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Politique française

Les amères leçons du 21 avril

Voilà un an, le candidat de l’extrême droite, Jean-Marie Le Pen, obtenait 17% des suffrages lors du premier tour de l’élection présidentielle et décrochait son billet pour le second tour de ce scrutin. Un véritable «séisme» politique secouait la France, dont les répliques se font encore fortement sentir.
Ces chiffres ont un air de déjà lu. Dans son édition du 12 avril, le Figaro Magazine publiait un sondage réalisé par la Sofres qui a demandé à 800 électeurs représentatifs de la population française pour qui ils voteraient si le premier tour de l’élection présidentielle se déroulait ce dimanche 20 avril. Jacques Chirac y arrive en tête avec 32% des voix devant Lionel Jospin, avec 26%, et Jean-Marie Le Pen, crédité de 11%. Un ordre identique à celui que donnaient les derniers sondages réalisés voilà tout juste un an avant le suffrage présidentiel. Les résultats avaient ensuite dessiné un paysage politique fort différent, avec 19,88% pour Jacques Chirac, 16,86% pour Jean-Marie Le Pen et seulement 16,18% pour Lionel Jospin qui se retrouvait éliminé de la course à la présidentielle.

Les instituts de sondage avaient logiquement été mis en cause au lendemain du premier tour. Aucun d’entre eux n’avait été capable de voir venir la montée de l’extrême droite ou de prévoir la présence de son candidat Jean-Marie Le Pen au second tour. La seule hypothèse retenue était celle d’un duel entre Jacques Chirac et Lionel Jospin. Estimant que tout était joué d’avance, beaucoup d’électeurs avaient préféré voter lors du premier tour pour d’autres personnalités politiques. Ils n’avaient que l’embarras du choix avec pas moins de seize candidats en lice, un chiffre jamais atteint auparavant. Parmi les raisons avancées pour expliquer cette erreur, les principaux instituts de sondage ont expliqué qu’il était très difficile de connaître les intentions de vote des électeurs. Beaucoup d’entre eux refuseraient d’avouer leur préférence pour cette formation d’extrême droite au moment de répondre aux questions des sondeurs. L’institut CSA a également insisté sur le fait que 15% des électeurs se déterminaient le jour même du vote, maintenant de la sorte une grande incertitude dans toute élection particulièrement disputée.

Les médias ont également joué un rôle prépondérant dans le résultat de ce scrutin. D’une part en croyant aveuglément les études des instituts de sondage et en calquant leurs analyses sur les tendances qu’ils indiquaient. D’autre part en choisissant d’accorder une grande importance aux thèmes de campagne de certains partis politiques. Les chaînes de télévision ont ainsi été vivement critiquées pour la manière dont elles ont traité le thème de l’insécurité, un des principaux chevaux de bataille du Front National. De nombreux reportages consacrés à la violence urbaine ont été sans cesse proposés aux téléspectateurs, à l’instar de celui relatant l’agression d’un septuagénaire dans la banlieue d’Orléans. Un certain M. Paul, âgé de 72 ans, avait violemment été frappé par trois jeunes qui avaient ensuite brûlé sa maison. Le 19 avril, moins de 48 heures avant le premier tour, la chaîne câblée LCI choisit de diffuser une vingtaine de fois le reportage réalisé sur ce fait-divers.

La «génération 21 avril»

Les journalistes et les instituts de sondages n’étaient bien sûr pas les principaux responsables des surprenants résultats de ce scrutin. Beaucoup de citoyens avaient négligé leur devoir d’électeur en s’abritant derrière la certitude de devoir départager au deuxième tour Chirac et Jospin. Un scénario apparemment écrit d’avance qui avait débouché sur une abstention record de 27,63%. Jamais une élection présidentielle n’avait connu un tel taux auparavant. De nombreux abstentionnistes ont ensuite regretté leur conduite négligente, en s’engageant à voter au second tour. Pour beaucoup d’entre eux, la seule option possible était de soutenir le président sortant. Le 5 mai, Jacques Chirac était reconduit dans ses fonctions en obtenant 82% des voix. Un deuxième tour marqué par un net recul du taux d’abstention, tombé à 20%.

Cette plus forte participation des électeurs reflétait l’incroyable mobilisation politique que le pays avait connue au cours des jours précédents. En apprenant que Jean-Marie Le Pen participerait au deuxième tour, de nombreux jeunes ont choisi d’exprimer leur colère et leur indignation dans les rues. L’entre-deux tours a été marqué par de nombreuses manifestations dans toute la France, la plus importante ayant rassemblé environ 600 000 personnes le 1er mai à Paris. Certains analystes politiques ont vu dans ce mouvement l’éclosion d’une «génération 21 avril». Elle venait de vivre un déclic important et saurait, à l’avenir, s’impliquer dans la vie politique française.

Les faits ne leur ont donné que partiellement raison. Certaines formations politiques ont certes enregistré dans les semaines qui ont suivi un nombre important d’adhésions, une tendance aussi bien constatée du côté du Mouvement des Jeunes socialistes que de celui de l’extrême droite. Mais le grand mouvement de mobilisation né après le 21 avril n’a pas perduré au-delà du scrutin présidentiel. Il ne s’est en tout cas pas traduit par une plus forte participation aux élections législatives qui se sont déroulées quelques semaines plus tard. Lors du premier tour de ce scrutin, le taux d’abstention dépassait même le seuil des 35%. Le sursaut du 21 avril n’a donc pas suffit à réduire la fracture entre une grande partie des électeurs et leurs représentants. Et beaucoup de citoyens semblent préférer participer d’une autre façon à la vie politique de leurs pays, en se mobilisant autour de certaines causes plutôt qu’en accomplissant leur devoir électoral.



par Olivier  Bras

Article publié le 20/04/2003