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Cuba

Castro profite de la guerre en Irak pour s’attaquer aux dissidents

Soixante-dix huit dissidents et journalistes indépendants cubains ont été arrêtés puis jugés lors de procès sommaires. Les peines sont très lourdes, elles vont de 13 à 25 ans de prison. C’est la plus importante vague de répression de ces dernières années.
De notre correspondante à La Havane

Pour la première fois en 44 ans de pouvoir, Fidel Castro a choisi d’annoncer publiquement l’arrestation de dizaines de dissidents. Nous sommes le 18 mars 2003, lorsque le journal télévisé s’interrompt pour laisser place à la lecture d’un communiqué officiel: «Plusieurs dizaines de personnes, directement liées aux actes de conspiration menés à bien par M. Cason (chef de la section d’intérêts américains à La Havane) ont été arrêtées par les autorités et seront traduites en justice».

Dès son entrée en fonction, il y a sept mois, le diplomate américain, avait exaspéré Fidel Castro, notamment en choisissant de rencontrer la dissidence avant de se présenter aux autorités cubaines. Puis, violant le protocole, il était intervenu lors d’une conférence de presse organisée par un mouvement dissident pour réclamer des changements politiques à Cuba.

En fin stratège, Fidel Castro, dont on devine la plume derrière les lignes du communiqué, a choisi d’utiliser les maladresses du diplomate américain pour attaquer la dissidence qu’il qualifie de «vendue à l’ennemie». Après 44 ans de propagande anti-américaine et d’actes hostiles de la plus grande puissance du monde pour ruiner l’île socialiste, l’argument a du poids. «Aucun pays, si puissant soit-il, n’a le droit de convertir sa représentation diplomatique pour déstabiliser un pays» poursuit le communiqué «les actes de trahison au service d'une puissance étrangère, mettant en danger la sécurité et les intérêts de notre patrie héroïque ne peuvent jouir d'impunité». L’accusation est lourde car elle fait référence à la loi dite «de protection de l’indépendance nationale et de l’économie de Cuba», datant de février 1999, et qui prévoit des peines allant jusqu’à 20 ans de prison.

Quelques heures après la lecture du communiqué, Elizardo Sanchez Santacruz, président de la Commission cubaine des droits de l’homme et de la réconciliation nationale (CCDHRN-illégale), confirme l’arrestation de dizaines de dissidents. En quelques jours, le nombre d’arrestations s’élève à 78, c’est la plus grande vague de répression de ces dernières années.

Des procès expéditifs et des peines de 13 à 25 ans de prison

Seize jours à peine après les premières arrestations, les procès commencent. Il est 9 heures jeudi matin lorsque le premier groupe d’opposants entre dans le tribunal suprême de La Havane. En haut de l’édifice, écrit en lettres immenses, la devise révolutionnaire «la patrie ou la mort, nous vaincrons» laisse présager le pire.

Devant le tribunal, situé à quelques mètres de la place de la révolution, des diplomates de Grande-Bretagne, Allemagne, Etats-Unis, République tchèque, et Espagne, manifestent leur soutien aux accusés. Un premier groupe de 5 dissidents, dont Héctor Palacios, proche d'Oswaldo Paya (lauréat du prix Sakharov et promoteur du projet Varela), et Osvaldo Alfonso Valdés, président du parti libéral démocratique (illégal) sont déférés dans une salle spéciale dite «salle des délits de la sécurité de l'Etat». Tous deux risquent la prison à perpétuité, comme 12 autres dissidents, selon une liste compilée par Elizardo Sanchez Santacruz.

Des dizaines de journalistes indépendants et d’opposants risquent quant à eux des peines allant de 15 à 30 ans de prison. Tous, sont accusés à des degrés divers, de complots et d’atteinte à la sécurité de l’Etat. Malgré de si graves accusations, les procès ne dureront que quelques heures et parfois sans avocats. «C'est le signe de la démesure totalitaire» a estimé un opposant encore en liberté, «jamais dans toute l'histoire de Cuba ne s'était produit une telle procédure judiciaire contre autant d'accusés pour des délits d'opinion». Quatre jours après le début des procès, les verdicts tombent. 25 ans de prison pour Hector Palacios, 23 ans pour l’économiste indépendante Marta Béatriz Roque, la seule femme parmi les accusés, 20 ans pour Raul Rivero, directeur de l’agence clandestine Cuba Press, et pas moins de 13 ans pour les autres accusés. Lors des procès, 11 agents de la sécurité d’Etat qui étaient infiltrés depuis de longues années ont témoigné pour l’accusation. La propre secrétaire de Marta Béatriz Roque n’était autre qu’une espionne. «Je ne suis absolument pas surpris, c’est typique d’un Etat policier» constatait, amer, Elizardo Sanchez Santacruz, dont le plus proche collaborateur vient d’être condamné à 15 ans de prison.

Les motivations, le moment et la méthode de ces condamnations laissent perplexes plus d’un diplomate en poste à la havane. En effet, cette vague de répression intervient alors que Cuba attend le verdict de la commission des droits de l’homme à Genève et vient de poser sa candidature pour intégrer les accords de Cotonou (pacte d’aide économique entre l’Union européenne et 78 pays d’Afrique, du Pacifique et des Caraïbes). Mais pour Elizardo Sanchez, le moment est au contraire bien choisi: «Cela faisait longtemps que le gouvernement voulait anéantir l’opposition, qui prenait chaque jour de plus en plus de force. Le rideau de fumée provoqué par la guerre en Irak lui a donné l’occasion d’agir en toute impunité».
La guerre en Irak n’est pas encore terminée, mais Fidel Castro, lui, a atteint son objectif: l’opposition cubaine est décapitée.

A écouter :
Jacobo Machover
L'écrivain cubain répond aux questions de Frédérique Genot (8/04/2003).



par Karen  DONADEL

Article publié le 08/04/2003