Iran
Manifestations et neutralité
Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Téhéran et en province contre la guerre menée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, mais Téhéran insiste sur sa politique de neutralité dans le conflit.
De notre correspondant à Téhéran
«Bush, Saddam, Blair, allez en enfer tous ensemble». Cette phrase était inscrite sur une pancarte portée par un Iranien venu participer vendredi à la première manifestation anti-guerre organisée par le pouvoir iranien, qui a déclaré sa «neutralité» dans le conflit qui oppose deux de ses principaux ennemis (Saddam Hussein et les Etats-Unis).
Malgré des slogans contre «Saddam le criminel», les slogans lancés par les dizaines de milliers de Téhéranais venus participer à cette manifestation ont été beaucoup plus virulents vendredi contre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, interprétés comme une menace pour l'avenir, que contre Saddam Hussein, l'ennemi d'hier. Ailleurs dans le pays, des manifestations identiques ont rassemblé plusieurs milliers de personnes.
Le pouvoir avait décidé d’organiser cette manifestation après la prière du vendredi pour être sûr de la participation des fidèles. En effet, une fois la prière terminée, les fidèles devaient parcourir à peine cinq cent mètres –le trajet de la manifestation– jusqu’à la place Enghelab (Révolution). Mais la manifestation a été loin des grands rassemblements généralement organisés par le pouvoir iranien.
Dans la foule, on pouvait voir de nombreuses femmes en tchador noir portant des posters d’enfants irakiens blessés par les bombes américaines. Mais les manifestants n’oublient pas les «crimes» de Saddam Hussein. «Aujourd'hui encore des soldats atteints par les armes chimiques de Saddam meurent quotidiennement en Iran», affirme un vétéran de la guerre Iran-Irak (1980-88), qui dit avoir passé plus de «60 mois au front» pour combattre les Irakiens. Les pancartes dénoncent aussi «Bush le criminel» et «sa démocratie à coups de missiles», ou représentent des cercueils enveloppés dans la bannière américaine. De nombreux drapeaux américains et britanniques ont également été brûlés par les manifestants.
Puis un groupe de plusieurs de jeunes manifestants s'est dirigé vers l'ambassade de Grande-Bretagne, non loin de là, à défaut de pouvoir marcher sur celle des Etats-Unis. A coups de pierres, ils ont brisé les vitres de la représentation diplomatique. «Bush commet des crimes, Blair trahit», ont scandé les jeunes manifestants.
Frontières fermées
«Notre gouvernement est contre la guerre et exprime le sentiment de la population, nous n'avions donc pas besoin de venir manifester», répond un religieux en turban blanc lorsqu’on lui demande pourquoi l’Iran a tant tardé à manifester contre la guerre. «Nous voulons montrer la solidarité des musulmans face à Bush, Blair, Sharon et le criminel Saddam et dénoncer la guerre du pétrole», ajoute un autre. Se déclarant «neutre» dans le conflit, l’Iran a opté pour un langage de modération. Le gouvernement a réaffirmé mercredi qu'il ne permettrait «jusqu'à la fin de la guerre (...) aucune activité militaire en faveur de l'une des deux parties et (que ses) frontières sont complètement fermées». Ainsi, les combattants de la brigade al-Badr, bras armé de l’Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (Asrii), principal groupe de l’opposition chiite irakienne, n’ont pas été autorisés par l’Iran à franchir la frontière pour aller combattre en Iran.
Autre signe de modération, ces derniers jours, plusieurs responsables iraniens n’ont pas hésité à affirmer qu’ils trouvaient «naturel» que des missiles ou des roquettes américaines tombent en Iran à cause de la proximité des champs de bataille. Téhéran s’est également contenté de protester verbalement contre la violation de son espace aérien par des avions de la coalition qui survolent l’extrême sud ouest de l’Iran pour aller bombarder l’Irak. L’Iran a également annoncé que sa marine avait intercepté mercredi une vedette irakienne bourrée d’explosifs qui circulait sur le fleuve Arvandroud (nom iranien de Chatt al-Arab), non loin du port Oum Qasr, conquis par les Britanniques. Selon les autorités iraniennes, deux autres vedettes ont réussi à prendre la fuite. Ces vedettes avaient sans doute l’intention de mener des opérations suicide contre les forces de la coalition dans le port d’Oum Qasr.
