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Cuba

Cuba fête les 50 ans de la première télénovela

Ces feuilletons à l’eau de rose, typiquement latino-américains, font un véritable tabac sur les écrans du monde entier. Produits facilement exportables, les télénovelas ont fait la fortune des chaînes comme Globo au Brésil ou Télévisa au Mexique. Mais surprise, ces feuilletons où se mêlent tragédies d’amour et guerres fratricides sont nés sur la perle des Caraïbes, lorsque Cuba n’était encore qu’une colonie espagnole.
De notre correspondante à La Havane

Il était une fois, des centaines de prisonniers entassés dans les cales de grands navires, reliant les geôles d’Europe aux côtes cubaines. Pour résister aux fers qui leur entaillaient les poignets et oublier le rythme implacable des coups de fouets, l’un d’eux se mettait parfois à raconter de fabuleuses histoires. Grandes aventures inspirées d’auteurs français comme Alexandre Dumas ou tragédies d’amour puisées dans les souvenirs des prisonniers conteurs débarquèrent ainsi sur les côtes de la perle des caraïbes. Des galions espagnols, ces aventures se propagèrent jusqu’au cœur des fabriques de cigares. Là, assis sur un tabouret dominant les tablettes derrières lesquelles les femmes roulaient inlassablement les cigares, un conteur attitré s’efforçait de noyer l’ennui dans un flot de larmes et de soupirs romanesques. Un siècle plus tard, au début des années 1930, la radio prit le relais et diffusa dans toute l’île ses fameuses histoires devenues radionovelas.

Depuis ses origines, la transmission orale et non écrite des novelas permis de toucher un large public, notamment les femmes, dans une population pour la plupart analphabète. Cet avantage n’échappa pas aux grandes entreprises américaines de lessives, comme Palmolive, qui cherchaient de nouveaux supports pour attirer les consommatrices latino américaines. Très vite, les baisers et sanglots de l’héroïne furent entrecoupés par des spots publicitaires. À tel point que Felix B. Caignet, auteur de la première et célèbre radionovela El derecho de nacer, se qualifiait d’«écrivain pour ménagères», et expliquait «Elles consommaient les produits vantés dans mes programmes bien qu’elles vivaient dans la pauvreté et la souffrance. Pleurer les aidait à apaiser leurs peines et mes histoires à oublier leurs angoisses. J’ai donc ouvert le robinet des pleurs». Au début des années cinquante les radionovelas cubaines inondaient toute l’Amérique latine. À nouveau, ces fabuleuses histoires traversèrent les mers et comme le raconte l’écrivain péruvien Vargas Llosas dans son livre Tante Julia et le scribouillard, les scénarios arrivaient à moitié mangés par les rats. Les scénaristes vénézuéliens, portoricains comme tant d’autres devaient alors imaginer ce qui avait bien pu faire pleurer la belle lors de ses lignes dévorées.

Hugo, Balzac ou Stendhal

Les entreprises de détergent ne furent pas les seules à s’intéresser au succès cubain. Aux recettes publicitaires vinrent bientôt s’ajouter les investissements des services de propagande nord-américains. Car, suite à la seconde guerre, les États-Unis comprirent l’importance primordiale des médias de masse, et le contrôle des radios et télévisions d’Amérique latine devint l’un des enjeux de la guerre froide. Cuba, grâce à son expérience dans la production radiophonique, profita des premiers investissements américains. Et en 1950, quelques années avant la France, la perle des Caraïbes pouvait se vanter d’avoir sa propre télévision. Une fois encore, les novelas surent s’adapter à merveilles. Des galions espagnols, aux fabriques de tabacs, en passant par les ondes, les télénovelas devinrent les programmes phares de ce nouveau média de masse. «À l’époque pas question de rater ses colères ou ses crises de larmes» se rappelle Anthonio Vazquez Gallo, l’un des premiers directeurs de télénovelas, «tout ce faisait en direct». La télévision, bien plus que la radio, reprenait les grands classiques de la littérature, notamment français, et les adaptait sous forme de feuilletons. Ainsi, Victor Hugo, Honoré de Balzac, ou Stendhal font partie de la culture populaire cubaine. «C’est en regardant Le rouge et le noir que j’ai versé mes premières larmes face à un écran de télévision» se rappelle, émue, Margarita «J’ai dû attendre d’avoir 81 ans pour que la télévision m’offre à nouveau mes émotions d’antan !»

1er janvier 1959, Fidel Castro suivit de Che Guevarra et d’une horde de guérilleros barbus entrent victorieux à La Havane. La révolution est en marche et comme le dit la chanson «se acabo la diversion, llego el comandante y mando a parar» (fini de s’amuser, le comandant (Fidel) est arrivé et a ordonné de tout arrêter). Fini les heures passées à pleurer devant son poste de radio ou télévision. Dans la lutte idéologique que se livraient les États-Unis et l’URSS, la «culture du divertissement» venait de perdre face à la «haute culture». Dorénavant, la télévision cubaine, avait pour mission de transformer l’ancien consommateur en travailleur politiquement correct. Les riches princes des novelas se transformèrent alors en héros révolutionnaire et les jolies servantes en militantes syndicales. Mais ces nouvelles télénovelas dites «sociales» ne trouvèrent pas de débouchés sur le marché latino américain. Finie l’exportation des larmes et des soupirs cubains, le Brésil et le Mexique prendront la relève.

30 ans plus tard, alors que Cuba vivait dans la prospérité, El Comandante autorisa finalement la diffusion d’une télénovelas brésilienne. Ce fut le choc. À 21 heures précise l’île arrêtait toute activité pour suivre les aventures de la pauvre Malue. Impossible d’ignorer un tel succès. La télévision cubaine fut donc autorisée à renouer avec ses traditions, tout en gardant présente la veine sociale. Plus de jolies esclaves soumises, mais de jolies métisses sachant se défendrent. Mais malgré les orientations données, les télénovelas cubaines commencèrent, petit à petit, à briser les barrières de la censure. Aujourd’hui, des thèmes comme l’homosexualité, la prostitution ou la corruption commencent à resurgir. Fini le temps des larmes inutiles, celui des luttes politiques, voici venu le temps d’une transition en douceur



par Karen  DONADEL

Article publié le 10/03/2003