Guerre en Irak
Bagdad : le dilemme du général Franks
Les forces américaines sont aux portes de la capitale et attendent les renforts qui viennent d’arriver au Koweït. Les Irakiens, de leur côté, font descendre sur Bagdad des unités de la Garde républicaine stationnées dans le nord.
Au quinzième jour de la guerre d’Irak, celle-ci entre dans sa troisième phase. Après des débuts beaucoup plus difficiles qu’anticipés par l’état-major américain, les forces d’invasion ont accompli ces derniers jours une spectaculaire percée au sud de la capitale en faisant sauter les verrous de Kerbala, sur l’Euphrate et de Kout sur le Tigre. Au nord, les forces américaines ont compensé l’impossibilité d’acheminer 62 000 militaires par la frontière turque par le parachutage de nombreux soldats et de membres des forces spéciales, l’appui au sol apporté par les combattants kurdes (peshmergas), et d’intenses bombardements des lignes irakiennes par les B-52.
A présent que Bagdad est à portée de canon des forces anglo-américaines, les stratèges de la coalition sont confrontés à un choix qui n’est pas que tactique : faut-il pousser l’avantage et entrer dans la capitale sans tarder davantage ou doit-on, au contraire, consolider les lignes avant de s’engager dans la bataille de Bagdad, que le régime irakien affirme attendre impatiemment depuis le début des opérations pour y enliser les envahisseurs ?
Afin de résoudre son dilemme, le général Tommy Franks, commandant en chef des forces anglo-américaines, doit prendre en compte les données suivantes :
Pour l’heure, malgré la présence des éléments avancés de la Troisième division d’infanterie américaine et du Premier corps expéditionnaire de Marines, Bagdad est loin d’être encerclée, ce qui explique que les habitants de la capitale continuent de recevoir des approvisionnements en produits frais de province. Le nord et l’est, en particulier, échappent au contrôle des forces américaines. Selon les indications du commandement américain, les Irakiens auraient rapproché de la capitale des éléments des divisions Adnan, Hammourambi et Nida de la Garde républicaine jusqu’alors positionnés au nord et à l’ouest. La crainte des coalisés est que ces forces pénètrent dans Bagdad pour la bataille à venir et leur objectif prioritaire est d’empêcher les unités de la Garde républicaine déployées autour de Bagdad d’y entrer.
Selon le commandement américain, Un millier de chars irakiens (sur 2 500) auraient été détruits au cours des deux premières semaines de combat et deux des trois divisions postées au sud auraient été «dégradées» -euphémisme militaire pour dire que nombre de ses combattants ont été tués ou blessés- au point de ne plus être «efficaces en tant qu’unités militaires». La traduction de ce jargon est que du fait des pertes en hommes et matériel et de la désorganisation du commandement, on ne peut plus parler de divisions de combat. Mais les spécialistes militaires font valoir qu’en présence d’un commandement apte et déterminé, les forces restantes peuvent se réorganiser en brigades et conserver un potentiel offensif que les généraux américains ne peuvent se permettre de négliger. De plus, à l’intérieur de Bagdad, la Garde républicaine spéciale, forte de quelque 30 000 soldats parmi les plus combatifs et entraînés du régime se préparent depuis le début à la guérilla urbaine.
De siège à piège, il n’y a qu’une lettre
Si certains, aux États-Unis, sont tentés de pénétrer dans Bagdad pour cueillir la ville des Abbassides comme un fruit mûr, les coûteuses erreurs de calcul qui ont marqué la première semaine des combats devraient donner des arguments à ceux qui, au sein de l’état-major, font valoir qu’il importe avant tout de renforcer les lignes avancées avec le gros des effectifs de la 101ème aéroportée, toujours retenus dans le sud, et surtout la Quatrième division d’infanterie, celle qui aurait dû entrer par la Turquie et qui vient tout juste d’arriver au Koweït. Elle ne pourra pas être à pied d’œuvre à Bagdad avant une semaine.
