulaient célébrer vendredi. En tout cas ils veulent y croire.

Les premiers signes donnés par le nouveau pouvoir sont encourageants. Au lendemain du coup d'Etat du 15 mars, les propos du nouvel homme fort appelant à la paix et à la réconciliation et marquant son souci de ne pas s'approprier le pouvoir en intégrant les forces politiques et les anciens chefs d'Etat à la reconstruction, avaient déjà favorablement impressionné. Le choix, stratégique pour le poste de Premier ministre de l’opposant historique Abel Goumba, compagnon de route du père-fondateur de la Centrafrique indépendante Barthélémy Boganda, avait définitivement rassuré sur les intentions du général. La réputation d’intégrité dont jouit Abel Goumba rejaillit ainsi sur les projets de la nouvelle équipe. En retour, celle-ci aura fort à faire pour conserver, ou faire fructifier, ce capital de confiance et se montrer à la hauteur. Dimanche enfin, plusieurs exilés politiques sont rentrés au pays à bord du premier vol Air France depuis le putsch. Parmi eux l’opposant Charles Massi, l’ancien député et ministre Charles Armel Doubane et l’homme d’affaires Sani Yalo, considéré comme le financier de la rébellion.

Et ce n’est qu’une première vague. Si l’ancien Premier ministre Jean-Paul Ngoupandé n’était pas du voyage, son retour est annoncé. Son ancien directeur de cabinet Karim Meckassaoua, exilé en France, est d’ores et déjà retourné à Bangui, en même temps que le secrétaire général du parti de l’ancien président Kolingba, lui-même réfugié en Ouganda mais désormais autorisé à rentrer lui aussi à Bangui.

Condamnation et modération

Certes, tout cela n'est pas très conforme aux principes démocratiques dont il vaut mieux pouvoir se prévaloir par les temps qui courent. Le coup d'Etat de François Bozizé a été fort mal reçu, officiellement, par une communauté internationale qui a très vivement condamné le procédé. Mais pas jusqu’à la rupture pourtant, et aucune action de représailles n’a été engagée pour restaurer le pouvoir d’Ange-Félix Patassé. Ce dernier est renversé à un moment tragique de l’histoire de son pays et sa contribution au désordre est avéré. Et François Bozizé a pris soin de rassurer les partenaires régionaux de la Centrafrique et a demandé, et obtenu, le maintien du contingent de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), dont seuls les Equato-guinéens se sont retirés, alors que le Tchad déployait sur place plusieurs centaines d’hommes. La France, qui a envoyé elle aussi plusieurs centaines d’hommes pour assurer la sécurité des étrangers, poursuit sa mission d’assistance logistique au contingent de la CEMAC.

Ainsi, en dépit de la gravité de ces derniers épisodes, dans le contexte d’une Centrafrique exsangue, les signaux envoyés par Bangui ne peuvent laisser indifférents une communauté internationale, et surtout régionale, même hostile. Reste enfin à savoir si elles laisseront au maçon le temps de construire son mur tant il est vrai que le petit jeu de ces ambitions, qu’elles soient congolaise, tchadienne, ou autre, pèse d’un poids historique dans la déstabilisation du pays aujourd’hui encore soumis à une militaire étrangère toujours lourde de menace pour la souveraineté nationale.



par Georges  Abou

Article publié le 31/03/2003