L'Iran, qui a proclamé sa neutralité dans la guerre contre l’Irak, verrait d'un bon oeil la chute de Saddam Hussein, accusé d’avoir déclenché en 1980 la guerre contre l’Iran, qui a duré 8 ans et fait des centaines de milliers de morts côté iranien. Mais dans le même temps, Téhéran craint de ne pas avoir son mot à dire en ce qui concerne le futur régime irakien. En effet, l’opposition chiite irakienne, basée et soutenue en Iran depuis une vingtaine d’année, pourrait être isolée et neutralisée par les Américains, lui préférant une force plus «moderniste» qui ne regarderait pas forcément en direction de Téhéran.
Autre inquiétude, l’Iran, qui a été placée par les Etats-Unis parmi les pays de «l’axe du mal» craint d’être le second sur la liste après l’Irak. En effet, les Etats-Unis, mais aussi des pays européens comme la France estiment que l’Iran voudrait utiliser son programme nucléaire civil et la centrale nucléaire de Bouchehr, actuellement construite dans le sud-ouest par les Russes, pour fabriquer la bombe atomique. «Ce programme posera un jour des problèmes à l’Iran», n’hésite d’ailleurs pas à affirmer un diplomate occidental basé à Téhéran.
En tout cas, en cas de succès (probable) des Américains et d’installation de leurs troupes en Irak, l’Iran sera totalement encerclée par les Etats-Unis qui sont déjà présents dans tous les pays voisins de l’Iran.
Une présence qui inquiète les Iraniens. «Nous sommes déjà en guerre avec les Etats-Unis, même si les Américains n’oseront jamais nous attaquer militairement, nous sommes déjà en guerre avec eux sur le plan politique, économique et surtout culturel», avait déclaré il y a quelques jours le guide suprême iranien l’ayatollah Ali Khameneï.
«Bush, Saddam, Blair, allez en enfer tous ensemble». Cette phrase était inscrite sur une pancarte portée par un Iranien venu participer vendredi à la première manifestation anti-guerre organisée par le pouvoir iranien, qui a déclaré sa «neutralité» dans le conflit qui oppose deux de ses principaux ennemis (Saddam Hussein et les Etats-Unis).
Malgré des slogans contre «Saddam le criminel», les slogans lancés par les dizaines de milliers de Téhéranais venus participer à cette manifestation ont été beaucoup plus virulents vendredi contre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, interprétés comme une menace pour l'avenir, que contre Saddam Hussein, l'ennemi d'hier. Ailleurs dans le pays, des manifestations identiques ont rassemblé plusieurs milliers de personnes.
Le pouvoir avait décidé d’organiser cette manifestation après la prière du vendredi pour être sûr de la participation des fidèles. En effet, une fois la prière terminée, les fidèles devaient parcourir à peine cinq cent mètres –le trajet de la manifestation– jusqu’à la place Enghelab (Révolution). Mais la manifestation a été loin des grands rassemblements généralement organisés par le pouvoir iranien.
Dans la foule, on pouvait voir de nombreuses femmes en tchador noir portant des posters d’enfants irakiens blessés par les bombes américaines. Mais les manifestants n’oublient pas les «crimes» de Saddam Hussein. «Aujourd'hui encore des soldats atteints par les armes chimiques de Saddam meurent quotidiennement en Iran», affirme un vétéran de la guerre Iran-Irak (1980-88), qui dit avoir passé plus de «60 mois au front» pour combattre les Irakiens. Les pancartes dénoncent aussi «Bush le criminel» et «sa démocratie à coups de missiles», ou représentent des cercueils enveloppés dans la bannière américaine. De nombreux drapeaux américains et britanniques ont également été brûlés par les manifestants.
