Côte d''Ivoire
Le «pari fou» de Gbagbo
Le gouvernement de réconciliation nationale s’est finalement réunit jeudi à Yamoussoukro, la capitale officielle du pays, en présence des rebelles. Maintenant, il s’agit de réussir le «retour à Abidjan».
«Pour ceux qui n’étaient pas ministres, je vous souhaite la bienvenue dans cet enfer. Bienvenus dans ce monde impitoyable !». Laurent Gbagbo a salué à sa manière, jeudi 3 avril, la première participation des anciens rebelles - rebaptisés entre temps «Forces nouvelles» - au gouvernement de consensus issu des accords de Marcoussis. Le tout sous le regard inattendu de trois parrains régionaux de poids : les présidents Obasanjo (Nigéria), Eyadéma (Togo) et Kufuor (Ghana), qui ont assisté à ce Conseil des ministres, tenu à Yamoussoukro. Pas à Abidjan, la «vraie» capitale.
Les plus crispés étaient visiblement les ministres issus des rangs des trois mouvements rebelles : MPCI (nord), MPIGO et MJP (Ouest), presque tous en costume-cravate. L’un d’eux - l’adjudant Messamba Koné du MPCI, qui contrôle Korhogo - n’a pas oublié de bien serrer dans la main gauche un long fétiche recouvert de cuir. D’autres - comme le leader du MPIGO Roger Banchi - ont raté le début de la réunion historique, provoquant des commentaires peu amènes. En face, certains ministres loyalistes ont visiblement du mal à donner du «Monsieur le ministre» aux anciens rebelles. Mais cela viendra.
Laurent Gbagbo a quant à lui le sourire aux lèvres lorsqu’il il faut serrer la main de chaque membre du gouvernement, à commencer par le ministre d’Etat Guillaume Soro, également secrétaire général du MPCI et autrefois leader étudiant plutôt proche du FPI, le parti de Gbagbo. «Je suis heureux que cette réunion ait lieu pour qu’enfin nous puissions reprendre le travail là où nous l’avons laissé», dit-il d’emblée.
Maintenant, il s’agit de réussir le «retour à Abidjan»
Le premier ministre Seydou Diarra a pour sa part tenté de rétablir quelque peu son autorité : «Je n’accepterait aucune insubordination, il faut que l‘autorité de l’Etat soit respectée». Il a ensuite rappelé à tout le monde qu’il faut être «bien enregistré» avant le prochain conseil de gouvernement, prévu pour mardi prochain. Visiblement, d’aucuns l’avaient oublié, sans doute par manque d’expérience. Finalement, ce n’est que lors de la photo de famille que l’atmosphère s’est quelque peu décrispée, et les langues se sont déliées, pour souhaiter que «les divergences soient dépassées», «la page tournée», «les rancœurs déposées».
Mais le «travail» qui reste à accomplir n’est vraiment pas mince. A commencer par la nomination de deux véritables ministres de la Défense et de l’Intérieur - les actuels n’étant que des intérimaires - ce qui risque de provoquer autant de polémiques que dans les semaines qui ont suivi les fameux accords de Marcoussis.
Plus important encore, la sécurité des ministres eux mêmes : ceux issus du RDR d’Alassane Ouattara (soupçonné d’avoir trempé dans le complot du 19 septembre dernier) travaillent actuellement… à l’hôtel. Ceux issus de la rébellion accepteront-ils finalement de revenir à Abidjan, la grande métropole qu’ils ont en vain tenté de prendre par les armes il y a un peu plus de six mois ? Vont-ils accepter de circuler et vivre dans une ville où pourraient toujours se cacher certains de leurs partisans ? Ces questions relèvent surtout du contingent français et le général français Bruno Dary a tenu a déclarer vendredi que «les premiers pas en terme de sécurité seront importants parce qu’ils feront renaître la confiance».
