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Guerre en Irak

Prudence américaine après la chute de Bagdad

La capitale irakienne s’est réveillée dans le calme ce jeudi après avoir vécu une journée historique au cours de laquelle les Américains ont pris le contrôle d’une grande partie de Bagdad. Ils se gardent de tout triomphalisme et s’attendent à devoir livrer de nouveaux combats dans cette ville et dans le reste du pays, notamment à Tikrit, le fief de Saddam Hussein.
«La partie est terminée». Cette phrase avait été prononcée au début du mois de février par George Bush, au moment où le président américain déclarait publiquement que le travail des inspecteurs de l’ONU ne rimait plus à rien. La formule a été reprise mercredi à New York par l’ambassadeur irakien aux Nations unies, Mohamed al Douri. Interviewé devant la porte de la résidence diplomatique irakienne, l’homme qui a vainement tenté pendant des semaines d’empêcher l’intervention militaire en Irak a estimé que la guerre était bien terminée. «J’espère que la paix prévaudra et qu’à la fin le peuple irakien aura une vie paisible», a ajouté Mohamed al Douri, qui a également affirmé n’avoir aucun contact avec l’Irak et ne posséder aucune information sur le sort de Saddam Hussein. Quelques heures après avoir livré ces brefs commentaires, Mohamed al Douri aurait, selon la chaîne de télévision américaine Fox News, quitté l’Irak pour rejoindre la France.

Les autorités américaines se sont, elles, bien gardées jusqu’à présent de tout triomphalisme. Le ton du secrétaire d’Etat à la Défense, Donald Rumsfeld, était à la retenue après la journée de mercredi qui a vu l’armée américaine prendre le contrôle de la plus grande partie de Bagdad et participer à la destruction de l’un des symboles du régime de Saddam Hussein, une immense statue à son effigie qui trônait sur la «place du paradis» dans le centre de Bagdad. «Nous avons eu un bon jour aujourd'hui (avec la libération de Bagdad) mais beaucoup de travail difficile et dangereux reste à faire», a déclaré Donald Rumsfeld. Et bien que le sort de Saddam Hussein reste encore incertain, il a estimé qu’un «tournant» avait été passé et que le régime avait été «renversé».

Parmi les objectifs des forces américaines se trouve la capture de Saddam Hussein et des hauts dignitaires de son régime. Elles veulent ainsi prendre le contrôle de la ville de Tikrit située au nord de Bagdad qui est le fief de la famille de Saddam Hussein. Le Pentagone sait cependant que certains dirigeants du régime ne se trouvent déjà plus dans le pays. «De hauts responsables du régime quittent l'Irak vers la Syrie», a déclaré M. Rumsfeld mercredi, ajoutant que Damas continuait à aider militairement l'Irak.

Pour Donald Rumsfeld, les scènes de liesse vues dans les rues de Bagdad sont «à couper le souffle». Elles lui ont rappelé celles déjà vécues en direct à la télévision dans d’autres pays au cours des vingt dernières années. «A les regarder, on ne peut s'empêcher de penser à la chute du mur de Berlin et l'écroulement du rideau de fer. Nous voyons l'histoire en train de s'écrire, des événements qui détermineront l'avenir d'un pays, le sort d'un peuple et potentiellement d'une région». Il a le sentiment qu’une nouvelle page de l’Histoire été écrite et que le nom de Saddam Hussein a rejoint ceux «d'autres brutaux dictateurs déchus», comme Hitler, Staline et Ceaucescu. Le président américain George Bush semble lui préférer attendre un peu avant de commenter ces événements. Son entourage s’est contenté de rapporter qu’il s’était montré très heureux en regardant la chute de la statue de Saddam Hussein à la télévision et qu’ils avaient alors lâché un énigmatique «ils l’ont fait tomber».

Ahmed Chalabi s’impatiente

Le Pentagone, comme la Maison Blanche, ont choisi de rester prudents car ils savent que de nombreux combats risquent encore se produire dans les jours à venir. «Nous n'arrêterons pas tant que le régime de Saddam Hussein n'aura pas été éliminé de tous les coins du pays», a expliqué Donald Rumsfeld. Les soldats américains entrés dans Bagdad restent sur le qui-vive car la ville est loin d’être sécurisée. Bagdad s’est certes réveillée dans le calme ce jeudi mais les journalistes présents sur place font état de nombreux hommes en armes postés dans différents points de la capitale irakienne. Les forces américaines redoutent une guérilla urbaine à laquelle pourraient se livrer certains fedayins restés fidèles à Saddam Hussein. Un marine américain a ainsi été tué ce jeudi, et 13 autres blessés, par des combattants loyalistes au président irakien Saddam Hussein dans le nord-ouest de Bagdad. Selon un bilan provisoire donné par le Pentagone, 101 soldats américains ont été tués au cours des 21 premiers jours de l’offensive militaire en Irak. Sur ce total, 86 ont été tués au combat ou par des «tirs amis» et 15 autres militaires sont morts lors d’accidents.

Parallèlement aux opérations militaires, les autorités américaines s’emploient à gérer l’après Saddam-Hussein. Le vice-président américain Dick Cheney a rappelé mercredi que les Nations unies n'étaient «pas équipées» pour jouer un «rôle central» dans la reconstruction de l'Irak, confirmant ainsi les propos de George Bush selon lesquels elles devaient se contenter «d'aider les gens à vivre librement et d'apporter de la nourriture et des médicaments». Le problème de l’acheminement de l’aide humanitaire a d’ailleurs été une nouvelle fois été abordé au lendemain de l’entrée massive des militaires américains dans Bagdad. Les premiers avions américains chargés de nourriture se seraient posées sur l’un des aéroports de la capitale irakienne mais la distribution de cette aide dépend de la sécurisation progressive de la ville.

Quant à l’avenir politique de l’Irak, il va lui dépendre des intenses discussions engagées par les Américains avec de nombreux dissidents irakiens. La Maison Blanche a annoncé qu’une réunion des Irakiens libres devrait se produire très prochainement, sans confirmer pour autant la date du 12 avril lancée auparavant par le vice-président Dick Cheney. Selon lui, elle pourrait se tenir près de Nassiriyah, dans le sud de l'Irak, où s’est installé ce week-end Ahmed Chalabi, le dirigeant du principal mouvement d’opposition irakien. Cet ancien banquier âgé de 57 ans a estimé mercredi que les Américains devaient stabiliser au plus vite la situation en Irak et subvenir aux besoins des populations déjà libérées du joug de Saddam Hussein. «Mais où est le général Garner en ce moment?», s'est emporté le président du Conseil national irakien (CNI), en évoquant le nom du responsable américain, Jay Garner, qui sera chargé de superviser depuis Bagdad la reconstruction de l'Irak. Le Pentagone lui a rapidement répondu en rappelant que Garner et son équipe se trouvaient au Koweït depuis déjà plusieurs semaines et qu’il se rendrait à Bagdad dès que l’aéroport serait sécurisé.



par Olivier  Bras

Article publié le 10/04/2003