Puis un groupe de plusieurs de jeunes manifestants s'est dirigé vers l'ambassade de Grande-Bretagne, non loin de là, à défaut de pouvoir marcher sur celle des Etats-Unis. A coups de pierres, ils ont brisé les vitres de la représentation diplomatique. «Bush commet des crimes, Blair trahit», ont scandé les jeunes manifestants.
Frontières fermées
«Notre gouvernement est contre la guerre et exprime le sentiment de la population, nous n'avions donc pas besoin de venir manifester», répond un religieux en turban blanc lorsqu’on lui demande pourquoi l’Iran a tant tardé à manifester contre la guerre. «Nous voulons montrer la solidarité des musulmans face à Bush, Blair, Sharon et le criminel Saddam et dénoncer la guerre du pétrole», ajoute un autre. Se déclarant «neutre» dans le conflit, l’Iran a opté pour un langage de modération. Le gouvernement a réaffirmé mercredi qu'il ne permettrait «jusqu'à la fin de la guerre (...) aucune activité militaire en faveur de l'une des deux parties et (que ses) frontières sont complètement fermées». Ainsi, les combattants de la brigade al-Badr, bras armé de l’Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (Asrii), principal groupe de l’opposition chiite irakienne, n’ont pas été autorisés par l’Iran à franchir la frontière pour aller combattre en Iran.
Autre signe de modération, ces derniers jours, plusieurs responsables iraniens n’ont pas hésité à affirmer qu’ils trouvaient «naturel» que des missiles ou des roquettes américaines tombent en Iran à cause de la proximité des champs de bataille. Téhéran s’est également contenté de protester verbalement contre la violation de son espace aérien par des avions de la coalition qui survolent l’extrême sud ouest de l’Iran pour aller bombarder l’Irak. L’Iran a également annoncé que sa marine avait intercepté mercredi une vedette irakienne bourrée d’explosifs qui circulait sur le fleuve Arvandroud (nom iranien de Chatt al-Arab), non loin du port Oum Qasr, conquis par les Britanniques. Selon les autorités iraniennes, deux autres vedettes ont réussi à prendre la fuite. Ces vedettes avaient sans doute l’intention de mener des opérations suicide contre les forces de la coalition dans le port d’Oum Qasr.
L'Iran, qui a proclamé sa neutralité dans la guerre contre l’Irak, verrait d'un bon oeil la chute de Saddam Hussein, accusé d’avoir déclenché en 1980 la guerre contre l’Iran, qui a duré 8 ans et fait des centaines de milliers de morts côté iranien. Mais dans le même temps, Téhéran craint de ne pas avoir son mot à dire en ce qui concerne le futur régime irakien. En effet, l’opposition chiite irakienne, basée et soutenue en Iran depuis une vingtaine d’année, pourrait être isolée et neutralisée par les Américains, lui préférant une force plus «moderniste» qui ne regarderait pas forcément en direction de Téhéran.
Autre inquiétude, l’Iran, qui a été placée par les Etats-Unis parmi les pays de «l’axe du mal» craint d’être le second sur la liste après l’Irak. En effet, les Etats-Unis, mais aussi des pays européens comme la France estiment que l’Iran voudrait utiliser son programme nucléaire civil et la centrale nucléaire de Bouchehr, actuellement construite dans le sud-ouest par les Russes, pour fabriquer la bombe atomique. «Ce programme posera un jour des problèmes à l’Iran», n’hésite d’ailleurs pas à affirmer un diplomate occidental basé à Téhéran.
En tout cas, en cas de succès (probable) des Américains et d’installation de leurs troupes en Irak, l’Iran sera totalement encerclée par les Etats-Unis qui sont déjà présents dans tous les pays voisins de l’Iran.
Une présence qui inquiète les Iraniens. «Nous sommes déjà en guerre avec les Etats-Unis, même si les Américains n’oseront jamais nous attaquer militairement, nous sommes déjà en guerre avec eux sur le plan politique, économique et surtout culturel», avait déclaré il y a quelques jours le guide suprême iranien l’ayatollah Ali Khameneï.
par Siavosh Ghazi
Article publié le 28/03/2003