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Francophonie

«Enseigner d’abord dans les langues nationales»

Selon Martine Defontaine, secrétaire générale de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF), les Etats généraux de l’enseignement du français en Afrique, qui s’achèvent ce 20 mars 2003 à Libreville (Gabon), devraient aboutir à une refonte des systèmes pédagogiques : revalorisation des langues nationales dans l’enseignement primaire et apprentissage ultérieur du français.
De notre envoyé spécial à Libreville

RFI : Quel est votre diagnostic sur l’enseignement du français en Afrique ? Autrement dit : qu’est-ce qui ne va pas ?

Martine Defontaine : Le problème fondamental, c’est tout simplement le fait que les enfants n’étant pas francophones au départ, cela crée une situation singulière. Or celle-ci n’a pas été suffisamment prise en compte dans les systèmes scolaires. D’où une hésitation sur le statut du français qui apparaît en fait comme une langue étrangère, puisque certains enfants ne parlent pas du tout français à la maison, alors que d’autres enfants arrivent à l’école avec de bonnes bases en français et sont évidemment avantagés.

Donc, enseigner directement en français est un peu remis en cause actuellement, et tous les ateliers qui se sont tenus ici à Libreville ont convergé vers une revalorisation des langues nationales dans l’enseignement primaire. Dès le début de la scolarisation, il s’agirait d’enseigner les matières telles que les mathématiques dans les langues nationales. Ensuite, et cela ne remet pas du tout en question l’enseignement du français ni l’enseignement en français, les bases seront plus solides pour construire un apprentissage ultérieur du français. C’est en réalité une revendication très ancienne qui je pense va aboutir. Cela a été démontré par des expériences pédagogiques et des audits encourageants, menés notamment au Burkina Faso ou au Mali: l’échec scolaire est beaucoup moins important si l’on enseigne les bases dans les langues nationales. Et pourtant, le Mali enseigne en 11 langues. Il y a donc bien une possibilité d’adaptation.

«Le bilinguisme est un enrichissement»

RFI : C’est tout de même une affaire très délicate…

M.D. : Je pense que le bilinguisme est un enrichissement, l’essentiel étant de ne pas envisager une rivalité ou un conflit entre le français et les langues nationales. Cette volonté de revaloriser les langues nationales n’empêche absolument pas que le français apparaisse comme une langue d’intégration sociale, d’internationalisation, d’accès à un métier plus valorisant. D’ailleurs, les parents sont très désireux de voir leurs enfants apprendre le français.

RFI : Qu’attendez-vous à présent de ces Etats généraux ?

M.D. : Le but était de faire en sorte que la parole des enseignants de base remonte et s’exprime jusque dans les propositions. Et j’ai pu constater que nous, FIPF, Agence universitaire de la francophonie et Agence internationale de la francophonie avons rédigé ensemble les propositions qui ont été soumises aux ministres de l’Education à partir de la parole des enseignants. C’est donc très positif. Maintenant, un comité de suivi va être créé, regroupant tous les opérateurs, les représentants des ministères et les bailleurs de fonds. Ensuite, étant donné que nous avons eu l’écoute des ministres de l’Education qui ont participé aux Etats généraux, il y aura des concertations qui devraient aboutir à une rénovation des systèmes scolaires: refonte des programmes, pédagogie nouvelle, nouveaux manuels, changements dans les politiques linguistiques, peut-être une harmonisation sur certains points, par exemple les programmes de français proprement dits. Tout en soulignant, bien sûr, que chaque pays gardera sa souveraineté en matière éducative.

RFI : C’est donc un vaste programme de long terme…

M.D. : Je dois dire qu’effectivement, c’est une tâche de longue haleine qui s’échelonnera sur des années, 5 ou dix ans ! Mais dans l’immédiat, malgré tout, je pense que le comité de suivi se mettra en place très rapidement, et que des décisions seront prises dans la foulée, même si la mise en œuvre nécessite forcément des délais.



par Propos recueillis par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 20/03/2003