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Reconstruction de l''Irak

Grandes manœuvres autour de la dette

La dette de l’Irak envers la communauté internationale est passée au rang d’enjeu diplomatique de l’après-guerre. Les opinions diffèrent sur son montant, le degré d’indulgence dont elle doit bénéficier et, surtout, à qui incombe l’effort d’effacer l’ardoise.
Le numéro deux du département américain de la Défense, Paul Wolfowitz, a lancé un nouveau pavé dans la mare des anti-guerre en suggérant que la Russie, la France et l’Allemagne annulent, au titre de leur contribution à la reconstruction de l’Irak, la dette contractée à leur égard par le régime de Saddam Hussein. Le Fonds monétaire international et les ministres des Finances des sept pays les plus industrialisés ont souhaité que la question soit examinée par le Club de Paris, groupe informel de créanciers publics dont le rôle est de trouver des solutions de paiements aux pays endettés.

La Russie, la France et l’Allemagne, directement visées par les Etats-Unis en cette affaire, ont rapidement botté en touche, exprimant le souhait que le problème de la dette irakienne soit traité de manière multilatérale et non seulement bilatérale, entre chacun d’eux et l’Irak.

Mais tout d’abord de quoi parle-t-on ? La dette contractée par le gouvernement irakien auprès d’autres pays fait l’objet d’évaluations variées. Depuis 1991 et l’imposition d’un embargo sur l’Irak après la guerre du Golfe, les institutions financières internationales ont quelque peu perdu le contact avec ce pays. Ainsi, les données du FMI et de la Banque mondiale sur la situation en Irak ne sont plus réactualisées depuis cette date. Dans les années 80, l’Irak a beaucoup emprunté pour financer la guerre contre l’Iran et peu avant la guerre du Golfe a cessé de rembourser ses dettes.

Les seules indications dont on dispose sont donc des évaluations d’experts, de l’ordre de 120 milliards de dollars, selon la société britannique de courtage de dette Exotix. Cette dette se décomposerait en 72 milliards de capital et le reste en cumul d’intérêts. Pour un responsable américain du Centre des études stratégiques et internationales de Washington, la dette extérieure de l’Irak serait de 127 milliards de dollars dont 47 milliards d’intérêts. Selon d’autres sources l’endettement atteindrait 60 milliards de dollars auxquels s’ajouteraient les 200 milliards de dollars réclamés par le Koweït en réparation de dommages. De plus, l’Irak devrait une centaine de millions de dollars au FMI.

Allégement ne signifie pas annulation

Mais la dette irakienne ne s’arrête pas à cette dette extérieure publique. S’y ajoute la dette privée contractée auprès des banques et vis-à-vis des entreprises qui relève de la compétence non plus du Club de Paris, mais du Club de Londres réunissant les créanciers privés. Et là, le total de l’endettement reste pour l’heure indéterminé.

Déjà, les montants dus par l’Irak aux Etats restent flous. Selon le magazine Arabian Business l’Irak devrait 25 milliards de dollars à l’Arabie saoudite, 12,5 milliards au Koweït, 17,5 milliards à l’ensemble des émirats du Golfe, 8 milliards à la France, autant à la Russie et 9,5 milliards aux autres membres du Club de Paris. La France, pour ce qui la concerne, conteste ce chiffre. Le ministre des Finances Francis Mer parle de 1,7 milliards de dollars, auxquels s’ajoutent environ 30% de plus d’intérêts échus. L’Allemagne revendique une créance de 4 milliards de dollars et la Russie environ 8 à 9 milliards de dollars. Pour y voir plus clair, le Club de Paris va procéder à une récapitulation des dettes de l’Irak envers la communauté internationale en vue, a précisé Francis Mer, de son allégement.

La nuance est de taille. En effet, allégement ne signifie pas annulation et les pays concernés par le défi américain de passer l’éponge sur la dette irakienne n’y sont manifestement pas prêts. Un responsable russe a, conservant l’anonymat, conseillé à Paul Wolfowitz d’être un peu moins généreux avec l’argent d’autrui et rappelé que la Russie est toujours redevable, elle, des dettes contractées par l’ex-URSS et qui n’ont pas été annulées au moment du changement de régime. L’Allemagne a affirmé qu’elle était bien décidée à récupérer son argent. Quant à la France, elle rappelle que d’autres pays ont besoin de voir soulager le poids de leur dette, dont certains pays d’Afrique qui sont loin de disposer des mêmes ressources pétrolières que l’Irak. Pour Francis Mer, donc, pas question d’annulation mais plutôt de renégociation dans le cadre du Club de Paris. La renégociation peut porter sur l’allongement des délais de remboursement, la réduction des taux d’intérêts, et les montants dont une partie peut être effacée. Ce traitement de faveur est toutefois réservé aux pays les plus pauvres. Et encore cela prendra-t-il du temps car, a rappelé Francis Mer, le processus sur la dette de l’ex-Yougoslavie a duré entre cinq et six ans.



par Francine  Quentin

Article publié le 14/04/2003