Le premier ministre Diarra veut quant à lui «profiter du momentum» propice pour pousser les ministres à s’installer vraiment à Abidjan, et à effectuer les passations de pouvoir avant lundi, afin de pouvoir «relancer la machine administrative» : une machine bien grippée depuis septembre dernier, surtout dans le Nord et le Grand Ouest. Pour cela, il faudra d’abord convaincre les préfets à reprendre leurs activités, y compris dans les zones sous contrôle des rebelles.
Quant à ces derniers, c’est à l’armée française de démarrer le programme - délicat - de «regroupement des mutins» et de «retour des forces loyalistes dans leurs casernes». Deux opérations qui n’ont pas été possibles jusque là, mais que le chef d’état-major Henri Bentégeat semble décidé à mettre en œuvre, en collaboration avec la force d’interposition de la CEDEAO, pour l’instant composée de 1 100 hommes. Comment au juste ?
Vendredi matin les chefs d’état-major africains de la CEDEAO réunis à Dakar ont fait savoir qu’ils ont besoin, en réalité, de «3 205 hommes» - soit trois fois plus -, pour «bien remplir son nouveau mandat, conformément à l’accord de Linas-Marcoussis et à la résolution 1464 des Nations unies». Est-ce à dire qu’il faudra attendre l’arrivée d’autres «casques blancs» avant le vrai démarrage de «la première phase de la sortie de crise», à savoir le désarment des rebelles et le cantonnement des loyalistes ?
Mais c’est sans doute sur le plan social et économique que le gouvernement de Seydou Diarra aura du mal à convaincre. Dans ce pays divisé en deux - sinon trois - zones depus le 19 septembre, les déplacés à l’intérieur du pays sont environ un million, pour la plupart repliés vers le centre-sud, c’est à dire la région abidjanaise. 300 000 autres Ivoiriens, pour la plupart originaires eux aussi du Nord, se sont réfugiés à l’étranger. Ce que la Côte d’Ivoire n’avait jamais connu. Des crises alimentaires graves sont déjà présentes dans certaines régions reculées, comme autour de Bondoukou, dans le Nord-est.
Conscient de gravité de la situation, Laurent Gbagbo, a déclaré jeudi: «si le gouvernement a trois mois de fonctionnement normal, le traumatisme sera résorbé. C’est le pari fou que je fais». Le président ivoirien n’est plus seul aux commandes. Autour de lui, les ministres semblent se regarder en chiens de faïence. Le «retour à Abidjan» ne fait que commencer.
Les plus crispés étaient visiblement les ministres issus des rangs des trois mouvements rebelles : MPCI (nord), MPIGO et MJP (Ouest), presque tous en costume-cravate. L’un d’eux - l’adjudant Messamba Koné du MPCI, qui contrôle Korhogo - n’a pas oublié de bien serrer dans la main gauche un long fétiche recouvert de cuir. D’autres - comme le leader du MPIGO Roger Banchi - ont raté le début de la réunion historique, provoquant des commentaires peu amènes. En face, certains ministres loyalistes ont visiblement du mal à donner du «Monsieur le ministre» aux anciens rebelles. Mais cela viendra.
Laurent Gbagbo a quant à lui le sourire aux lèvres lorsqu’il il faut serrer la main de chaque membre du gouvernement, à commencer par le ministre d’Etat Guillaume Soro, également secrétaire général du MPCI et autrefois leader étudiant plutôt proche du FPI, le parti de Gbagbo. «Je suis heureux que cette réunion ait lieu pour qu’enfin nous puissions reprendre le travail là où nous l’avons laissé», dit-il d’emblée.
Maintenant, il s’agit de réussir le «retour à Abidjan»
Le premier ministre Seydou Diarra a pour sa part tenté de rétablir quelque peu son autorité : «Je n’accepterait aucune insubordination, il faut que l‘autorité de l’Etat soit respectée». Il a ensuite rappelé à tout le monde qu’il faut être «bien enregistré» avant le prochain conseil de gouvernement, prévu pour mardi prochain. Visiblement, d’aucuns l’avaient oublié, sans doute par manque d’expérience. Finalement, ce n’est que lors de la photo de famille que l’atmosphère s’est quelque peu décrispée, et les langues se sont déliées, pour souhaiter que «les divergences soient dépassées», «la page tournée», «les rancœurs déposées».
