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Guerre en Irak

Un pays en situation d’urgence humanitaire

Après la prise de Bagdad et la chute du régime de Saddam Hussein, les pillages et les saccages se multiplient dans les villes irakiennes. A Bassorah, à Bagdad, la sécurité n’est plus assurée et l’intervention des ONG pour acheminer l’aide humanitaire est paralysée par l’anarchie ambiante alors que les populations sont de plus en plus démunies. La progression militaire de la coalition se poursuit, notamment au nord où les Kurdes et les soldats américains sont entrés à Mossoul vendredi. Mais la vacance du pouvoir politique et l’absence de toute autorité locale pèsent lourdement sur la gestion de la situation sur le terrain.
Bagdad est devenue en l’espace de deux jours une véritable zone de non-droit où les pillards agissent en toute impunité. Au-delà de la mise à sac des principaux ministères et autres lieux du pouvoir de Saddam Hussein comme la banque centrale ou les villas des pontes du régime, accompagné du vol systématique de tout ce qui s’y trouvait (de la photocopieuse au pot de fleur), on est rapidement passé à des actions beaucoup plus violentes qui ont même pris pour cible les hôpitaux de Bagdad. Des bandes se sont attaquées à plusieurs d’entre eux, mais aussi à des dispensaires du Croissant Rouge, et ont systématiquement emporté tout le matériel médical, les lits et même les matelas, laissant les malades présents dans le plus grand dénuement et les médecins dans l’incapacité totale de leur porter secours.

L’Organisation mondiale de la Santé qui avait acheminé un camion contenant 13 tonnes de produits médicaux d’urgence jusqu’à Bagdad n’a pas pu assurer la distribution de cette aide à cause des combats et des pillages qui ont encore lieu dans la ville. Le personnel médical de certains hôpitaux a dû lui-même monter la garde pour essayer d’empêcher les pillards de s’y introduire et de les dépouiller. Le Comité international de la Croix Rouge (CICR), qui a été obligé d'interrompre ses visites aux hôpitaux après la mort de l’un de ses délégués, a pu se rendre vendredi matin à l’hôpital Al-Kindi. Ses représentants y ont décrit une situation «chaotique et catastrophique». Tous les patients ont dû quitter l’établissement et les médecins sont partis. Actuellement, l’hôpital est gardé, selon l’AFP, par des «volontaires» arrivés de la ville de Najaf sous la conduite du cheikh Abbas Al-Zubaidi.

L’urgence humanitaire devient donc de plus en plus grande en Irak et surtout à Bagdad où sont concentrés 5 millions d’habitants. Les conséquences de l’anarchie et l’insécurité s’ajoutent à celles des coupures d’électricité et d’eau dont souffrent aussi les établissements de santé de la capitale depuis plusieurs jours. Les personnes blessées lors des bombardements ou des combats ne peuvent plus être soignées, les chirurgiens ne peuvent plus opérer, les malades chroniques sont abandonnés à eux-mêmes. Alors que la situation sanitaire de la ville se dégrade d’heure en heure, le système de santé est réduit à néant.

«Les forces occupantes doivent assurer le bien-être de la population»

Dans ce contexte, le CICR a tiré la sonnette d’alarme et a rappelé que la puissance occupante est tenue par les conventions de Genève d’assurer le bien-être et la sécurité des populations du pays occupé, réclamant ainsi l’intervention des militaires américains pour assurer des conditions de travail raisonnables aux organisations humanitaires qui tentent d’agir dans la capitale. Il est vrai que pour le moment, les forces de la coalition qui ont pris possession de Bagdad n'essaient absolument pas de contrôler les actes de vandalisme ou de pillage. Et seul un hôpital a bénéficié d’une protection, le Saddam Center for Plastic Surgery.

Face à ces déferlements incontrôlés de bandes de pillards, les habitants de Bagdad se sont d’abord terrés dans leurs appartements. Mais certains d’entre eux qui ont résisté aux malfrats ont été blessés par balles. Et vendredi, des commerçants ont eux-mêmes tiré sur des voleurs qui tentaient de s’en prendre à leurs échoppes. La population semble donc désormais décidée à se défendre elle-même, avec tous les risques de dérapages que cela comporte.

Dans le sud du pays, à Bassorah, la situation est identique. Les troupes britanniques n’interviennent pas pour faire régner l’ordre et l’anarchie se développe en l’absence d’une autorité locale pour assurer la sécurité de la population qui vit dans des conditions sanitaires déplorables depuis des jours. Pour le commandement central, la mission des militaires de la coalition n’est pas, pour le moment, d’assurer le maintien de l’ordre mais de prendre le contrôle de positions stratégiques dans le pays.

La progression militaire des soldats américains et britanniques est d’ailleurs de plus en plus rapide. Le général Victor Renuart a ainsi estimé qu’ils «couvrent désormais 50 à 60 % du territoire irakien». Après Bagdad, ils se dirigent vers la ville natale de Saddam Hussein, Tikrit, où pourrait avoir lieu l’une des dernières offensives terrestres de cette guerre.

La situation à Kirkouk (C. Monnet, 2'46)
Au Nord, les forces irakiennes semblent avoir cédé presque totalement. Après Kirkouk, jeudi, les peshmergas kurdes et les soldats américains qui les accompagnent sont entrés vendredi dans la deuxième grande ville pétrolière du nord de l’Irak, Mossoul. Ils ne se sont visiblement pas heurtés à une forte résistance. Le commandement central américain a confirmé vendredi après-midi que les deux villes étaient «tombées» et que «les forces spéciales américaines» y étaient entrées. Un cessez-le-feu formel a même été conclu avec le 5ème corps de l’armée irakienne qui défendait la ville et devrait donc abandonner ses positions.

L’entrée des forces kurdes et américaines dans Kirkouk et Mossoul n’a pas été du goût de la Turquie qui a tout de suite réagi en menaçant d’intervenir militairement si les Kurdes en prenaient directement le contrôle et en envoyant sur le terrain une quinzaine d’observateurs militaires. Ankara semble avoir obtenu des garanties américaines à ce niveau puisqu’un commandant de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), le général «Mam» Rostam, a confirmé vendredi matin que ses soldats avaient reçu l’ordre de quitter Kirkouk pour laisser la place aux militaires américains de la 173ème brigade aéroportée rapidement dépêchés sur place par Washington. Abdullah Gul, le ministre turc des Affaires étrangères, a d’ailleurs lui-même annoncé un peu plus tard que le retrait des forces kurdes de Kirkouk était engagé et que celui de Mossoul devait avoir lieu «le plus rapidement possible».



par Valérie  Gas

Article publié le 11/04/2003