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Congo démocratique

Nouveaux risques d’affrontements entre le Rwanda et l’Ouganda

A Bunia, la population est soulagée du départ des milices Hémas de l’Union des patriotes congolais chassées la semaine dernière de cette capitale provinciale du Nord-Est de la République Démocratique du Congo. Elle espère maintenant la prochaine mise en place d’un Comité de pacification de l’Ituri qui devrait conduire à la réunification de leur province avec le reste du pays et au départ des troupes ougandaises.
De notre envoyé spécial à Bunia

A la nuit tombée, de nombreux groupes de femmes pénètrent silencieusement à Bunia. Elles portent sur leurs têtes des ballots dans lesquelles elles ont mis un peu de nourriture et des habits. La plupart avaient fui les combats du jeudi 6 mars aux cours desquels l’armée ougandaise est parvenue à chasser les milices de l’Union des Patriotes Congolais (UPC) qui tenaient la ville. Elles retournent à Bunia vérifier si le calme est revenu. Elles iront ensuite raconter à leurs maris ce qu’elles ont trouvé en ville.

Cependant, les habitants de Bunia se disent soulagés. Coupée du monde durant des mois, cette ville rendue à la campagne commence déjà à connaître un semblant de normalité. Les routes sont progressivement réouvertes et les humanitaires découvrent des villages qui ont été totalement brûlés par les milices tribales de l’UPC. «Nous avons trouvé des villages Lendus ainsi que d’autres ethnies totalement rasés par les milices de l’UPC», dénonce un humanitaire qui en cette période encore pleine d’incertitudes préfère garder l’anonymat. «Les milices de l’UPC s’amusaient entre autre à tirer sur les paysans au mortier depuis la route principale : uniquement pour se distraire !», s’indigne-t-il.

Les pillages qui ont eu lieu à Bunia les jeudi 6 et vendredi 7 février, et qui ciblaient principalement quelques riches familles Hemas proches de l’UPC, sont clairement «des actes de vengeance de la part des tribus qui ont été victimes des exactions des milices», ajoute cet humanitaire. Mais la plupart des magasins sont restés intacts et il n’y pas eu de massacres systématiques d’une ethnie contre une autre. Pour la première fois depuis qu’elle a envahi cette région de la République démocratique du Congo, en 1998, le discours de l’armée ougandaise est en phase avec celui de la population : Bunia sera administré par des civils et non plus par des groupes armés téléguidés depuis Kampala ou Kigali. L’armée ougandaise soutiendra en outre la mise en place le plus rapidement possible du Comité de pacification de l’Ituri dont le travail doit permettre la réunification de cette province au reste du pays dans les prochaines semaines.

Des listes de noms circulent

Mais la population est inquiète. Dans la rue, elle n’ose même pas chuchoter. Des tracts circulent, qui mettent des têtes à prix. Ces listes de noms font d’autant plus peur que, sur le terrain militaire, la situation demeure incertaine. A en croire les explications données par le général Kayihura, le conseiller militaire du président ougandais, qui dirige les actuelles opérations de l’armée ougandaise dans le Nord-Est du Congo, les milices de l’UPC continuent de recevoir des renforts sur les aéroports de Montgwalu et de Fataki. «Au moment où je vous parle, il existe en effet dans cette région du Congo une force dite Armée de rédemption du peuple, dirigée par un de nos politiciens qui a perdu les dernières élections générales (le Colonel Besigye, NDLR). Avec le soutien de gens de la région (des grands lacs), il a établit une présence ici dans les montagnes vers Kwandruma. Nous connaissons leur nombre et qui les commande. Des armes leurs sont apportées par avion, ainsi qu’à L’UPC».

Le général Kayihura, pour des raisons diplomatiques, refuse d’accuser nommément le Rwanda voisin. Mais à Kampala, la presse montre du doigt Kigali qui a effectivement envoyé des tonnes d’armes à l’UPC depuis le mois d’octobre dernier à travers le RCD-Goma, son mouvement armé en République démocratique du Congo. «Il s’agit d’intégrer cette région dans le processus de paix congolais afin que le gouvernement de transition du Congo la prenne en charge. Ainsi pourrons-nous avoir un interlocuteur responsable si des éléments pénètrent depuis le Congo en Ouganda pour y causer la désolation», précise Kayihura.

Même le fameux chef Kawa, l’initiateur de ces milices Hémas qui ont semé la désolation devant elles depuis des années, s’est rallié à l’opinion générale. Depuis qu’il a lâché l’UPC à la fin de l’année dernière en s’exilant à Kampala, le chef Kawa se veut lui aussi un ardent défenseur de la réunification de la République démocratique du Congo. Plus élégant que jamais dans ses costumes flambants neufs et ses mocassins en peau de crocodile, il affirme n’avoir aucune ambition politique sauf celle de protéger ces concitoyens.

Mais au Rwanda, on voit d’un très mauvais œil ces derniers développements. «Les Nations Unies doivent ordonner et obtenir un retrait total et immédiat des troupes ougandaises de la République démocratique du Congo ainsi que le retour des forces de Kabila sur leurs positions défensives», a demandé vendredi Charles Muligande, le ministre des Affaires étrangères du Rwanda. «Si la communauté internationale ne parvient pas à changer les événements en cours de manière décisive, le Rwanda sera obligé d’assumer ses responsabilités et de prendre les mesures appropriées pour protéger sa population», menace-t-il, donnant ainsi corps à la menace de nouveaux affrontements entre son pays en l’Ouganda en République Démocratique du Congo.



par Gabriel  Kahn

Article publié le 16/03/2003