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Guerre en Irak

La boîte de Pandore est ouverte

Une série d’entretiens au plus haut niveau turc sont prévus ce mercredi matin à Ankara pour le secrétaire d’Etat américain, Colin Powell, avec au menu non seulement une rencontre avec son homologue, Abdullah Gul, mais aussi avec le chef de l’Etat, Ahmet Necdet Seze, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et peut-être le chef d’état-major, le général Hilmi Ozkok. Officiellement, c’est une visite de courtoisie entre alliés. Officieusement Colin Powel songe sans doute aux bases aériennes turques récemment modernisées par des unités du génie militaire américain. Ankara leur a délivré un permis de séjour de trois mois en février dernier. En obtenant un droit d’usage sur ces bases, Washington pourrait consolider son dispositif militaire contrarié par le refus de la Turquie à autoriser davantage que la circulation aérienne au-dessus de son territoire. Après la Turquie, Colin Powell reprendra son bâton de pèlerin diplomatique pour Bruxelles où il doit rencontrer jeudi des responsables de l’Otan et de l’Union européenne. Avec eux, il compte aborder «les questions relatives au conflit, mais également à l’après conflit», et notamment la possibilité d’associer d’autres pays aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne pour ramener l’ordre en Irak après la guerre.
«L’après-guerre nous tracasse», confie l’ambassadeur turc en France en déplorant l’ouverture de «la boîte de Pandore» d’où pourraient s’échapper de très détestables créatures, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Irak. En la matière, pour Ankara, le cauchemar est kurde, mais pas seulement. A l’instar de nombreux autres Etats de la région, la Turquie ne doute guère de la capacité américaine à pulvériser l’Irak mais elle s’inquiète du temps qui passe et obère la suite des événements. En manquant son objectif de briser les reins du régime Saddam Hussein, très vite et à moindre frais humains et matériels, Washington accroît les embarras diplomatiques. Difficile en effet de se frayer une position entre tant d’incertitudes. D’autant plus que la gestion de l’après-guerre sera sans nul doute «beaucoup plus difficile et plus importante que l’intervention» militaire, estime Ankara qui entend «être associée au processus de décision» sur la future administration de l’Irak. En attendant, la Turquie réitère son refus d’ouvrir le passage sur son territoire aux soldats américains dans cette guerre qui «n’est pas la nôtre, elle a été décidée sans nous, elle se fait sans nous, nous ne sommes pas belligérants». Ce disant, Ankara rappelle en même temps son engagement à ne pas intervenir en Irak, comme promis à Washington. Mais au delà de cet échange de bons procédés, nul doute que la Turquie navigue à vue en fonction de l’évolution de la situation et notamment des mouvements militaires des peshmergas kurdes.

Inquiétante après-guerre

Washington promet de tenir les combattants kurdes à l’écart des grandes villes pétrolières du Nord irakien et préfère insister sur les opérations de «nettoyage» conduites avec les peshmergas. A ce titre, une victoire tombe à pic : la neutralisation du groupe Ansar Al-Islam considéré comme lié au réseau terroriste Al-Qaïda. «Un sacré succès», selon les Forces spéciales américaines qui ont épaulé les peshmergas dans leurs combats pour déloger plusieurs centaines de ces islamistes installés au Kurdistan «autonome»irakien, dans la région d’Halabja, à une dizaine de kilomètres de la frontière iranienne et à quelque 350 kilomètres au nord de Bagdad. «Des objets trouvés sur le site confirment une activité liée aux armes chimiques ou biologiques. La plupart de ces preuves sont actuellement sous des décombres et des investigations sont en cours», affirme un officier américain. Des listes de contacts aux Etats-Unis et en Europe permettraient également d’établir que ce groupuscule du Kurdistan constituait une véritable menace internationale. Une autojustification de plus du bien-fondé d’une intervention américaine en Irak qui ne répond pas au souci principal de la Turquie. Ankara dénonce le regroupement, à sa frontière, de «5000 guérilleros kurdes turcs du Kadek», l’ex Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) interdit. La diplomatie turque évoque même une possible alliance entre ces militants du Kadek et «5 000 chiites iraniens de la brigade Bedir» stationnés à la frontière nord de l’Irak, selon elle. Enfin, Ankara s’intéresse aussi bien évidemment à la place prévue pour les Kurdes dans la future configuration américano-irakienne.

Vendredi, les deux formations kurdes qui contrôlent le nord de l’Irak sont conviées à la quatrième réunion des «Irakiens libres» qui va plancher à Londres sur l’avenir du secteur pétrolier irakien, sous la houlette du département d’Etat américain. Comme les treize autres représentants de l’opposition irakienne de ce «groupe de travail», les Kurdes veulent croire aux assurances américaines sur «l’intégrité, l’indépendance et la liberté de l’Irak». A leurs yeux, une occupation américaine serait en fait un parapluie de choix contre une entrée turque dans la lice irakienne. Pour les Européens en revanche, le meilleur parapluie serait onusien. Mais le Commissaire européen aux relations extérieures, Chris Patten estime qu’il est trop tôt pour espérer engager «des projets très concrets» pour l’après-guerre. Les divergences européennes et les tensions transatlantiques ne sont pas complètement éteintes malgré les efforts du Premier ministre britannique pour trouver un pont consensuel en direction de l’après-guerre. Dans le «camp de la paix», le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin se déclare quand même sur la même ligne que Tony Blair «pour donner le rôle central à l’Onu dans la reconstruction» de l’Irak. Londres et Paris «ont conscience des risques encourus dans la région», dit-il, mettant en garde contre l’exaspération des sensibilités qui ferait courir le risque «d’une période de paix aussi dramatique que la période de guerre». Mais, pour le moment, selon le porte-parole du commissaire européen Chris Patten, «il faut surtout écouter les Américains pour mieux comprendre ce qu’ils ont à l’esprit».

En attendant, Washington assure que ses stocks de bombes de haute précision sont suffisants, malgré l’intensification des raids aériens qui en ont déjà consommées des milliers. La guerre continue, avec son lot quotidien d’horreurs comme au sud de Bagdad dans la ville d’Al-Hillah où, après les bombardements de mardi matin, la Croix-Rouge a vu des dizaines de corps de civils déchiquetés et de très nombreux blessés.



par Monique  Mas

Article publié le 02/04/2003 Dernière mise à jour le 01/04/2003 à 22:00 TU