Cette semaine devrait être mise à profit pour continuer de «dégrader» les unités de la Garde républicaine, c’est-à-dire les bombarder sans relâche, leur empêcher tout repli sur Bagdad, enserrer dans un étau la capitale et mettre à profit le délai pour y infiltrer des membres des forces spéciales afin de renseigner les forces américaines, d’y trouver des alliés locaux et de préparer des opérations de sabotage. L’inconvénient de cette stratégie est qu’elle s’apparente à un siège, du style de celui que conduisent depuis deux semaines les troupes britanniques autour de Bassorah, dans le sud. Or, les Américains disent ne pas vouloir d’un siège de Bagdad qui risquerait de durer et de prendre en otage la population civile, faisant porter aux yeux du monde la responsabilité de son sort sur les assaillants. De siège à piège, il n’y a qu’une lettre. La perspective de combats de rues, auxquels les soldats américains sont mal préparés, n'a rien de très réjouissant non plus.
En outre, le deux semaines qui viennent de s’écouler on démontré que la sophistication et la puissance de feu dont disposent les armées américaines ne compensent pas leur absence d’expérience et de savoir-faire en matière de maintien de l’ordre et d’occupation, contrairement à l’armée britannique. D’où l’ampleur et la gravité des bavures dont les civils irakiens ont fait les frais. Ce que l’on a vu ces jours-ci à Nassiriya, Najaf et al Hilla ne pourrait que se reproduire à une échelle bien supérieure. Un cauchemar politique pour les Américains.
Autre facteur à prendre en compte : la possibilité qu’acculé, Saddam Hussein fasse usage d’armes chimiques. L’état-major américain affirme que le président irakien aurait tracé une «ligne rouge», frontière immatérielle de défense de son régime au-delà de laquelle, n’ayant plus rien à perdre, il jouerait son va-tout en recourant à ces armes. Menace réelle ou fantasme ? Personne ne peut le dire. C’est ainsi que le risque de minage des puits de pétrole irakien a été surestimé par la coalition. Il n’en était pas moins réel. Du coup, les soldats sont invités à ne prendre aucun risque inutile et s’encombreront désormais de leurs combinaisons NBC (nucléaire-bactériologique-chimique) qui diminuent sensiblement la liberté de mouvement de ceux qui les revêtent.
Même affaiblies, les forces irakiennes n’ont pour l’heure rien perdu de leur combativité, ainsi que l’a montré, dans la nuit de mercredi à jeudi, la double contre-offensive (repoussée) pour reprendre le contrôle d’un pont sur l’Euphrate à une trentaine de kilomètres au sud de Bagdad.
A présent que Bagdad est à portée de canon des forces anglo-américaines, les stratèges de la coalition sont confrontés à un choix qui n’est pas que tactique : faut-il pousser l’avantage et entrer dans la capitale sans tarder davantage ou doit-on, au contraire, consolider les lignes avant de s’engager dans la bataille de Bagdad, que le régime irakien affirme attendre impatiemment depuis le début des opérations pour y enliser les envahisseurs ?
Afin de résoudre son dilemme, le général Tommy Franks, commandant en chef des forces anglo-américaines, doit prendre en compte les données suivantes :
Pour l’heure, malgré la présence des éléments avancés de la Troisième division d’infanterie américaine et du Premier corps expéditionnaire de Marines, Bagdad est loin d’être encerclée, ce qui explique que les habitants de la capitale continuent de recevoir des approvisionnements en produits frais de province. Le nord et l’est, en particulier, échappent au contrôle des forces américaines. Selon les indications du commandement américain, les Irakiens auraient rapproché de la capitale des éléments des divisions Adnan, Hammourambi et Nida de la Garde républicaine jusqu’alors positionnés au nord et à l’ouest. La crainte des coalisés est que ces forces pénètrent dans Bagdad pour la bataille à venir et leur objectif prioritaire est d’empêcher les unités de la Garde républicaine déployées autour de Bagdad d’y entrer.
