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Congo démocratique

Des ethnies manipulées par l’armée d’occupation

La Mission des Nations unies au Congo (MONUC) estime que les massacres de Drodro dans l’est du pays ont fait entre 150 et 350 morts alors que les premières estimations évoquaient 1000 tués. Notre envoyé spécial s’est rendu sur place.
De notre envoyé spécial à Drodro

Des drapeaux blancs flottent encore sur Drodro. Cette paroisse de quelques milliers d’âmes est située au sommet d’une colline verdoyante non loin du lac Albert dans le nord-est de la République démocratique du Congo. Tous les habitants ou presque y sont Hémas-Gerere, y compris l’abbé Jean Gaston. Ce dernier explique que ces drapeaux ont été dressés début avril dans l’attente de l’arrivée de deux bataillons de l’armée ougandaise qui occupe cette région depuis 1998. Avec Blukwa, plus au sud, Drodro constituaient l’ultime bastion des milices Hémas-Gerere de Thomas Lubanga armées par le Rwanda et pourchassées depuis le début du mois de mars par l’armée ougandaise.

Cependant, jeudi matin, à l’aube, ce n’est pas l’armée ougandaise qui est entrée à Drodro mais des groupes de miliciens en uniformes et en armes ainsi que des groupes de civils constitués d’hommes, de femmes et d’enfants armés de machettes. Aux premiers coups de feu, la plupart des habitants de Drodro sont allés se cacher dans les replis de terrain des collines verdoyantes et fleuries. Ceux qui n’ont pas réussi à se cacher ont été massacrés sans merci. Les assaillants qui selon l’abbé Jean Gaston sont arrivés à Drodro de toutes les directions vers 6 heures du matin le jeudi 3 avril sont soudainement repartis trois heures plus tard, au son du sifflet, laissant derrière eux des terres jonchées de cadavres.

Les auteurs des massacres portaient des uniformes

En désignant les fosses communes recouvertes de pétales de fleurs jetés par les proches de victimes, l’abbé Jean Gaston affirme qu’il y aurait près d’un millier de morts. Un chiffre exagéré aux yeux de l’armée ougandaise, soucieuse de minimiser la portée de ce massacre et qui parle d’environ 300 victimes. Les enquêteurs des Nations unies qui ont passé 5 heures sur les lieux le samedi 6 avril, estiment pour leur part qu’il y aurait eu de 150 et 350 morts. Mais une équipe d’experts des Nations unies doit retourner sur les lieux pour notamment ouvrir les fosses et déterminer avec précision le nombre des victimes et les circonstances de ce nouveau massacre.

Pour l’instant, il est difficile de se faire une idée claire de ce qui s’est passé. Sur leur lit de souffrance, les blessés, pour la plupart des femmes et des enfants amputés à coups de machettes, soulignent tous la présence au sein de leurs agresseurs d’hommes en uniforme. «Certains étaient du groupe du chef Kahwa», précise un infirmier ainsi qu’un homme dont le bras gauche n’est plus qu’un moignon sanguinolent.

Cette accusation, peut-être portée à tord, met en relief cependant le conflit qui oppose désormais les Hémas dit «du Sud», ceux qui habitent au sud de Bunia et parlent le Kihéma des Hémas-Gerere ou «Hémas du Nord», qui vivent au nord de Bunia et parlent le Kilendu, la langue des Lendus.

L’année dernière, les Hémas du Nord et les Hémas du Sud, collaboraient au sein de l’Union des patriotes Congolais (UPC) pour diriger la province de l’Ituri avec le soutien de l’armée ougandaise. Mais à la suite de l’annonce par l’Ouganda du retrait de ses troupes, en septembre de l’année dernière, l’UPC s’est rapproché de Kigali. Son chef, Thomas Lubanga, un Héma du Nord a ainsi signé le 6 janvier dernier un accord de coopération militaire et économique avec le RCD-Goma, le mouvement armé par le Rwanda en République démocratique du Congo.

L’Ouganda, dont les relations avec le Rwanda se sont considérablement dégradées depuis le début le début de la guerre au Congo, a alors tenté d’affaiblir l’UPC en exploitant la traditionnelle fracture entre les Hémas du Nord et les Hémas du Sud, représentés au sein de l’UPC par le chef Kahwa.

En février dernier, à Kampala, ce chef traditionnel Héma qui est à la tête de puissantes milices, a ainsi annoncé la création d’une plate forme politique, le Front pour l’Intégration et la Paix en Ituri (Fipi), constitué de trois mouvements militaro-politiques, l’un représentant les Hémas du Sud (le Parti pour l’Unité et la Sauvegarde de l’Intégrité du Congo - Pusic), présidé par le chef Kahwa; le second représentant les Lendus du Nord de Bunia (le Front des Nationalistes et Intégrationistes–FNI), dirigé par Njabu, un Lendu et un troisième celui des Forces Populaires pour la Démocratie au Congo (FPDC) dirigé par Thomas Unen-Chan, un notable Alur, une influente ethnie de cette région. Tous trois se proposaient ensemble de «désarmer l’UPC».

Finalement, les milices de l’UPC ont été chassées de Bunia en mars par l’armée ougandaise qui a considérablement renforcé depuis sa présence militaire dans l’Ituri. Elles se sont d’abord repliés, à Bule, au nord de Bunia, dans le fief ethnique de Thomas Lubanga puis à Blukwa, une autre localité Héma-Gerere au sud de Drodro, vers le lac Albert. C’est donc vers cette localité que les deux bataillons de l’armée ougandaise se dirigeaient quand le terrible massacre du jeudi 3 avril a eu lieu.

Il est en effet intervenu à une période décisive en République Démocratique du Congo. La veille, en effet, les principales parties en conflits étaient parvenues à un accord en Afrique du Sud pour mettre fin à sept ans de guerre. Le lendemain, la nouvelle constitution du pays était adoptée par le président Kabila, ouvrant la voie à un gouvernement de transition et à d’éventuelle élections dans deux ans et demi tandis qu’à Bunia s’ouvraient les travaux de la Commission de pacification de l’Ituri. Cette commission, chapeautée par la MONUC, doit parvenir à établir les bases pour un départ ordonné des troupes ougandaises avant le 24 avril et la réunification de cette province déchirée au reste du pays. Seules les milices ethniques de Thomas Lubanga étaient ouvertement opposées à cette commission de pacification. Cependant, depuis le massacre de Drodro et le déploiement consécutif de l’armée ougandaise dans cette région, ces milices se sont volatilisées. L’armée ougandaise règne donc de nouveau en maître absolu dans cette province martyre. Une situation dont les habitants de Drodro se passeraient bien.

«Il est grand temps que nous soyons débarrassés des chefs des chefs de guerre et réunifiés à Kinshasa sous la direction d’un gouvernement légal», commente un blessé, résumant ainsi le souhait de l’immense majorité des congolais.

A écouter:

Dudu Shalo, porte-parole de la communauté Lendu (agriculteurs). Au micro de Ghislaine Dupont 09/04/2003, 56"

Pilo Kamaragi, porte-parole de la communauté Hema (bergers). Au micro de Ghislaine Dupont 09/04/2003, 1'04"

Ntuba Luaba, ministre congolais des Droits humains. Au micro de Gabriel Khan 09/04/2003, 37"

Berou Sadri, représentant spécial adjoint du secrétaire général de l'Onu chargé de pacifier l'Ituri (région). Au micro de Gabriel Khan 09/04/2003, 1'08"



par Gabriel  Kahn

Article publié le 09/04/2003