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Pétrole

L’Opep diminue sa production en augmentant ses quotas

Le cartel pétrolier a plongé les marchés dans la stupeur en décidant jeudi d’augmenter le plafond de production tout en annonçant une baisse de la production globale.
Par leur décision paradoxale, les ministres de l’Opep ont pris les marchés à rebrousse-poil jeudi : annoncer une diminution de la production globale de brut de deux millions de barils par jour en rehaussant le plafond de production de l’organisation de 900 000 barils par jour à compter du 1er juin n’est pas nécessairement un signe de clarté adressé aux marchés.

Bien sûr, le paradoxe n’est qu’apparent : les membres de l’Opep dépassaient collectivement leur quota de trois millions de barils par jour et les ministres de l’organisation ont préféré prendre acte de ce dépassement pour le réduire. Arithmétiquement, sur le papier du moins, le compte est bon. Mais en voulant accomplir ce que le président de l’Opep, le ministre qatarien Abdallah Al Attiya a présenté comme une opération-vérité, il ont au contraire souligné les incertitudes actuelles du marché pétrolier :

En premier lieu, l’Opep a révélé que la «triche» des pays exportateurs était supérieure d’un tiers à ce qu’imaginaient les opérateurs qui estimaient le dépassement à deux millions de baril par jour et non trois. Le cartel a donc entériné, du moins partiellement, le caractère facultatif du respect de ses quotas. Si, une fois de plus, les membres les plus en vue de l’Opep reconnaissent avoir dépassé leur quota officiel, comment croire que la fixation de nouveaux quotas les rendra plus respectueux et disciplinés à l’avenir ?

Le surplus constaté –et avoué ! – est justifié par la conjugaison des crises vénézuélienne, irakienne et nigériane et l’on sait que les États-Unis, qui préparaient leur intervention militaire en Irak, ne pouvaient pas se permettre de le faire avec un marché du pétrole tendu et ont donc exercé des pressions sur les producteurs pour qu’ils compensent le manque à gagner. Les États du Golfe, Arabie Saoudite en tête, avaient pour principal souci de ne pas se fâcher avec Washington, et comme souci accessoire de gagner des parts de marché. Ils se sont donc empressés au-devant des demandes américaines. On découvre aujourd’hui qu’ils ont fait plus que compenser le déficit de production cumulé de l’Irak, du Venezuela et du Nigeria.

Incertitudes

Fort logiquement, le prix du brut s’est affaissé sur les marchés internationaux à l’énoncé de cette surproduction constatée, et même annoncée. Car un autre paradoxe de cette réunion de Vienne est qu’elle s’est tenue en l’absence de tout représentant irakien. Certes, depuis l’instauration des sanctions en 1990, puis du programme «pétrole contre nourriture» en 1996, les exportations irakiennes se font hors quota Opep. Mais, naturellement, le marché les prend en compte dans la fixation des prix, car même hors quota, le pétrole irakien contribue au même titre que les autres à l’approvisionnement mondial.

Or, les États-Unis n’ont pas fait mystère de leur désir de remettre rapidement en état de fonctionner, et d’exporter, les installations pétrolières irakiennes. A brève échéance, ce sont près de deux millions de barils par jour qui peuvent être mis sur les marchés. Avant la guerre, dans le cadre du programme «pétrole contre nourriture», l’Irak extrayait 2,5 millions de barils par jour de son sous-sol et les ingénieurs américains caressent l’espoir de renouer avec des niveaux comparables à ceux qu’atteignaient les exportations irakiennes avant l’invasion du Koweït, à savoir 3,14 millions de barils par jour.

Or, les incertitudes ne s’arrêtent pas à ces prévisions aléatoires : tant que le régime juridique de la propriété du pétrole irakien n’aura pas été clarifié, par exemple par une résolution des Nations unies, de nombreuses compagnies pétrolières (y compris américaines) et intermédiaires préféreront éviter le risque juridique de l’enlèvement de brut irakien, au risque de voir une tierce partie contester devant la cour d’arbitrage de Genève la légalité de ces opérations. En outre, nul ne sait à ce stade les intentions américaines quant à l’appartenance de l’Irak à l’Opep.

La seule certitude est que, du moins dans un premier temps, le futur gouvernement irakien «indépendant» n’aura pas grand chose à refuser aux États-Unis, notamment en matière de politique pétrolière. Or, du point de vue des marchés, les perspectives ne sont pas du tout les mêmes selon que l’Irak agira en tant que producteur et exportateur indépendant (c’est-à-dire indépendant à l’égard des autres producteurs) ou qu’il continuera à agir au sein du cartel dont il fut membre-fondateur et l’un des piliers, d’autant que le pays recèle avec 12 % des réserves mondiales les deuxièmes réserves de la planète après celles de l’Arabie Saoudite.

Si l’on ajoute à cela que l’Opep vient d’annoncer que l’augmentation de son plafond de production était une étape vers une baisse qui devrait intervenir lors d’une prochaine réunion le 11 juin, la confusion est à son comble. Comprenne qui pourra !



par Olivier  Da Lage

Article publié le 25/04/2003