Mais le «travail» qui reste à accomplir n’est vraiment pas mince. A commencer par la nomination de deux véritables ministres de la Défense et de l’Intérieur - les actuels n’étant que des intérimaires - ce qui risque de provoquer autant de polémiques que dans les semaines qui ont suivi les fameux accords de Marcoussis.
Plus important encore, la sécurité des ministres eux mêmes : ceux issus du RDR d’Alassane Ouattara (soupçonné d’avoir trempé dans le complot du 19 septembre dernier) travaillent actuellement… à l’hôtel. Ceux issus de la rébellion accepteront-ils finalement de revenir à Abidjan, la grande métropole qu’ils ont en vain tenté de prendre par les armes il y a un peu plus de six mois ? Vont-ils accepter de circuler et vivre dans une ville où pourraient toujours se cacher certains de leurs partisans ? Ces questions relèvent surtout du contingent français et le général français Bruno Dary a tenu a déclarer vendredi que «les premiers pas en terme de sécurité seront importants parce qu’ils feront renaître la confiance».
Le premier ministre Diarra veut quant à lui «profiter du momentum» propice pour pousser les ministres à s’installer vraiment à Abidjan, et à effectuer les passations de pouvoir avant lundi, afin de pouvoir «relancer la machine administrative» : une machine bien grippée depuis septembre dernier, surtout dans le Nord et le Grand Ouest. Pour cela, il faudra d’abord convaincre les préfets à reprendre leurs activités, y compris dans les zones sous contrôle des rebelles.
Quant à ces derniers, c’est à l’armée française de démarrer le programme - délicat - de «regroupement des mutins» et de «retour des forces loyalistes dans leurs casernes». Deux opérations qui n’ont pas été possibles jusque là, mais que le chef d’état-major Henri Bentégeat semble décidé à mettre en œuvre, en collaboration avec la force d’interposition de la CEDEAO, pour l’instant composée de 1 100 hommes. Comment au juste ?
Vendredi matin les chefs d’état-major africains de la CEDEAO réunis à Dakar ont fait savoir qu’ils ont besoin, en réalité, de «3 205 hommes» - soit trois fois plus -, pour «bien remplir son nouveau mandat, conformément à l’accord de Linas-Marcoussis et à la résolution 1464 des Nations unies». Est-ce à dire qu’il faudra attendre l’arrivée d’autres «casques blancs» avant le vrai démarrage de «la première phase de la sortie de crise», à savoir le désarment des rebelles et le cantonnement des loyalistes ?
Mais c’est sans doute sur le plan social et économique que le gouvernement de Seydou Diarra aura du mal à convaincre. Dans ce pays divisé en deux - sinon trois - zones depus le 19 septembre, les déplacés à l’intérieur du pays sont environ un million, pour la plupart repliés vers le centre-sud, c’est à dire la région abidjanaise. 300 000 autres Ivoiriens, pour la plupart originaires eux aussi du Nord, se sont réfugiés à l’étranger. Ce que la Côte d’Ivoire n’avait jamais connu. Des crises alimentaires graves sont déjà présentes dans certaines régions reculées, comme autour de Bondoukou, dans le Nord-est.
Conscient de gravité de la situation, Laurent Gbagbo, a déclaré jeudi: «si le gouvernement a trois mois de fonctionnement normal, le traumatisme sera résorbé. C’est le pari fou que je fais». Le président ivoirien n’est plus seul aux commandes. Autour de lui, les ministres semblent se regarder en chiens de faïence. Le «retour à Abidjan» ne fait que commencer.
par Elio Comarin
Article publié le 04/04/2003