Selon le commandement américain, Un millier de chars irakiens (sur 2 500) auraient été détruits au cours des deux premières semaines de combat et deux des trois divisions postées au sud auraient été «dégradées» -euphémisme militaire pour dire que nombre de ses combattants ont été tués ou blessés- au point de ne plus être «efficaces en tant qu’unités militaires». La traduction de ce jargon est que du fait des pertes en hommes et matériel et de la désorganisation du commandement, on ne peut plus parler de divisions de combat. Mais les spécialistes militaires font valoir qu’en présence d’un commandement apte et déterminé, les forces restantes peuvent se réorganiser en brigades et conserver un potentiel offensif que les généraux américains ne peuvent se permettre de négliger. De plus, à l’intérieur de Bagdad, la Garde républicaine spéciale, forte de quelque 30 000 soldats parmi les plus combatifs et entraînés du régime se préparent depuis le début à la guérilla urbaine.
De siège à piège, il n’y a qu’une lettre
Si certains, aux États-Unis, sont tentés de pénétrer dans Bagdad pour cueillir la ville des Abbassides comme un fruit mûr, les coûteuses erreurs de calcul qui ont marqué la première semaine des combats devraient donner des arguments à ceux qui, au sein de l’état-major, font valoir qu’il importe avant tout de renforcer les lignes avancées avec le gros des effectifs de la 101ème aéroportée, toujours retenus dans le sud, et surtout la Quatrième division d’infanterie, celle qui aurait dû entrer par la Turquie et qui vient tout juste d’arriver au Koweït. Elle ne pourra pas être à pied d’œuvre à Bagdad avant une semaine.
Cette semaine devrait être mise à profit pour continuer de «dégrader» les unités de la Garde républicaine, c’est-à-dire les bombarder sans relâche, leur empêcher tout repli sur Bagdad, enserrer dans un étau la capitale et mettre à profit le délai pour y infiltrer des membres des forces spéciales afin de renseigner les forces américaines, d’y trouver des alliés locaux et de préparer des opérations de sabotage. L’inconvénient de cette stratégie est qu’elle s’apparente à un siège, du style de celui que conduisent depuis deux semaines les troupes britanniques autour de Bassorah, dans le sud. Or, les Américains disent ne pas vouloir d’un siège de Bagdad qui risquerait de durer et de prendre en otage la population civile, faisant porter aux yeux du monde la responsabilité de son sort sur les assaillants. De siège à piège, il n’y a qu’une lettre. La perspective de combats de rues, auxquels les soldats américains sont mal préparés, n'a rien de très réjouissant non plus.
En outre, le deux semaines qui viennent de s’écouler on démontré que la sophistication et la puissance de feu dont disposent les armées américaines ne compensent pas leur absence d’expérience et de savoir-faire en matière de maintien de l’ordre et d’occupation, contrairement à l’armée britannique. D’où l’ampleur et la gravité des bavures dont les civils irakiens ont fait les frais. Ce que l’on a vu ces jours-ci à Nassiriya, Najaf et al Hilla ne pourrait que se reproduire à une échelle bien supérieure. Un cauchemar politique pour les Américains.
Autre facteur à prendre en compte : la possibilité qu’acculé, Saddam Hussein fasse usage d’armes chimiques. L’état-major américain affirme que le président irakien aurait tracé une «ligne rouge», frontière immatérielle de défense de son régime au-delà de laquelle, n’ayant plus rien à perdre, il jouerait son va-tout en recourant à ces armes. Menace réelle ou fantasme ? Personne ne peut le dire. C’est ainsi que le risque de minage des puits de pétrole irakien a été surestimé par la coalition. Il n’en était pas moins réel. Du coup, les soldats sont invités à ne prendre aucun risque inutile et s’encombreront désormais de leurs combinaisons NBC (nucléaire-bactériologique-chimique) qui diminuent sensiblement la liberté de mouvement de ceux qui les revêtent.
Même affaiblies, les forces irakiennes n’ont pour l’heure rien perdu de leur combativité, ainsi que l’a montré, dans la nuit de mercredi à jeudi, la double contre-offensive (repoussée) pour reprendre le contrôle d’un pont sur l’Euphrate à une trentaine de kilomètres au sud de Bagdad.
par Olivier Da Lage
Article publié le 03/04/2003